Apocalypse Martin Pradère
Apocalypse flamande

Maranatha ! Attendre le retour du Christ avec le père Martin Pradère

Le père Martin Pradère est prêtre de la Communauté de l’Emmanuel et auteur de plusieurs livres, dont Aller tout droit au ciel avec la petite Thérèse (2016). Nous l’avons rencontré à Paray-le-Monial. Il a accepté de répondre à nos questions sur l’apocalypse, mais surtout sur la manière dont les chrétiens sont appelés à vivre ces temps qui sont (peut-être !) les derniers.

Le Verbe : Apocalypse en grec signifie « révélation ». Qu’est-ce que ce livre nous révèle exactement ?

Père Martin Pradère : C’est le dévoilement de la verticalité du sens profond de l’histoire, que Dieu seul peut donner. En l’occurrence, le triomphe d’une Église de martyrs qui participe à la victoire de l’Agneau.

Ce livre est donc d’abord un appel à l’espérance. Le texte, qui a été écrit dans un temps de persécution, est une invitation à croire à la victoire paradoxale de Dieu. Victoire qui passe aussi par les tribulations de l’Église. Car cet appel à l’espérance est fondamentalement un appel qui couvre toute l’histoire de l’Église, et non seulement les chrétiens du premier siècle.

Cet article provient du numéro spécial Apocalypse paru au printemps 2020.

Par exemple, la première partie de l’Apocalypse, les lettres adressées aux sept Églises, est comme un tableau panoramique des situations qui peuvent se produire dans toutes les Églises. La tiédeur et l’idolâtrie pourront toujours mettre en péril les communautés chrétiennes. 

Et puis la deuxième partie, c’est le dévoilement de ce temps de l’Église qui nous rapproche de la venue du Christ dans la gloire, qui est aussi un temps de combat et d’espérance, un temps dans lequel nous sommes toujours davantage plongés.

Cette eschatologie, c’est quelque chose dont on ne parle presque plus aujourd’hui !

Et pourtant, le retour du Christ était pour les premiers chrétiens quelque chose de décisif.

Plusieurs reconnaissent dans l’Apocalypse une évocation des liturgies eucharistiques, où les premiers chrétiens espéraient très fortement la venue du Christ en gloire. Ils espéraient même que cela se produise pendant la célébration de la vigile pascale.

Saint Jean tombe d’ailleurs en extase le jour du Seigneur, le jour de l’eucharistie. Et à la fin, il termine son livre en redisant ce maranatha (viens, Seigneur Jésus) qui était la grande évocation eucharistique des chrétiens.

Que s’est-il passé ensuite ?

Jusqu’au 14e siècle, cette dimension de l’espérance de la venue du Christ dominait l’existence des chrétiens. On en voit des traces évidentes dans les décorations des cathédrales des 12e et 13e siècles. Et surtout, cette espérance n’était pas simplement un jugement individuel. On attendait la résurrection des morts, les cieux nouveaux et la terre nouvelle pour tous.

Mais à partir du 14e siècle, semble-t-il, cette espérance collective s’est estompée au profit d’une espérance individuelle du salut de notre âme. Même si elle est tout à fait légitime, elle a pu gommer quand même une part de l’espérance collective de tous les hommes et de tout l’homme, corps et âme.

Même si l’espérance individuelle est tout à fait légitime, elle a pu gommer quand même une part de l’espérance collective de tous les hommes et de tout l’homme, corps et âme.

À présent, on ne semble plus trop avoir d’espérance, pas plus pour l’âme que pour le corps.

Peu à peu, cette espérance collective s’est ensuite reversée à l’ordre des idéologies sécularisées qui en sont les caricatures : le mythe du progrès à partir du 16-17e siècle, l’avènement des droits de l’homme au 17e, de la raison avec les lumières au 18e, de la société sans classe au 19e, ou encore l’âge positif (scientisme) avec Auguste Comte.

Et encore aujourd’hui, je dirais dans le même sens le New Age, ou le transhumanisme, ou même à sa façon Daesh qui propose une apocalypse, mais musulmane et antichrétienne.

Derrière tout ça, on pourrait dire qu’il y a peut-être un déficit de notre part, nous les chrétiens, de l’attente de la venue du Christ en gloire qui fait que, finalement, comme toujours, ce sont les factures impayées de l’Église qu’on retrouve servies dans les sectes ou dans les mouvements déviants.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Heureusement, à partir du 20e siècle, il y a eu un renouveau biblique et patristique, qui a permis de se réapproprier cette grande espérance collective à travers la lecture de l’Écriture et des Pères. 

On la retrouve ensuite au concile Vatican II et aussi dans la réforme liturgique de Paul VI. Par exemple, on a inséré deux fois dans la liturgie la mention de la venue du Christ en gloire : au moment de l’anamnèse et après le Notre Père.

J’ajouterais enfin que ce qui a été le mouvement de toute l’Église a été donné aussi à travers des révélations privées du dernier siècle : Fatima, qui a manifestement une dimension apocalyptique, et encore plus le message de sainte Faustine dédié à la miséricorde ; c’est très impressionnant de voir la dimension eschatologique de ce message.

À quel message pensez-vous plus exactement ?

À celui où le Christ lui révèle : « Tu vas préparer le monde à ma dernière venue. » C’est quand même hallucinant ! Et pas qu’une fois, il le lui dit plusieurs fois.

Puis, Jésus donne aussi des prophéties incroyables à Faustine. À un certain moment, il lui dit : « Le monde entier me verra et les rayons de mes blessures éclaireront le monde avant que ce ne soit la fin. »

Voilà comment, à travers cette jeune religieuse qui savait à peine lire et écrire, Jésus invite les chrétiens à entrer dans ce don de la miséricorde tant qu’il est encore temps. Il ne cesse de dire : « C’est maintenant le temps de ma miséricorde, viendra le temps de ma justice, malheureux ceux qui iront par la porte de la justice. »

Le temps de la miséricorde prendra fin…

Cela correspond à l’enseignement de l’Église, qui nous rappelle que nous sommes des voyageurs en ce monde. Notre royaume n’est pas de ce monde, même s’il commence dans ce monde.

Et notre espérance, c’est la venue du Christ en gloire.

N’y a-t-il pas un danger de tomber dans la peur, de passer son temps à chercher des signes ? Comment ne pas sombrer dans ces attitudes ?

L’attitude qui n’est pas souhaitable du tout, c’est l’acédie. Cela consisterait à oublier, à s’endormir, comme les vierges folles dans la nuit, en oubliant qu’on est là en attendant celui qui vient, qui est l’époux.

L’autre attitude détestable, c’est d’avoir peur de la venue de l’époux. Une fois, je me souviens, j’étais en paroisse et, alors que j’étais un peu emballé, j’ai lancé : « Il faut vraiment qu’on évangélise le monde entier pour qu’Israël soit illuminé et pour qu’enfin le Christ puisse venir dans sa gloire. » Et à ce moment-là, le curé a pris le micro et il a dit aux chrétiens : « Non, n’ayez pas peur, il ne viendra pas ce soir ! »

Je pense donc que l’attitude juste, c’est espérer de notre temps cette venue dans la gloire. Mais pour cela, il faut se préparer et donc aimer. Car ce qui est encore plus grand que l’espérance, c’est l’amour.

Nous préparer nous et les autres aussi ?

Dans le sens de l’Apocalypse, je pense que c’est important pour nous, chrétiens, d’inviter à l’espérance et de ne pas avoir peur du Christ. Au contraire, on doit croire vraiment à sa miséricorde et croire que sa venue est vraiment la bonne nouvelle pour le monde.

En même temps, il devient impératif d’exercer le primat de la charité, envers Dieu et envers son frère. La charité très concrète. « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Celui qui ferme son cœur à son frère, dit saint Jean, comment l’amour de Dieu pourrait habiter en lui ? »

« N’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. » Ça, c’est l’expérience des saints qui ont les pieds sur terre et la tête dans le ciel et finalement le cœur dans l’instant présent, dans la rencontre avec l’autre.

Les saints ont les pieds sur terre et la tête dans le ciel et finalement le cœur dans l’instant présent, dans la rencontre avec l’autre

Dans l’évangélisation, faut-il parler explicitement de la fin des temps et du jugement ?

Oui, il faut catéchiser sur les fins dernières ; moi, je le fais souvent. Et ça donne beaucoup de sens aux jeunes parce qu’ils n’ont plus les clés pour comprendre la vie. 

Il ne faut pas avoir peur non plus de parler de l’aspect négatif des fins dernières, parce qu’il y a aussi un côté rude. 

D’abord, l’Antéchrist, dont il est question dans l’Écriture, et dont on ne parle presque jamais dans nos paroisses. Mais aussi la venue du Christ-Roi, le jugement dernier avec cette possibilité, malgré tout, de l’enfer. De cela découle une sérieuse invitation à la prière pour que tous soient sauvés.

À Fatima et à Cracovie, on prie pour que tous soient sauvés, mais on n’en est pas sûr. Si on a vraiment le désir de la venue du Christ, il faut en même temps qu’on ait le désir « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité », comme l’écrit saint Paul à Timothée.

Pas seulement moi égoïstement, mais tous les frères, sinon on n’est pas catholique, on n’est pas « universel ».

Ainsi, l’apocalypse nous pousse à la mission !

À la mission et à la prière aussi, comme la petite Thérèse, qui s’offre à l’amour de Dieu miséricordieux. Le jour de sa profession solennelle, elle a dit : « Seigneur, fais que pas une seule âme ne se damne, que toutes les âmes du purgatoire aillent au ciel et que moi-même je puisse mourir dans un martyre d’amour et faire ta joie. »

L’Apocalypse, c’est une invitation à la conversion pour nous d’abord, les catholiques.

La seule chose que Jésus nous a dite en partant, c’est d’évangéliser le monde. Il ne nous a rien dit d’autre. Après, nous inventons 50 000 autres choses à faire avant qu’il vienne, mais lui, il ne nous en a demandé qu’une seule, c’est l’évangélisation. Cependant, une évangélisation qui n’est pas prosélytisme, je le répète, qui n’est pas une entreprise de conquête, mais qui est le rayonnement de la charité, qui est le fruit de la communion, qui est elle-même le fruit de la prière d’un seul cœur, d’une effusion de l’Esprit.

Donc, c’est une invitation à la conversion pour nous d’abord, les catholiques.

Je me dis que si nous, les chrétiens qui sommes porteurs de l’espérance du monde, nous y croyons davantage, peut-être que le monde se convertirait plus aussi. 

Et cette espérance n’est pas là pour nous distraire du monde, au contraire, mais pour nous engager encore plus à préparer cette venue par la nouvelle évangélisation. L’évangélisation, au fond, ce n’est pas du prosélytisme, c’est le déploiement de la miséricorde. Par les actes d’abord, ensuite par les paroles, quand les actes ne suffisent pas, et finalement par l’offrande et la prière.


Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.