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Santé mentale : « On a pris l’étiquette comme un prêt-à-porter! »

En interviewant la psychologue Marie Leclaire et le médecin Philippe Karazivan, j’espérais obtenir des réponses tranchées à mes questions épineuses sur les soins en santé mentale. Mais chercher des solutions uniformes à des problèmes si divers s’apparente à manquer de mots devant la souffrance psychique d’un proche ou d’un ami. Il n’y a pas de recette miraculeuse.

Et si l’absence d’un protocole tout prêt à suivre s’arrimait mieux à notre finalité humaine qui est de chercher librement le bonheur? Dans cette voie, il existe heureusement des pistes pour reconsidérer les soins en santé mentale.

Dépasser la langue médicale

À quel référent l’homme d’aujourd’hui emprunte-t-il les mots pour dire sa souffrance? Marie Leclaire, psychologue et professeure adjointe de clinique à l’Université de Montréal, y répond en évoquant l’omniprésence du langage médical dans notre société. Telle serait une première clé pour repenser le soin.

« Chaque langage change au fil du temps en fonction des sociétés. Aujourd’hui, le langage médical a colonisé l’espace social. Les mots qu’on utilise pour parler de notre souffrance sont très médicaux. En clinique, on le voit continuellement. On entend:  »Je suis déprimé, je suis anxieux. » Oui, mais encore. Qu’est-ce qui se passe? Comment le vivez-vous? C’est comme si l’on a pris l’étiquette comme un prêt-à-porter. On avorte trop rapidement la recherche de sens. »

Marie Leclaire ne perçoit pas d’un mauvais œil la recherche d’un diagnostic dans un premier temps. Au contraire, c’est une façon pour des personnes en souffrance de cogner à la porte du système et de prendre un billet d’entrée pour avoir accès à des ressources d’aide.

Le diagnostic est une hypothèse de travail, le point de départ d’un processus, mais surtout pas une fin en soi.

Sauf qu’il ne faudrait pas en rester là. Elle perçoit avant tout l’étiquette comme une hypothèse de travail, le point de départ d’un processus, mais surtout pas comme une fin en soi.

« Le diagnostic a une fonction de communication, c’est une hypothèse de travail. Mais ça ne devrait jamais faire taire le besoin de faire du sur mesure. Prenez le cas de la schizophrénie. Derrière cette maladie, on peut avoir 1000 personnalités et histoires de vie très différentes.

J’ai d’ailleurs été frappée au premier temps de ma pratique clinique de voir à quel point les diagnostics – même de maladie mentale sévère – pouvaient, chez un même individu, évoluer au fil du temps. Les diagnostics peuvent aider à cerner des souffrances, à les reconnaitre, mais ils ne permettent jamais de donner sens à tout ce qui arrive dans la vie de la personne. Pas du tout! Ce n’est pas le but, et c’est souvent là que l’on confond les choses. »

Philippe Karazivan, M.D. et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal, m’explique que la grande difficulté des médecins de famille est de savoir si l’on est dans l’ordre normal ou pathologique. Ce n’est pas facile parce que, peu importe ce que le médecin pense, que ce soit un médecin prescriveux de pilules ou un médecin plus grano, les patients arrivent avec des attentes.

Le grand mythe est que ce sont les médecins qui prescrivent des pilules à l’encontre de la volonté des patients.

Dr Philippe Karazivan

 « Il m’arrive souvent que les patients me racontent qu’ils ne se sentent pas reconnus au travail, dorment mal, vivent des difficultés à la maison, etc., et me disent:  »J’ai rempli une grille d’évaluation sur internet et je pense répondre aux critères du TDAH. » Ça va être difficile de ne pas médicaliser le problème. Le grand mythe est que ce sont les médecins qui prescrivent des pilules à l’encontre de la volonté des patients; mais ce n’est pas ce qu’on vit en première ligne. Les gens considèrent leur trouble comme un problème de santé et veulent des solutions médicales à ce problème. »

Ouvrir un espace

Quelles conceptions anthropologiques priment en psychothérapie?

Il en existe plusieurs évidemment, mais dans la sphère de la psychologie comme dans la sphère médicale – même dans le DSM – on tend de plus en plus vers une approche dimensionnelle, qui prend en compte les divers éléments conduisant à une rupture d’équilibre : les pensées, les relations, le sommeil, l’environnement, etc.

« La vision qui ressort le plus en psychothérapie est que l’être humain est un être théorisant. Il recherche un sens et va toujours en créer un. Et comme tout être humain a le désir de se relier aux autres, la recherche de sens ne se fait pas en vase clos. C’est pourquoi la notion d’accompagnement importe pour créer un espace de recherche sécurisant » m’explique la psychologue.

« Quand les théories qu’on se raconte sur nous-mêmes et sur les autres ne fonctionnent plus, ça crée des symptômes. La psychothérapie a de bonnes connaissances sur les conditions à créer pour redonner un espace où faire sens. Il faut souvent abandonner des vieilles théories qui ne sont pas les nôtres. Mais ces espaces, je ne pense pas que c’est seulement la psychothérapie qui peut les ouvrir. Ce qui fait que la personne va mieux, c’est aussi le travail qu’elle-même fait par toutes sortes de façons, que ce soit par des lectures, la spiritualité, les amitiés, etc. Si une médication peut aider, c’est en donnant un essor à ce mouvement-là. »

Regarder le soin autrement

Si son premier travail est de soulager la souffrance de ses patients, Philippe Karazivan se permet parallèlement de réfléchir à la perception sociale de la maladie mentale.

« Le langage individualiste le plus dominant est celui de la médecine, du corps et de la santé. Beaucoup de personnes viennent consulter pour des arrêts de travail, en pensant :  »C’est moi le problème, c’est à moi de m’adapter. » Les gens qui souffrent à un niveau psychique sont peut-être ceux qui sont en train de nous dire que quelque chose ne tourne pas rond dans notre société. »

Il y a des potentialités humaines qui sont plus accessibles chez des êtres humains en période de maladie ou de souffrance.

Dr Philippe Karazivan

« On constate que la maladie est un moins. Mais est-ce une perte? On sait qu’il y a des potentialités humaines qui sont plus accessibles chez des êtres humains en période de maladie ou de souffrance.

« Quel exemple avez-vous de grandes œuvres de musique classique, de littérature ou de philosophie qui ont été faites par des gens super heureux ? Peut-être que dans le meilleur des mondes, nous n’aurions pas besoin de souffrance, mais pour moi, les moments où je suis le plus créatif, ce sont souvent les moments où je suis le plus contrarié. »

Grâce à l’approche patient-partenaire à laquelle collabore Philippe Karazivan à l’Université de Montréal, plus de 250 patients sont recrutés pour faire partie de l’équipe médicale en enrichissant la formation des étudiants de médecine par leur savoir expérientiel et leur vécu développé en côtoyant la maladie et la souffrance.

Dans cette optique, l’approche du médecin, plus universaliste, et celle du patient, plus singulière, se conjuguent dans un dialogue et influence la prise de décision relative aux soins.

« On vit de plus en plus dans une ère de maladies chroniques. 50 % de la population va vivre avec une maladie jusqu’à la fin de sa vie et n’en guérira pas ; je pense par exemple au diabète. Le défi principal sera d’adapter le projet de vie du patient avec la maladie et ça change complètement notre façon de soigner.

« Le concept de rétablissement est une autre façon de penser le soin. Nous ne sommes plus dans une logique de guérison comme s’il fallait enlever quelque chose, mais on essaie de permettre aux gens de s’accepter et de jouer un rôle actif dans la société en assumant leur pleine citoyenneté. »

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Si ce n’est pas la première fois que je me penche sur le sujet complexe de la santé mentale, je dois avouer que la rencontre de ces professionnels a contribué à pousser ma réflexion un cran plus loin.

Enquête faite, je pense que si la médecine et la psychologie fournissent des outils visant à un mieux-être, elles démontrent aussi que le sens dont la personne a besoin pour guérir se trouve ailleurs et qu’il leur est transcendant.

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.