À la Saint-Sébastien, l’hiver reprend ou se casse les dents.
Dicton picard
Aujourd’hui, c’est ma fête (je commence en sonnant le carillon !), et ceux qui me connaissent savent bien que je cultive deux dadas depuis mon enfance, les dates (notamment d’anniversaire) et tout ce qui concerne l’univers fantastique de J.R.R. Tolkien.
Je me suis dit qu’en ce jour, j’allais en profiter et me gâter un peu en combinant les deux.
Lors de mon retour à la foi, au début de la vingtaine — j’ai aujourd’hui 28 ans — j’étais fasciné par ces saints qui bénissent et ennoblissent les jours par leur fête et leur mémoire.
En effet, chaque nouvelle journée porte avec elle son lot de saints à connaitre, à célébrer, à imiter et à invoquer en cas de besoin.
Petit à petit, j’ai appris à entrer en syntonie avec l’année liturgique telle que l’Église nous la présente, avec son rythme, ses fêtes et ses solennités. Elle est comme la partition originale de laquelle chaque saint, et j’aimerais espérer chaque chrétien, est un contrepoint qui émerge pour former par communion une sublime et divine harmonie.
C’est pourquoi il est si important de commémorer les saints et leurs œuvres, car étant pécheurs tout comme nous, ils ont su recevoir la grâce de participer pleinement à la vie de l’Église, et ce « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Saint Sébastien : de protégé à martyr, de martyr à protecteur
Le calendrier liturgique offre deux « grands » saints pour le 20 janvier, Fabien et Sébastien. Le premier a été un pape fidèle et courageux au IIIe siècle lors d’une période trouble pour toute l’Église ; le second un jeune centurion milanais que l’on dit originaire de Gaule. Tous les deux ont subi le martyre à Rome, à moins d’un siècle d’intervalle.
Mon petit penchant guerrier m’a fait prendre le soldat romain comme saint patron.
Nous ne savons que très peu de choses sur la vie de saint Sébastien. Il était officier romain et un habile archer. L’empereur Dioclétien se serait pris d’affection pour lui, mais lorsqu’il sut qu’il était chrétien et qu’il opérait des miracles, il se sentit trahi, a fait attacher son protégé au tronc d’un arbre et ordonna à ses propres archers de l’exécuter en le trouant de leurs traits. Il a été transpercé de tous côtés, « couvert de flèches comme un hérisson », mais n’étant pas encore mort, l’empereur l’a achevé par bastonnade.
Le pape saint Damase lui a érigé une église au-dessus de sa tombe, une des sept fameuses basiliques majeures de Rome, à côté des catacombes qui portent son nom.
L’été dernier, j’ai eu la chance de faire le tour des sept églises, un pèlerinage urbain de 25 km instauré officieusement par saint Philippe Néri dans la première moitié du XVIe siècle, puis devenu officiel dès le début de la seconde. On l’effectuait normalement le jeudi gras, six jours avant le mercredi des Cendres, en contrepartie aux excès du Carnaval et comme ultime préparation au carême.
Saint-Sébastien est copatron de la Ville Éternelle avec saint Pierre et Paul, mais aussi patron des archers et soldats, des policiers et prisonniers, et des athlètes.
Un autre guerrier : Boromir
Ceci étant dit, la figure de ce saint et son martyre m’amènent vers un autre personnage qui est mort aussi criblé de flèches et dont le parcours spirituo-existentiel a toujours attiré mon attention. Il s’agit de Boromir, capitaine du Gondor et seigneur de la Tour de Garde.
Boromir est un personnage tiraillé, et cela se voit dès sa première apparition dans le premier tome du Seigneur des anneaux lors du Conseil d’Elrond à Fondcombe.
Fils ainé de l’intendant du Gondor, capitaine de son armée, homme fort et ambitieux, il a tout pour réussir et il l’a déjà prouvé à maintes reprises. Si Aragorn représente l’homme hanté par son passé et celui de sa famille, doutant de l’avenir et de sa capacité à accomplir son destin, Boromir, lui, est l’homme du présent et des accomplissements.
Pour sa part, il est rongé par son désir de satisfaire les attentes de son père et de voir leur patrie recouvrer sa gloire d’antan. Sa vaillance et son courage le précèdent et il a une haute estime de lui-même et de ses congénères. Ce qui l’empêche de voir la prudence des autres et l’oblige trop vite à la considérer comme de la lâcheté.
Étant le fils ainé et chouchouté de Denethor, habitué à prendre la vie à bras le corps, il n’a pas appris à se méfier de lui-même. C’est pourquoi nous le voyions toujours allant à contrecourant de la sagesse de Gandalf et d’Elrond, qui sera ensuite personnifiée par Aragorn devenu le chef de la communauté.
Et c’est sans doute pour cela qu’il n’était pas préparé à mener le vrai combat : le spirituel, contre soi-même.
Le combat contre soi
Plus il gravite dans le giron de l’Anneau, plus ce dernier acquiert un pouvoir sur lui. Lui, l’homme loyal et juste, arrivera à un tel degré d’aliénation qu’il en viendra à vouloir prendre l’Anneau de force.
La perfidie de l’Ennemi, celui que l’on connait autrement sous les noms d’Accusateur et Diffamateur, ce que Satan signifie, le porte à accuser Frodon de fourberie et de traitrise.
Nous retrouvons là toutes les vieilles ruses du Malin pour monter les braves gens les uns contre les autres. Cela scellera le destin de la communauté et mènera à sa dissolution. Ainsi l’Anneau, véritable diablerie, accomplira son ultime méfait en divisant ce qui jusque-là avait été uni.
Pour J.R.R. Tolkien, la finitude de l’homme et sa faiblesse ontologique, sa concupiscence (à prendre dans tous les sens du terme), qui n’est pas en soi nécessairement mauvaise, est aussi sa force et sa grandeur. En ce sens, son anthropologie, et c’est le cas de le dire, est profondément chrétienne.
Le choix de Boromir
Boromir représente la figure type de l’homme, du pécheur, mais aussi de la possibilité du repentir.
Après que Frodon lui ait glissé entre les doigts et se soit enfui, Boromir trébuche dans sa rage et revient à lui-même en pleurant amèrement.
Sa chute est aussi symbolique, car, bien que tombé sous le pouvoir de l’Anneau, du péché, c’est pour lui l’occasion de se convertir, de se retourner, d’entrer en lui-même et de se reconnaitre1 comme il est, faible et pécheur.
Ses larmes font écho à celles de Judas et de Pierre.
Alors, quel sera son choix ? Se scandaliser et s’enlever la vie ou bien se relever et la présenter dans une ultime offrande de soi ? L’histoire nous dit qu’il finira par saisir au vol l’occasion du repentir : il donnera sa vie en tentant de sauver ces petits que sont Pippin et Merry. L’occasion fait le larron et la grâce la sanctifie en promettant le Royaume.
« Saint Boromir »
En somme, Boromir, c’est moi, c’est nous ! C’est l’aventure de la grâce, le chemin de la sainteté.
Les saints sont une grande source d’inspiration, car ils sont pleinement humains : pas encore d’Elfes, d’Hobbits, ni de Nains dans le lot. Ils ont profondément cru que l’accomplissement de cette humanité se faisait en conformant leur vie à celle du Christ.
L’héroïsme de Boromir, sa « sainteté », se trouve là aussi. À l’instar de Frodon qui quitte seul, enfin presque, pour mener à terme son sacrifice, Boromir se jette seul dans la mêlée, abandonnant toute espérance de survivre, pour rendre manifeste la plus grande noblesse de sa race ; la capacité de mourir à soi par amour du prochain.
Etiam peccata et Felix culpa ! Car Dieu utilise même le péché pour faire triompher le bien, heureuse faute que celle de Boromir ! Bien que sa bévue fragmenta la communauté, c’était justement ce qu’il fallait pour que chacun puisse poursuivre sa propre mission.
Être chrétien c’est ça, cheminer pour accomplir notre mission tout en rendant celles des autres toujours un peu plus possible. L’Église a un terme pour ça… La communion des saints !
En cette journée où généralement l’hiver frappe de plein fouet, j’espère que nos cœurs puissent bruler du désir de marcher dans les pas du Christ.
Saint Sébastien (et Boromir ?), priez pour nous !
20 janvier 2020
Nicosie, Chypre
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