Jeune mère réfugiée syrienne qui mendie dans les rues d'Istanbul. Photo: ©Anne-Laure Gatin
Jeune mère réfugiée syrienne qui mendie dans les rues d'Istanbul. Photo: ©Anne-Laure Gatin

Réfugiés ou clandestins ?

Un reportage d’Anne-Laure Gatin

Le rendez-vous est pris ce matin avec Mgr Yakan, cofondateur de l’association Kader chargée d’aider les réfugiés irakiens exilés en Turquie. Escortée par une jeune femme chargée de l’accueil des réfugiés, je me dirige vers le bureau de l’évêque.

Le sourire et l’accueil chaleureux de Mgr Yakan mettent immédiatement ses visiteurs à l’aise. Cet homme d’Église, à l’instar de ses autres confrères d’Orient, exerce, en plus de son ministère, un rôle de manager. La discussion s’oriente naturellement vers le sujet des réfugiés pris en charge par l’association.

Le premier problème, comme le souligne Mgr Yakan, provient de ce que les populations irakiennes n’ont pas accès au statut de réfugié. « Lors de la conférence de Genève de 1951 relative aux réfugiés, explique-t-il, la Turquie s’est engagée à recevoir les exilés de guerre sous le statut de réfugiés, mais seulement ceux de certains pays. »

Les Syriens, par exemple, bénéficient d’un statut de réfugié, ce qui leur donne le droit à un travail et à l’éducation, mais les Irakiens n’ont pas ce droit. Ils ont le statut de « gens de passage ».

D’abord, rassurer

Malgré le peu de protection dont les réfugiés irakiens peuvent jouir, les formalités administratives qu’ils doivent suivre s’apparentent pour eux à un parcours du combattant :

« En Turquie, il y a trois étapes à respecter pour être inscrit à l’UNHCR. Il faut tout d’abord s’enregistrer à la préfecture, puis s’inscrire à l’UNHCR, et enfin attendre entre deux et huit ans avant d’obtenir un visa pour émigrer vers un pays d’accueil. »

Ces trois étapes peuvent sembler plutôt simples à respecter, mais pour des familles irakiennes qui ont dû tout abandonner dans leur pays, qui ne parlent pas le turc et qui sont encore choquées par les derniers évènements, ces obligations sont très complexes.

Notre première tâche, c’est de les rassurer, déclare Mgr Yakan. Ensuite nous les aidons à effectuer ces démarches administratives ».

L’association Kader est la seule association catholique à avoir l’autorisation officielle d’enregistrer les réfugiés. Comme le souligne l’évêque, l’enregistrement des réfugiés est indispensable : « Il ne faut pas laisser les réfugiés vivre clandestinement, même s’ils sont aidés par des églises ou des mosquées. Cela crée des problèmes avec l’État turc. Il faut leur indiquer les procédures officielles comme le fait notre association ».

Une fois les réfugiés enregistrés, il faut attendre parfois plusieurs années avant qu’un visa ne leur soit accordé. Parmi les pays de prédilection des réfugiés irakiens, on peut trouver plus particulièrement le Canada qui ouvre largement ses portes à ceux qui ont tout perdu à cause de la guerre :

« Le Canada est un pays qui accueille de nombreux réfugiés irakiens, souligne l’évêque. Je remercie d’ailleurs chaleureusement les autorités canadiennes de cet accueil dont elles font preuve. »

L’association Kader

L’association Kader est responsable de 57 000 réfugiés répartis dans 72 villes de Turquie et emploie un peu moins de 400 personnes. C’est donc une association dont l’activité est indispensable.

Elle entretient de nombreux liens avec le HCR, l’État turc et les autres associations qui œuvrent sur le territoire turc, afin de gérer au mieux les besoins des nouveaux réfugiés qui arrivent quotidiennement.

Tous les mois, un représentant de chaque association ainsi qu’un délégué officiel de l’État se retrouvent pour échanger autour des différents problèmes rencontrés, pour partager leurs expériences, et enfin pour actualiser leur fonctionnement, en accord avec la politique migratoire turque.

C’est donc un travail de véritable chef d’entreprise qu’accomplit quotidiennement Mgr Yakan, mais d’un chef d’entreprise qui ne perd jamais de vue que le souci des plus démunis prime avant tout.

Pour autant, l’association Kader reste une association et non une entreprise. Elle doit donc trouver des fonds afin de subventionner ses activités, ce qui n’est pas toujours facile. Kader trouve des subsides grâce aux dons des paroissiens, aux fonds versés par l’Union européenne pour certains projets et enfin à d’autres associations comme l’Œuvre d’Orient ou Caritas Est, une association luxembourgeoise.

Mais ces fonds ne sont jamais suffisants, et l’association se voit contrainte de hiérarchiser les besoins des réfugiés selon le degré de nécessité.

Pour autant, l’aide apportée aux réfugiés irakiens ne dure qu’un temps : le temps que leur visa leur soit accordé et que ces familles exilées puissent reconstruire leur vie en sécurité, trouver un travail et scolariser leurs enfants. Mgr Yakan réagit immédiatement :

Une fois les réfugiés enregistrés comme tels, ils ne peuvent plus rentrer chez eux. La solution c’est de prendre le mal à la racine, c’est-à-dire d’arrêter la guerre en Syrie. […] Il ne faut pas trier les réfugiés. »

Il ajoute : « Cette pratique n’est pas humaine et encore moins chrétienne. Un réfugié est un réfugié indépendamment de sa religion. » Un appel qui, espérons-le, ne laissera pas sourds les dirigeants politiques auxquels il est destiné.

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