Il y a peu de temps, une centaine de Québécois ont assisté à un atelier en ligne d’Alexandre Dianine-Havard. Cet auteur et conférencier franco-russe a fondé les Instituts de Leadership Vertueux répandus dans une douzaine de pays et dont les ouvrages sont traduits dans une vingtaine de langues. Son approche est simple : réactualiser et vulgariser la sagesse antique sur les vertus et les tempéraments pour former des personnes qui transformeront le monde. Rien de moins. Le Verbe a pu rejoindre M. Havard, qui habite à Moscou, et lui poser quelques questions.
Comment en êtes-vous venu à quitter la pratique du droit pour écrire sur le Leadership Vertueux ?
Alors que j’étais avocat à Helsinki, en Finlande, on m’avait demandé de donner un cours sur l’intégration européenne. En étant professeur, j’ai réalisé que mes étudiants avaient davantage besoin de formation que d’information. Dans mon cours, je parlais surtout des Pères fondateurs de l’Union européenne (Robert Schumann, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, etc.) qui étaient des hommes extraordinaires au-delà de leur œuvre.
Et puis mes étudiants me posaient surtout des questions fondamentales : C’est quoi un être humain ? Un caractère ? Comment développer les mêmes vertus qu’eux ? Etc. C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait une demande chez les jeunes pour recevoir une vision beaucoup plus profonde. Je me suis donc mis à écrire mon premier livre, Le Leadership Vertueux (2007), pour répondre à ces questions. J’ai ensuite décidé d’abandonner le droit pour dédier ma carrière à ces sujets plus utiles.
Certains vous définissent presque comme l’inventeur d’une méthode de croissance personnelle, mais je crois comprendre que c’est plus que cela ?
Le leadeurship pour moi, au départ, est une anthropologie, et non pas une technique. Le gestionnaire cherche à faire avancer les choses ; le leadeur, lui, veut faire avancer les personnes. Ce n’est vraiment pas une méthode, c’est plutôt la découverte des vertus (prudence, courage, justice, tempérance, magnanimité, humilité) qui font grandir les personnes. C’est pourquoi j’insiste pour parler de leadeurship vertueux.
La vertu, c’est de faire ce qu’on a envie de faire. Mais le cœur doit se purifier pour désirer les choses qui sont vraies, bonnes et belles.
C’est vrai qu’il y a une croissance personnelle, mais la personne en situation d’autorité par rapport à d’autres ne peut pas les aider à grandir si lui-même n’en fait pas l’expérience. Sinon, il tombe dans la manipulation, le pouvoir.
Le leadeurship, c’est une activité morale. Je crois que les anciens Grecs pensaient cela, même s’ils n’avaient pas ce mot, leadeurship : quand ils dépeignent leurs chefs, ils font un portrait moral. Je tenais à utiliser ce mot plus moderne pour que les gens comprennent que le but premier de ce que j’enseigne, c’est l’action, et non pas d’abord le savoir pour lui-même. Tous mes livres sont très pratiques avec beaucoup d’exemples qui s’adressent aux gens dans l’action : la mère de famille, le chef d’entreprise, le général dans l’armée, etc.
Malheureusement, beaucoup d’intellectuels ont écrit des livres qui parlent des vertus, mais ne sont pas dans l’action. Ce sont généralement des livres très ennuyeux, illisibles, qui montrent difficilement les aspects pratiques. C’est important de contempler la vertu pour la vouloir, mais ensuite il faut savoir la développer.
Beaucoup d’ouvrages ont été écrits sur les vertus et, d’autre part, sur le leadeurship technique, mais sans aucune base fondamentale. L’originalité de mon travail, je pense, c’est d’avoir à la fois la profondeur anthropologique et la dimension pratique dans laquelle tout le monde se reconnait. Je m’adresse autant au cœur et à l’intelligence qu’à la volonté de la personne.
Je pense qu’une autre part d’originalité dans votre travail c’est d’avoir relié le développement des vertus aux tempéraments. Quel est l’intérêt aujourd’hui des quatre tempéraments tels que pensés par Hippocrate (colérique, flegmatique, sanguin, mélancolique) ?
Le tempérament est une réalité dont on ne peut pas douter. Chez les êtres humains, il y a une partie biologique, le corps, et une partie spirituelle, l’âme. Une partie déterminée et une partie libre. Nous sommes nés avec une nature humaine, avec des structures biologiques ; le tempérament appartient à ces structures.
Le problème, c’est que nous devons savoir quelle est notre base biologique à partir de laquelle développer nos vertus. Chaque tempérament présente des forces et des faiblesses qui permettent d’identifier les vertus importantes à développer.
Le colérique, par exemple, a une réaction aux stimulus qui est très intense et rapide. C’est un gestionnaire né. Mais il a tendance à utiliser les personnes pour réaliser ses objectifs. C’est pourquoi il devra développer l’humilité pour apprendre à servir, pour saisir que les gens sont plus importants que les choses. Quand tu le sais, tu te connais, ça devient le grand défi de ton existence.
Mais il existe aujourd’hui une multitude de tests de personnalité de toutes sortes qui affirment révéler notre profil psychologique. En quoi est-ce que la théorie d’Hippocrate est meilleure ?
Je dirais que la plupart des autres tests sont conçus par des gens qui sont fondamentalement déterministes : ils ne croient pas en la liberté humaine, ils pensent qu’est vrai seulement ce qui est déterminé biologiquement.
Les gens qui font ces tests en viennent à penser qu’ils sont faits d’une manière et qu’ils ne peuvent pas changer. La personnalité, c’est le tempérament et le caractère (la partie libre), et comme les gens ne savent pas faire la différence, ils ne savent plus ce qu’ils peuvent ou devraient développer.
Alexandre Havard propose aux participants de ses ateliers de faire un test de tempérament. Cliquez ici pour y accéder (en anglais seulement).
L’autre problème qui se pose, ce sont les gens qui ne croient pas au tempérament, mais seulement à la vertu. Ceux-là tombent dans le volontarisme. Ils ne voient pas la multiplicité des tempéraments ; ils ont donc beaucoup de mal à aider les autres puisqu’ils ne peuvent pas concevoir la différence.
Leur attitude est très dangereuse parce qu’ils ne respectent pas les structures biologiques des personnes. Ils en viennent à interpréter moralement des conduites qui sont amorales. Ils jugent les autres à partir de leur propre tempérament.
En affirmant qu’il y a au moins quatre tempéraments, on reconnait qu’il y a différents modes d’être. Si on dit qu’il n’y en a pas, on affirme implicitement qu’il n’y en a qu’un seul : le nôtre.
Qu’est-ce que vous dites aux personnes qui se sentent esclaves de certains vices, et donc incapables de développer certaines vertus ?
D’abord, nous en sommes tous capables puisque le développement de la vertu est quelque chose de spirituel. Seuls les animaux n’en sont pas capables. Mais le développement de la vertu suppose tout de même la contribution de trois parties de notre être, trois facultés : le cœur, la volonté et l’intelligence.
On doit d’abord désirer la vertu, la contempler. Lire de beaux ouvrages, de beaux films, de belles images. Avoir une vision esthétique de la vie. Créer une ambiance esthétique et vertueuse autour de toi : des pièces ordonnées, une belle décoration, fréquenter d’autres personnes vertueuses, etc.
L’environnement autour de soi doit être porteur de ce sens, sinon on devient en tension, à moins d’avoir une volonté de fer. Mais la difficulté est bien souvent au niveau de la volonté.
Or, certains disent que la vertu n’est qu’une affaire de volonté. C’est faux. La vertu commence dans le cœur de la personne, elle va ensuite dans l’intelligence et en dernier lieu opère par la volonté. Elle n’est pas une chose moralisatrice, c’est-à-dire faire une chose qu’on n’a pas envie de faire. La vertu, c’est de faire ce qu’on a envie de faire. Mais le cœur doit se purifier pour désirer les choses qui sont vraies, bonnes et belles.
L’intelligence perçoit la vérité, la volonté désire le bien et le cœur aspire au beau. Si ces trois dimensions ne sont pas unies, on ne peut pas pratiquer la vertu.
Ça tombe bien, c’est ce que nous essayons de mettre en œuvre dans notre média, le Vrai, le Beau, le Bien…
C’est très bien ! Et dans le monde d’aujourd’hui c’est vraiment le Beau qui est premièrement palpable par l’esprit humain. On nie la possibilité de connaitre la vérité et le bien…
C’est pourquoi Dostoïevski dit que la beauté sauvera le monde. À travers cette beauté, on fait aussi l’expérience du bien et de la vérité… et non pas en lisant de la philosophie moderne… (rires).