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La grande victoire de notre survivance

Les Américains ont leur Guerre d’indépendance, les Français leur révolution (ou le baptême de Clovis, si vous préférez), mais nous, les Québécois, quelle histoire avons-nous à nous raconter pour nous rendre fiers de nos origines et nous donner le gout d’aller vers notre pleine maturité?

Des récits qui laissent perplexes

Je suis navré de voir comment certains nationalistes, à la recherche de ce mythe fondateur, font des choix qui laissent perplexes. Un mythe fondateur, ou «récit national», est un évènement ou une lecture de l’Histoire susceptible de rassembler et de mobiliser un peuple.

Or, on propose souvent par exemple la révolte des Patriotes de 1837-1838; drôle d’idée que de se donner une défaite comme mythe fondateur. N’est-ce pas entretenir une mentalité de perdants? Ces évènements, s’ils constituent un fait saillant de notre histoire, n’ont pas laissé une trace importante dans la mémoire collective; pour la plupart des Québécois, on se rappelle surtout que c’est une journée de congé!

D’autres, principalement des babyboumeurs, opteraient plutôt pour la Révolution tranquille, mais cela semble dire que le Québec a commencé d’exister dans les années soixante. C’est ainsi mettre au rebut quatre siècles d’histoire, ce qui est un peu court pour fonder l’identité d’un peuple.

Lionel Groulx, le célèbre historien et prêtre, grand leadeur du renouveau nationaliste canadien-français au 20e siècle, avait déplacé le curseur à l’époque du Régime français, c’est-à-dire la période allant de la Découverte jusqu’à la Conquête britannique.

Certes, c’est une période inspirante, car elle nous raconte les débuts héroïques de notre histoire, période peuplée d’explorateurs, de chefs politiques et militaires, de missionnaires, de martyrs et de héros de toutes sortes. Mais cette épopée est aujourd’hui pratiquement ignorée de nos concitoyens.

Rappelons par ailleurs que, lorsque le drapeau anglais est planté sur les hauteurs de Québec en 1759, la Nouvelle-France compte à peine 70 000 habitants, ce qui est la population actuelle de Drummondville. Bref, ce beau récit, qui se termine en queue de poisson, n’est pas susceptible de rassembler le Québec moderne autour d’un projet d’avenir.

Une bataille, mais pas la guerre

Curieusement, c’est lors d’un voyage dans l’Ouest canadien que j’ai compris véritablement ce qu’était notre récit national, celui qui est susceptible de toucher le cœur des Québécois en leur donnant la fierté de leur passé et l’ambition pour l’avenir.

En effet, une anglophone me raconta le voyage que fit un jour sa mère à Québec. C’était, je crois, dans les années 1980. Observant que tout se passait en français – affichages, commerces, conversations –, elle eut cette réflexion: «I thought we had won the war

Quelle parole lumineuse! Elle croyait que les Anglais avaient gagné la guerre sur les plaines d’Abraham, mais elle s’apercevait qu’ils n’avaient emporté qu’une bataille, certes une bataille importante, celle de la Conquête, mais la guerre contre notre existence, notre identité, ils ne cessaient de la perdre depuis 250 ans.

Le voilà, me semble-t-il, notre récit national: la grande victoire de notre Survivance. C’est un mythe fondateur paradoxal, car il n’est pas inspiré d’une bataille glorieuse ou d’une épopée spectaculaire, mais il est peut-être d’autant plus glorieux qu’il nous raconte l’histoire d’un peuple qui, à travers les multiples humiliations et des conditions de vie difficiles, est devenu une nation dont la force de l’identité et l’originalité de la culture font l’envie de beaucoup de nos voisins.

Quelque chose de biblique

Ce développement démographique extraordinaire à partir du Régime anglais n’est pas sans rappeler celui des Hébreux sous la domination égyptienne.

Voilà une petite tribu de nomades qui, pendant son long séjour en Égypte, va devenir un peuple si nombreux et puissant que Pharaon va le craindre. On connait le reste de l’histoire: c’est dans le creuset de cette épreuve, le brutal esclavage des Égyptiens et la libération à travers les eaux de la mer Rouge, que va se produire la véritable naissance du peuple d’Israël.

Cet article est aussi paru dans notre numéro spécial de l’automne 2020 EXIL. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

«Je me souviens… que je suis né sous le lys et que j’ai grandi sous la rose», nous dit le poème d’où nous avons tiré notre devise nationale. Oui, nous sommes nés sous le Régime français et nous avons grandi sous le Régime anglais et nous avons connu, avec la Révolution tranquille, une sorte d’exode: affranchissement politique, économique et culturel qui reste encore imparfait (comme le fut d’ailleurs celui des Hébreux, qui errèrent quarante ans au désert).

La trame d’un unique récit

Cette idée de la Survivance comme mythe fondateur n’est pas nouvelle, elle a même animé la conscience historique des Canadiens français pendant longtemps; on peut dire qu’elle s’est éteinte avec la Révolution tranquille, car elle reposait sur la base identitaire de l’alliance de la langue et de la religion.

Cette identité est maintenant fondée sur la langue et la culture. Mais peu importe: nous sommes là, aujourd’hui, avec ce que nous sommes et nous pouvons en être fiers, non seulement de notre aujourd’hui, mais de tout ce qui et de tous ceux qui ont permis cet aujourd’hui.

Que ce soit donc le Régime français, les Patriotes ou la Révolution tranquille, toutes ces réalités constituent, me semble-t-il, la trame d’un unique récit qui devrait inspirer aux nouvelles générations le désir de poursuivre, quelles que soient nos options politiques, le chantier de notre édification nationale.


Martin Lagacé

Martin Lagacé est prêtre de la Communauté de l’Emmanuel depuis 1996. En 2012, il termine une maîtrise en philosophie à l’Université Laval sur Saint-Denys Garneau. Vicaire à la paroisse de St-Thomas d’Aquin dans le diocèse de Québec, il y fonde l’Observatoire Justice et Paix avec un groupe d’étudiants et de professionnels.