Avec son dernier film Tolkien, Dome Karukoski effectue un virage à 180 degrés par rapport à son précédent Tom of Finland. Il est encore question d’artistes qui changent le monde, mais entre Tom et Tolkien, il y a tout un monde d’idées… et d’images !
Le film biographique raconte la vie de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973), le célèbre auteur anglais du Seigneur des anneaux.
C’est la première fois que je vais voir un film que j’ai beaucoup aimé et qui m’a beaucoup déçu en même temps. Je m’explique.
Des amitiés qui élèvent l’âme
Tolkien est ce genre de film qui nous donne le gout d’être une meilleure personne, de se donner à ses amis, de poursuivre l’amour, d’étudier la vérité, de créer du beau, de se battre pour ce qui est juste, d’élever son âme vers ce qui est noble et grand.
Un thème central du film est clairement celui de l’amitié. Mais pas de n’importe quelle amitié. Il est question d’amitié qui émule à la vertu. Amitiés fidèles, amitiés qui rêvent de changer le monde.
On y découvre entre autres que le jeune John Ronald avait formé avec ses amis une fraternité se réunissant chaque semaine dans un salon de thé à Birmingham. C’est là qu’ils échangeaient leurs idées sur l’art, le monde et la vie qu’ils découvraient ensemble.
Encore éprise du bel idéalisme propre à la jeunesse qui n’a pas encore expérimenté ses limites, notre jeune « communauté » rêvait de changer le monde par le beau. De quoi nous remémorer la célèbre maxime de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde ! »
La genèse du Seigneur des anneaux
Le scénario se concentre presqu’exclusivement sur les années d’études de John Ronald.
C’est durant ces années qui ont formé son caractère et marqué son imaginaire que Tolkien aurait trouvé l’inspiration pour écrire sa trilogie.
La genèse de son œuvre s’expliquerait ainsi par la genèse de sa vie.
Tous les grands thèmes qui ont marqué sa vie semblent avoir trouvé écho dans son œuvre.
Qu’il s’agisse de sa relation avec sa mère Mabel qui lui racontait des légendes, de ses amis de collège avec qui il a appris le dépassement, de ses études universitaires en philologie où il a compris l’importance du sens des mots, de sa première histoire d’amour avec Édith Bratt qui deviendra la femme de sa vie, ou encore de son passage sur les champs de batailles de la Première Guerre mondiale; tous les grands thèmes qui ont marqué sa vie semblent avoir trouvé écho dans son œuvre.
Quoique la thèse du scénariste soit claire, elle semble parfois quelque peu forcée. Tolkien était en réalité ce genre de grand artiste capable de dépasser l’expression de soi pour s’élever au niveau de l’universel. Son étude des mythes et légendes des cultures anciennes ainsi que sa vaste culture judéo-chrétienne l’avaient éveillé aux grandes idées qui ont su parler à l’humanité indépendamment des temps et des lieux.
Édulcoré de toute dimension de foi
Ma grande déception est venue le lendemain matin, une fois la poussière et l’émotion retombées.
C’est que l’aspect le plus important de la vie et de l’œuvre de Tolkien a complètement été évacué. Fâcheusement, le réalisateur finlandais a choisi d’évacuer de son long métrage la dimension de la foi.
Pourtant, tous ceux qui connaissent le plus célèbre de tous les linguistes anglais savent très bien qu’il était avant tout un catholique nourri aux plus riches sources de la grande tradition chrétienne occidentale. Autant dans sa vie que dans son œuvre, Tolkien a toujours voulu être fidèle à l’évangile – à tel point qu’un groupe s’est formé pour promouvoir sa cause de béatification.
On est presque face à une forme de négationnisme cinématographique ou à tout le moins une omission clairement motivée par des fins idéologiques, sinon commerciales.
Face à une biographie lissée de tout ce qui pourrait détonner avec l’esprit du monde, on n’est pas surpris que les héritiers de la famille Tolkien aient tenu à exprimer clairement qu’ils ne participaient ni même approuvaient le film d’aucune manière.
Évangélisation de l’imaginaire
Il est de notoriété publique aujourd’hui que les idées et idéaux chrétiens étaient au cœur du groupe des « inklings ». Ce groupe de professeurs de littérature d’Oxford dont faisait partie Tolkien avec son ami C. S. Lewis se réunissait régulièrement au désormais célèbre Eagle and Child Pub pour se lire leurs écrits.
Dans une de ses lettres, Tolkien affirme que le Seigneur des anneaux commence et se termine de manière explicitement catholique. Il visait avant tout à « évangéliser l’imaginaire ». En effet, tout l’univers est empreint des idéaux, symboles et vertus chrétiennes1.
En fait, toute l’histoire est tellement truffée de parallèles et d’analogies avec la Bible qu’il est impossible pour une âme quelque peu chrétienne de ne pas y penser à chaque instant.
En cherchant à évangéliser l’imaginaire, Tolkien voulait exprimer la foi de toujours dans une nouvelle forme pour rejoindre le monde sécularisé incapable de décoder le langage biblique. Comme l’explique Robert Barron dans une excellente petite vidéo, la plupart des gens ne sont pas attirés par la philosophie et la théologie. L’aspect très scientifique et abstrait de ces disciplines rebute à de nombreux esprits plus concrets et artistiques.
Par contre, tout le monde aime les histoires ! Comme la Bible est truffée d’histoires – de la Genèse à l’Évangile, en passant par l’Exode et les Actes de apôtres –, Tolkien a donc voulu raconter une histoire qui, en touchant les cœurs, transformerait des vies et illuminerait des esprits.
Allez-y surtout avec vos meilleurs amis
Si Tolkien ne passera certainement pas l’épreuve du temps, il vous fera sans doute passer un bon temps.
Et si vous allez le voir, allez-y surtout avec vos meilleurs amis et prévoyez passer ensuite le reste de la soirée ensemble dans un pub à refaire le monde !