Stonehenge, Royaume-Uni (Jack B. / unsplash.com)
Stonehenge, Royaume-Uni (Jack B. / unsplash.com)

Un Cro-Magnon au cœur tendre?

Quand on conçoit la Préhistoire, on se fonde sur peu de connaissances. Nous observons quelques reliques archéologiques à partir desquelles nous spéculons sur les modes de vie de nos ancêtres. Sylvain Aubé explore ici l’hypothèse d’un homme préhistorique un peu moins brut que dans notre imaginaire.

La Préhistoire m’inspire une fascination croissante. Cette période de l’humanité est à la fois immense et obscure. L’histoire humaine recoupe environ cinq-mille ans alors que sa préhistoire en recoupe des centaines de milliers. L’ensemble de l’expérience humaine est presque entièrement dénuée de traces écrites.

Nos idées sur la Préhistoire relèvent donc en grande partie de notre imagination. Mais celle-ci n’est pas dénuée de valeur afin de former des idées au sujet de nos ancêtres.

En effet, bien que notre environnement et notre société soient entièrement différents des leurs, notre constitution est la même. Notre condition est le fruit de la leur. Nos pulsions et nos instincts ont été forgés par les exigences de la survie préhistorique.

Par exemple, notre désir excessif pour le gras et le sucre s’explique par les besoins nutritionnels de nos ancêtres. Le succès du fast-food est sensé quand on considère les bienfaits des aliments gras et sucrés pour des chasseurs-cueilleurs toujours en recherche de nutriments. Plusieurs autres traits de notre psyché peuvent être retracés jusqu’à nos ancêtres préhistoriques.

L’anatomie humaine est ainsi demeurée inchangée depuis des temps immémoriaux. Ces humains anciens étaient certes ignorants comparés à nous, mais leur capacité de raisonnement n’était pas moindre pour autant. Leurs cerveaux n’étaient pas moins développés que les nôtres. En dehors de nos acquis culturels, leur conscience n’était pas différente de la nôtre.

Des brutes ou des sages

Durant longtemps, on a imaginé que les hommes préhistoriques étaient des brutes : c’est l’image de l’homme qui assomme la femme pour ensuite la trainer par les cheveux jusque dans sa caverne. On supposait que l’entraide est un trait de la civilisation, et donc que les peuplades primitives étaient dénuées d’empathie. Pourtant, cette supposition est un préjugé sans fondement.

La civilisation ne suscite pas de facto l’entraide ou l’empathie. L’esclavage et la torture étaient monnaie courante parmi les anciens empires les plus civilisés, et la pire cruauté se manifeste jusque dans les régimes modernes hautement sophistiqués. Aucune comparaison ne laisse supposer que les sociétés primitives étaient moins empathiques que les sociétés modernes.

Au contraire, nous pouvons supposer que les peuples préhistoriques étaient dotés d’une grande empathie. Leur survie étant périlleuse au plus haut point, une solidarité sans faille était requise afin de résister à tous les dangers. La malnutrition, la maladie et les prédateurs représentaient des menaces constantes ; les petites tribus ne pouvaient se perpétuer qu’en se fiant à une empathie indéfectible unissant tous leurs membres.

On peut s’émerveiller de la simple survie de notre espèce face à un environnement austère et hostile.

En écartant la caricature de l’homme des cavernes brutal et cruel, il ne faut pas adhérer à la caricature inverse de l’homme préhistorique sage et bon. Nous trouvons des traces abondantes de conflits entre les tribus de la préhistoire ; on ne peut se faire d’illusion au sujet de la violence de cette époque. On peut supposer une forte empathie au sein de chaque groupe, mais cette empathie n’était certes pas étendue à l’humanité entière.

Néanmoins, quand on imagine la Préhistoire avec nuance, on peut s’émerveiller de la simple survie de notre espèce, dépourvue de griffes et du cuir des bêtes féroces, face à un environnement austère et hostile. On peut s’émerveiller de l’ingéniosité de nos ancêtres autant que de leur entraide, toutes deux étant nécessaires à leur survie étonnante.

Mystères des temps perdus

Au-delà de la survie et des qualités humaines qu’elle implique, je suis surtout fasciné par le regard que nos ancêtres préhistoriques pouvaient porter sur leur monde.

À leurs yeux, le monde entier était inconnu et mystérieux. Ils n’avaient aucune idée de la géographie continentale ; leur propre région pouvait leur être floue. L’horizon dépassait parfois les limites de leurs explorations, et chaque peuplade étrangère formait une ethnie inédite. Ils n’avaient que leur imagination pour concevoir le cosmos qu’ils habitaient.

Que pouvaient être les idéaux de leurs consciences primitives? Quelles pouvaient être leurs aspirations? Quels pouvaient être leurs tourments?

Ils nous ont légué de vastes monuments composés de pierres gigantesques : les œuvres mégalithiques. L’un des plus connus est Stonehenge en Angleterre. On ne sait pas trop dans quelle mesure la vocation de ces monuments était religieuse, sociale ou sépulcrale. On devine que ces imposantes constructions, érigées grâce à des travaux de grande ampleur collective, rendaient hommage aux dieux, à la communauté ou aux ancêtres.

Aussi, on trouve des traces de sacrifices divers et variés. Les hommes préhistoriques renonçaient à des proies, des outils et des bijoux pour les vouer aux offrandes. Ici encore, on ne sait pas trop à qui ou à quoi ces sacrifices étaient destinés, mais nous savons qu’ils étaient largement pratiqués à travers le monde. D’une certaine façon, nos ancêtres semblaient se reconnaitre un dû envers leur univers.

Une leçon de gratitude

À travers notre ignorance de la Préhistoire, nous pouvons discerner un archétype particulier parmi nos trouvailles archéologiques. Nos ancêtres voulaient rendre quelque chose qui leur avait été donné. Rendre hommage par des monuments, ou rendre un dû par des sacrifices. Pour des raisons et par des moyens qui nous sont étrangers, leur conscience les amenait à redonner une part de ce qu’ils avaient reçu.

Si les dangers étaient abondants et mortels, une forme de gratitude animait – malgré tout – le cœur de nos ancêtres.

Pourtant, ils habitaient un monde terrible. L’accès aux ressources était limité et périlleux alors que les dangers étaient abondants et mortels. Malgré tout, une forme de gratitude animait le cœur de nos ancêtres.

Nous qui habitons un monde sécuritaire et confortable comme il ne l’a jamais été, et qui sommes si souvent affligés par l’apitoiement et la rancœur, nous pouvons tirer des leçons de nos ancêtres oubliés.


Sylvain Aubé

Sylvain Aubé est fasciné par l’histoire humaine. Il aspire à éclairer notre regard en explorant les questions politiques et philosophiques. Avocat pratiquant le droit de la famille, son travail l’amène à côtoyer et à comprendre les épreuves qui affligent les familles d’aujourd’hui.