Conservateurs
Photo: David French/Rod Dreher/Sohrab Ahmari.

Trois options pour les conservateurs américains

La défaite du président américain Donald Trump devrait conduire à une réflexion sur l’avenir du Parti républicain et de l’idéologie politique qui le soutient intellectuellement, le conservatisme. On peut d’ailleurs observer un débat dans les milieux intellectuels conservateurs et chrétiens. Plusieurs tentent de déterminer la meilleure approche à adopter pour réagir aux transformations sociales, économiques, politiques et religieuses qui se poursuivent aux États-Unis. Ces réflexions auxquelles contribuent d’importantes figures peuvent enrichir nos propres conversations.

Naturellement, tous les chrétiens ne sont pas conservateurs. De même, sur certaines questions, notamment économiques, la doctrine sociale de l’Église revêt un caractère particulièrement progressiste, si comprise selon nos catégories politiques habituelles.

Ceci dit, le groupe composé des chrétiens de diverses dénominations partageant une vision conservatrice de la société joue un rôle crucial dans la définition du programme républicain, pour des raisons essentiellement liées à la polarisation politique des questions sociales aux États-Unis. 

L’orientation que prendront les chrétiens conservateurs contribuera à définir le visage du Parti républicain du futur.

En s’intéressant à ce débat, auquel participent des personnes comme David French, Sohrab Ahmari et Rod Dreher, on peut identifier trois principales voies d’avenir pour les chrétiens conservateurs, de plus en plus minoritaires aux États-Unis, comme ailleurs : le communautarisme, le pluralisme et l’intégralisme.

Écoutez la chronique de Benjamin sur le même sujet à On n’est pas du monde (4m33).

Ces catégories ne sont pas uniquement pertinentes pour comprendre le débat américain. Elles permettent de réfléchir aux moyens dont disposent des catholiques soucieux de défendre leur religion dans la sphère publique, ici également.

À l’écart du monde

Conservateurs
Rod Dreher. Photo : Elekes Andor / Wikimedia Commons.

Pour les tenants du communautarisme comme Rod Dreher, la « guerre culturelle » opposant conservateurs chrétiens et libéraux agnostiques est effectivement perdue. Il n’est plus utile de chercher à combattre dans la sphère politique et culturelle autour d’enjeux qui ont historiquement préoccupé les chrétiens. 

Plutôt, ces derniers devraient se retirer dans des communautés intentionnelles, des groupes capables de vivre selon des valeurs et des croyances chrétiennes authentiques et qui se soucient de les transmettre à leur enfant. Cette manière de faire a été d’ailleurs adoptée par d’autres groupes religieux minoritaires ou persécutés dans l’histoire. Selon ses défenseurs, elle devrait être protégée par une vision très large de la liberté de religion.

Décentraliser

Conservateurs
David French. Photo : Gage Skidmore / Wikimedia Commons.

La solution du pluralisme défendue par David French est différente. Pour les tenants de cette position, la société américaine (mais nous pourrions aussi très bien parler du Québec) est trop diverse et trop complexe pour être ordonnée à un seul bien commun. Les divers groupes et individus qui la composent partagent très souvent peu de choses et ne sont réunis que par la citoyenneté. Pour fonctionner, une société plurielle doit être libérale (c’est-à-dire soucieuse de faire respecter les libertés individuelles avant tout) et décentralisée, pour permettre à des communautés plus concrètes de vivre selon leurs valeurs et leurs coutumes. 

Évidemment, la société plurielle — dans laquelle nous vivons effectivement — est souvent frustrante pour ceux qui ne partagent pas l’individualisme comme une valeur et jugent que la poursuite des biens humains les plus élevés concerne l’ensemble de la société. 

L’implication politique

Les défenseurs de l’intégralisme — une notion de plus en plus couramment utilisée dans ces débats — sont généralement des figures controversées, comme Sohrab Ahmari. Pour ces derniers, l’arène politique est un lieu de confrontation et doit être traitée comme tel.

Photo: Sohrab Ahmari (Tirée de sa page Facebook)

Plutôt que de se retirer dans un espace communautaire privé et d’accepter comme une réalité inévitable le caractère pluriel des sociétés occidentales (et en particulier des États-Unis), les défenseurs de cette approche considèrent qu’il leur appartient, en tant que citoyens conservateurs et chrétiens, de mettre de l’avant leurs positions sur toutes les questions pertinentes et de chercher à les voir triompher par les moyens politiques disponibles. 

Une telle approche, dont le réalisme et la viabilité sont éminemment contestables — même aux États-Unis —, est pour certains l’expression radicalisée d’un combat d’arrière-garde essoufflé. Pour d’autres, elle est la manifestation courageuse d’un ardent désir de justice dans une culture ou l’atomisation de la société et le progrès d’une idéologie viciée empêchent la poursuite du bien commun. 

Une question déterminante

L’orientation que prendront les chrétiens conservateurs contribuera à définir le visage du Parti républicain du futur, alors que des impératifs économiques et politiques peuvent entrer en contradiction avec la défense de valeurs et de pratiques chères au cœur de plusieurs de ses sympathisants.

Une solution viable et réaliste — qu’elle soit communautariste, pluraliste, intégraliste ou autre — devra être trouvée si les républicains veulent prendre le pouvoir à nouveau, si les conservateurs souhaitent préserver certaines institutions sociales et désirent que le filigrane religieux continue de s’imprimer sur le tissu social américain. 


Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Quand il n’est pas en congé parental, il assume au Verbe médias le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés.