À Sherbrooke, Montréal, Trois-Rivières et bien d’autres villes du Québec, des manifestations ont eu lieu dimanche pour dénoncer le racisme systémique et la brutalité policière. Je suis allé à celle de Québec, j’ai écouté les discours et j’ai interviewé une organisatrice et une manifestante. Compte-rendu de la manifestation et points de vue sur l’antiracisme et la religion.
Comme plusieurs manifestations américaines auxquelles elles font écho, la manifestation d’hier s’est déroulée dans le sérieux, la joie et le bon ordre. « On s’était organisés pour que la manifestation soit pacifique, et on est très heureux qu’il n’y ait pas eu de casse », se réjouit Marjorie Shehyn, une des organisatrices.
Alors que le climat aurait pu être tendu — les policiers qui s’occupent de contenir la foule ne sont-ils pas ceux contre qui on manifestait ? —, la bonne entente régnait, on écrivait des pancartes et on chantait du 2Pac et du Kanye West.
La grande majorité des gens avaient suivi les consignes et apporté des masques. De plus, grâce aux fonds amassés par des membres de la communauté musulmane, les organisateurs avaient assuré la distribution de masques et de désinfectant pour ceux qui en avaient besoin.
La Place de l’Assemblée-Nationale était bondée. La distanciation sociale a été respectée « dans la mesure du possible », me dit Marjorie. C’est devant une foule unie, multiconfessionnelle et multicolore qu’ont parlé, entre autres, Marjorie et Carelove, le rappeur et historien Webster ainsi que l’ex-boxeur Éric Martel-Bahoeli.
Le message
Les différentes personnalités et orateurs, tous issus de minorités visibles, ont mis l’accent sur la présence, au Québec et au Canada, du racisme systémique et de la brutalité policière. À François Legault qui, il y a quelques jours, affirmait qu’au Québec « il n’y a pas de racisme systémique », Webster a répondu par plusieurs noms, dont celui de Pierre Coriolan, un homme noir abattu par les agents du SPVM.
L’idée d’une conscientisation et d’un engagement de tous les membres de la société a souvent été évoquée. Plusieurs ont repris la désormais célèbre phrase d’Angela Davis : « il ne suffit pas d’être non raciste, nous devons être antiracistes. »
Et les requêtes vont dans ce sens. Webster a ainsi demandé une meilleure formation pour les policiers, une plus grande représentation des minorités visibles dans le corps policier, de même que « l’ouverture d’une commission indépendante et d’une enquête indépendante sur le profilage racial ».
La manifestation, malgré l’évidente joie qu’elle portait, avec les danses et les chants, témoignait, comme toute manifestation, d’une colère sourde. Et le deuil que vit la communauté noire a été bien visible lorsque le genou fut symboliquement mis à terre pendant 8 minutes et 46 secondes, en hommage à George Floyd.
Une lutte religieuse ?
Des personnes de toutes confessions étaient à la manifestation. Des athées se trouvaient dans la foule ; une partie de l’organisation et des discours étaient réalisés par des musulmans ; le rassemblement se voulait aussi un appui aux groupes autochtones qui vivent de la discrimination, et dont certaines spiritualités sont menacées.
Pour moi qui suis chrétien, la colère que j’ai vue m’a rappelé les grandes luttes de la Bible, les face-à-face avec l’injustice dont l’histoire a été témoin tant de fois. De la même manière que lors de l’exil à Babylone, ce sont encore les opprimés qui en ont marre de se faire marcher dessus. Et la grande tradition des révolutionnaires noirs — Marjorie me nomme Jean-Jacques Dessalines, Toussaint L’Ouverture, Mohammed Ali, Martin Luther King, Joséphine Baker et Maya Angelou — me semble un écho à certains de ces grands hommes et de ces grandes femmes des textes sacrés.
Évidemment, l’antiracisme n’est pas un mouvement proprement chrétien, pas même un mouvement proprement religieux. Mais ces derniers ont des ressemblances frappantes et des liens très solides, car la plupart des religions ont vu les injustices — bien que leurs institutions les aient perpétuées souvent — et ont proposé un refuge aux persécutés.
Pascale Boulanger, une manifestante métisse, me dit ainsi, avec l’admiration dans la voix : « Dans les communautés noires, beaucoup sont plus fervents et trouvent leur refuge en Dieu. Je trouve cela très beau. »
Le rôle des chrétiens
Selon Pascale, plusieurs chrétiens ne comprennent pas la situation des communautés opprimées en Occident, alors qu’il s’agit là d’un devoir. « Le rôle des chrétiens, devant le racisme, est de s’informer et de savoir quoi répondre, de puiser dans la Bible et dans les enseignements de l’Église ce qui prouve que les êtres humains sont égaux et que l’idée de discrimination selon la race n’a pas lieu d’être. »
Marjorie raconte : « Quand j’étais plus jeune, mon père me rappelait fréquemment qu’être catholique, c’est être le plus universel possible. » Selon elle, si certains catholiques s’opposent à l’égalité, c’est qu’ils suivent un message biaisé, qui n’est pas celui de l’Église.
D’après Webster — et plusieurs théoriciens de la question raciale —, une des grandes causes du racisme systémique est la colonisation, à laquelle a participé l’Église. À ce jugement, Pascale en ajoute un autre, qui fait voir la force du lien entre les luttes pour l’égalité et le christianisme :
« Lorsque les missionnaires sont débarqués ici, ils désiraient évangéliser les autochtones parce qu’ils croyaient qu’ils étaient dignes de l’être. Sur ce point, les Jésuites considéraient les autochtones de la même manière que les Français, de manière égale. »
Pascale le sait : la colonisation a privé plusieurs autochtones de leurs repères et a eu des répercussions extrêmement néfastes. Il n’est pas question d’oublier ce qui s’est passé ou, pire, d’associer les chrétiens à des martyrs qui ne sont pas les siens. Il s’agit, au contraire, de voir les catholiques, les chrétiens, et les gens de toutes confessions comme des alliés à ceux qui militent pour une plus grande justice sur la terre.