Je suis catholique pro-choix

Je suis pro-choix. 
Je suis catho, pratiquante. Et je suis pro-choix.

Entendez-moi bien : je suis pro-choix. Genre un vrai choix.

Parce qu’il y a de ces choix qui n’en sont pas. 
À la colonie de vacances où j’ai jadis travaillé, on les appelle les faux-choix. 

Comme lorsque tu proposes à ton enfant qui ne veut pas manger de fruit de choisir entre la pomme et la banane. Ou quand, de façon encore plus sure, tu offres à l’enfant qui ne veut pas s’habiller chaudement de mettre son chapeau ou de rester à l’intérieur. Ça donne souvent le résultat escompté : il est content parce qu’il pense qu’il a décidé, alors qu’au fond, il n’a pas vraiment décidé.

Dans le milieu médical, on a donné au vrai choix, à cette décision qui revient au patient, le nom de choix éclairé ou consentement éclairé. Éclairé, dans le sens qu’on met tous les faits en lumière. 

Pour une prise de médicament, ça implique que le médecin explique les effets désirables et les effets indésirables de la nouvelle pilule. Dans le cas d’une intervention chirurgicale, le choix éclairé demande qu’on dresse la liste des potentielles complications, après avoir présenté les conséquences positives d’une telle intervention pour régler le problème.

C’est bien la base, me direz-vous. C’est important, voire essentiel pour prendre une bonne décision d’avoir en sa possession les tenants et les aboutissants en tête.

Ce que je devinais depuis quelques années, et dont j’ai eu la confirmation dans les dernières semaines, c’est qu’on éclipse entièrement le concept de choix éclairé de la question de l’avortement.

La statistique

C’est maintenant connu : le bébé que je porte sera handicapé. Il n’aura pas, selon toute vraisemblance, l’usage de ses jambes, de ses systèmes urinaire et digestif, en plus de souffrir fort probablement de troubles d’ordre cognitif.

En même temps, aucun pronostic n’est définitif, parce que l’échantillonnage d’enfants comme le nôtre qui voient le jour est ridiculement petit. Pas parce que les risques de mortalité naturelle in utero sont si importants, ni parce que c’est une malformation très rare (il s’agit en fait de la malformation neurologique la plus fréquente chez les bébés !)…

L’échantillonnage est aussi restreint parce que 99 % de ces bébés imparfaits se font avorter. 

99 %.

Elle est impressionnante, cette statistique. Et c’est bien cru, dit comme ça. Mais c’est notre généticien lui-même qui nous l’a donné, ce chiffre. Peut-être pour nous enlever la culpabilité de prendre une telle décision, en sous-entendant que « t’sais, tout le monde fait ça, alors vous seriez pas plus méchants ». 

Ou bien peut-être aussi pour nous mettre de la pression… «C’est qui les bizarres qui gardent un tel problème dans leur vie ? 1 % de bizarres… Vous en faites partie ? »

C’est sournois tout ça. Faut pas être parano, sauf que…

Une vraie médaille à deux côtés

Voici comment on aurait pu nous présenter la situation dans un monde idéal où le consentement éclairé serait réellement au centre des préoccupations du personnel médical qui nous « accompagne » : 

On commencerait par nous informer des soucis réels et tangibles qui affligent notre bébé (des fois, juste d’utiliser ce mot-là au lieu du mot fœtus, ça fait une différence… j’dis ça comme ça).

On nous expliquerait ce que ça implique à long terme comme complications, comme suivi concret en postnatal. Jusqu’ici, je ne demande pas nécessairement de gants roses : c’est important de bien connaitre l’ampleur de ce qui nous attendrait après l’accouchement, même si ça fait peur. 

Le médecin pourrait aussi présenter un peu de littérature sur le sujet, sur les cas pas jojo autant que sur les cas qui s’en sont plutôt bien sortis, malgré les pronostics. 

La question des parents qui revient le plus souvent lors de ces rencontres est : qu’en serait-il de sa qualité de vie ? Question légitime, s’il en est une. 

On pourrait présenter aux parents les résultats des études réalisées sur le sujet. Parce qu’il y en a, oui. Et elles sont sans équivoque : les personnes handicapées considèrent qu’elles ont une qualité de vie au moins moyenne, sinon bonne ou même très bonne ! 

Répondre aux questions

Elles sont là, les données probantes ; et ce sont elles qu’on devrait exposer. Pas les « votre enfant ne marchera peut-être jamais ». Parce que le « jamais » prend beaucoup plus d’importance dans la compréhension de la phrase que le « peut-être », qui n’est pas anodin !  

On pourrait aussi favoriser la rencontre avec un parent qui vit avec un enfant atteint du même syndrome ou « problème ». Juste parce qu’ils vivent cette réalité et qu’ils sont donc les mieux placés pour en parler. Pas pour convaincre de quoi que ce soit, mais seulement pour répondre aux questions qui concernent le quotidien, les écueils, les victoires.

Dans un système qui ne veut pas imposer aux femmes de tuer leur enfant imparfait, on présenterait aussi les impacts réels et étudiés, tant physiques que psychologiques, qu’une telle décision a dans la vie d’une femme, dans la vie d’un couple et d’une famille. Parce qu’avant même le débat moral, il y a des conséquences « tangibles » à l’avortement.

La première place aux femmes

Dans la situation qu’on vit actuellement, mon mari et moi, on sent que toute la dimension humaine est évacuée. Littéralement et métaphoriquement. Les médecins nous présentent des données, des statistiques, des constats purement médicaux. C’est ce qu’ils connaissent et maitrisent, bien sûr. 

Mais ils oublient que ce « souci » que je porte en mon sein nous apportera autre chose que des rendez-vous chez des spécialistes et qu’un abonnement à vie à la pharmacie du coin.

Je comprends les femmes qui optent pour l’avortement dans une situation comme la nôtre. Plusieurs facteurs propres à chaque mère sont à considérer. Ce texte n’est pas un jugement contre elles, loin de là. 

Ce bébé nous apportera la patience, l’ouverture, le temps. Il nous permettra de constater à quel point notre voisinage est généreux. Nous verrons à quel point nos familles sont présentes, à quel point certains professionnels de la santé sont attentionnés.  

Je comprends les femmes qui optent pour l’avortement dans une situation comme la nôtre. Plusieurs facteurs propres à chaque mère sont à considérer. Ce texte n’est pas un jugement contre elles, loin de là. 

Le vrai faux-choix

Assise dans le bureau du généticien et de la neuropédiatre, à me refaire proposer l’IMG * pour la énième fois, à me faire balancer les pires scénarios et les pires pronostics en pleine face, à me faire mépriser de ne pas hésiter à garder le bébé, assise là, je les comprenais, toutes ces femmes qui avortent. 

Ce qu’il y a de dramatique dans tout ça, ce n’est pas tant la décision qui est prise que celle qui n’est pas prise. La décision prise par dépit, par manque d’information, par peur, par manque de soutien. La décision prise sous pression. 

La mauvaise décision, c’est celle qui nous est imposée sournoisement. Et ce n’est pas les femmes qu’on doit blâmer ou juger pour ça ; elles en subissent déjà toutes les conséquences, ne vous inquiétez pas. 

C’est le système qui est imputable. 

C’est le système du faux-choix.

* Interruption médicale de grossesse.


Florence Malenfant

Détentrice d'un baccalauréat en histoire de l'art à l'université Laval et d'un certificat en révision linguistique, Florence a une affection particulière pour le bouillon de poulet et un faible pour la littérature russe!