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La lutte avec l’ange: réflexions sur l’Occident (2 de 2)

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Depuis des lustres, l’Occident libéral-libertaire mène sa lutte contre l’ange de Dieu, à l’instar du patriarche Jacob. Et comme il n’a pas encore vécu l’échec cuisant (la blessure à la hanche) qui le guérira de sa démesure (ce que Bertrand Vergely appelle si justement « la tentation de l’homme-Dieu »*), il continue de se poser en juge imperturbable et inflexible de ce que fait et dit l’Église.

À l’hostilité des critiques, que les gargouilles médiatiques dégorgent sans cesse, se mêle souvent l’espoir de voir l’Église changer. Au gré des déclarations perçues comme plus ou moins rétrogrades ou révolutionnaires, des légions entières de progressistes oscillent entre l’espoir de réformes et la crainte d’un durcissement du discours ecclésial et de la norme canonique.

On expérimente actuellement ce tangage grégaire, alors que le Synode ordinaire sur la famille à lieu au Vatican. Tous les commentateurs ont les yeux rivés sur Rome pour savoir si le dogme ou la discipline pourront évoluer sous l’influence des « réformistes » (Kasper, Danneels, Marx, etc.), en dépit du boulet que représentent les « conservateurs » (Müller, Sarah, Caffarra, etc.).

Derrière le refus de Dieu, subsiste ainsi quelque chose de la relation à Dieu, qu’on cherche à se concilier (seul moyen d’avoir la conscience vraiment tranquille) en faisant triompher jusqu’au bout le mensonge de l’autorité absolue de l’homme en matière de morale. Comme si, dans le récit biblique, l’homme avait lui-même planté l’arbre de la connaissance du bien et du mal au jardin d’Éden.

Cette tentative de conciliation n’abolit toutefois pas le refus. Celui-ci demeure bien présent et nous invite à réfléchir sur ses causes.

Les diverses causes du refus

Considérons d’abord les causes internes, c’est-à-dire les causes spirituelles, morales, psychologiques qui viennent de l’intérieur du cœur de l’homme. Ce sont certainement les plus importantes. On s’en aperçoit immédiatement lorsqu’on discute des sujets sensibles avec tout un chacun.

Le plus souvent, le refus de l’enseignement de l’Église ne vient pas d’une analyse et d’une critique point par point de la doctrine, mais simplement de l’ignorance; ou d’un rapport problématique à l’autorité; ou d’une culpabilité refoulée qui ne veut pas s’avouer; ou d’un combat perdu de l’âme contre les ténèbres, etc.

Ceci étant dit, on ne peut faire l’impasse sur les causes externes : les causes culturelles et idéologiques, qui tiennent à la force du préjugé, à l’analphabétisme religieux des « élites », à la culture du vice en pleine crue et aux mauvaises priorités d’une société du divertissement qui rejette en marge ce qui exige temps, effort et persévérance.

Ces causes externes façonnent les esprits et conditionnent les mœurs au profit d’un « culte du moi »…

De manière parfois très directe (propagande d’État, stratégies d’influence, lobbying) et parfois par des voies plus diffuses (poids des mentalités, phénomènes d’opinion, influence publicitaire) ces causes externes façonnent les esprits et conditionnent les mœurs au profit d’un « culte du moi » aux antipodes du message moral chrétien, axé sur l’amour de l’autre vécu à travers le don de soi.

Une illustration : le rôle matriciel des médias**

En 2015, l’esprit humain est comme jamais auparavant soumis à une pression idéologique et médiatique considérable. Malheureusement, la valeur éthique et esthétique de ce qui est offert par les multinationales du divertissement et des communications est très relative. Et les chaines publiques d’information ou de culture ne font pas beaucoup remonter la moyenne.

Les médias – véritables usines du prêt-à-penser – façonnent et renforcent en même temps qu’ils les reflètent les mentalités majoritaires et les discours dominants.

Ainsi, les médias – véritables usines du prêt-à-penser – façonnent et renforcent en même temps qu’ils les reflètent les mentalités majoritaires et les discours dominants. Parallèlement, l’influence du livre recule, l’art s’enferme dans son autisme, l’université subit la pression du capitalisme, et finalement le gout pour les questions essentielles n’est presque plus jamais pris en compte par la culture.

Lorsque les hommes sont plongés dès l’enfance dans un environnement discursif marqué par une hostilité plus ou moins ouverte à l’égard du christianisme et de l’Église, tous les poncifs, tous les lieux communs véhiculés par les idéologies de l’époque pénètrent leur esprit comme par osmose. Ils subissent alors une sorte de colonisation mentale susceptible de durer toute la vie.

En outre, la solitude endémique, qui rive à leur écran des masses d’individus plus ou moins neurasthéniques en quête de relations authentiques et capables de répondre à leur besoin d’amour, ne fait que renforcer l’influence d’une culture souvent frelatée, qu’on peut qualifier de méculture (ou mauvaise culture) de masse.

La culture: berceau ou tombeau de la foi

À l’évidence, les référents collectifs, les lieux communs médiatiques, les mythologies diverses qui structurent actuellement la psyché de l’homme occidental l’enferment dans un espace symbolique clos qui gêne sa faculté de pensée, en la soumettant à des vénérations obligées, à des exécrations imposées et en reléguant de vastes pans du réel dans le domaine de l’impensé.

Qui plus est, les principaux paradigmes de la matrice culturelle engendrant aujourd’hui les individus à la vie de l’esprit (au langage, aux codes sémiotiques, à l’univers symbolique) entrent en contradiction directe avec ceux de la tradition évangélique. Il n’en faut souvent pas plus pour garantir l’imperméabilité des âmes à l’influence du christianisme.

Le scénario inverse pourrait toutefois se produire. La pensée humaine pourrait, avec une plus grande liberté de mouvement garantie par une culture plus saine, s’engager sur les chemins du bien, du beau, du vrai, pour aller à la rencontre de Dieu.

Mais dans un cas comme dans l’autre, on constate que c’est pour beaucoup dans le rapport de l’âme avec la culture qui l’entoure, l’imprègne, l’habilite ou la handicape que se joue l’adhésion ou la non-adhésion à l’Église.

Selon qu’ils évolueront ou non dans un environnement culturel favorable à l’éclosion des semina verbi et à l’accueil de l’Évangile, les hommes de notre temps seront plus ou moins susceptibles de s’enrichir de la sagesse chrétienne ou de s’en faire les contempteurs en l’appelant folie.

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Notes :

* « Il s’appelle l’homme-Dieu, et il est l’homme qui a décidé de se prendre pour Dieu. Quand il intervient, cela commence toujours bien et cela finit toujours mal, sa spécialité consistant à prendre le bien, le beau et le vrai et à les dégrader, de façon à ce que vous désespériez de ceux-ci en pensant qu’ils n’existent pas et que l’on s’est moqué de vous en vous faisant croire qu’ils existaient. » Bertrand Vergely, La tentation de l’homme-Dieu, Le Passeur Éditeur, 2015, p.8.

** Je parle du canal médiatique par lequel les élites libérale-libertaires exercent leur influence sur les mentalités et les mœurs, mais avec plus de temps on pourrait aussi analyser d’autres canaux et vecteurs: la propagande d’État, l’école, les arts et lettres, le conformisme social, etc.

 

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.