Photo: Rolf Hecken/Unsplash

Au-delà de la fatigue culturelle avec Lamonde

Le travail du deuil peut mener à un être souverain, à un acte souverain capable de créer un évènement qui ouvre sur l’histoire.

Lamonde, p. 109

Historien et professeur retraité du département de langue et littérature française de l’Université McGill, Yvan Lamonde nous livre ici une ultime réflexion en regard de toutes ses années de recherches sur l’histoire des idées au Québec.

Voici l’occasion de lire ou de relire Un coin dans la mémoire, paru d’abord en mars 2017 chez Leméac et récemment republié dans la collection Nomade chez le même éditeur.

Après près d’un demi-siècle d’études sur le sujet, on s’étonne de la brièveté d’un tel ouvrage. Avec ses 188 pages, Un coin dans la mémoire surprend agréablement par la pensée concise et accessible de son auteur.

Le coin qui divise

Comme l’écrit Lamonde dans les pages liminaires, le coin est un «instrument de métal en forme de biseau servant à fendre le bois».C’est le concept de la division que l’essayiste conçoit ici comme un coin dans la mémoire et dans l’identité.

La division aurait « façonné l’empêchement le plus structurant de la pensée et de l’agir québécois ». (p. 17) Enfin, elle sévit de la Conquête (où les Anglais s’efforçaient de « diviser pour mieux régner ») à aujourd’hui (ou le québécois reproduit lui-même la division).

Il en résulte une pensée québécoise bicéphale que l’on distingue dans ces deux grands courants de pensée : celui du nationalisme d’émancipation (des Patriotes au Parti québécois) et celui du nationalisme de conservation (de Lionel-Groulx à Bock-Côté).

Quant aux effets de cette division, ils sont nombreux (pauvreté, fatigue, défaite, ambivalence, inachèvement, impuissance).

Surtout, elle fige et empêche l’autonomisation.

Remédier à la fatigue culturelle

Et si l’on regardait à soi, propose Lamonde, pour trouver les raisons qui perpétuent le colonialisme.

Selon lui, il faut reconquérir une confiance en soi.

Pour ce faire, il faut briser la ligne des défaites de notre histoire. Comment en effet se définir devant une histoire de défaites ? Il s’agirait de voir les choses autrement.

Pour faire sortir le coin si profondément enfoncé dans notre mémoire, Lamonde soutient qu’il faut faire éclater la mémoire. Cet éclatement de la mémoire briserait le moule de la pensée bicéphale (scindée en deux) et réunirait modernité et tradition.

Rapailler

L’esprit critique, celui de Gaston Miron notamment, permettrait de travailler à la décolonisation (celle mentale du moins), de suturer ainsi le politique et le culturel, de rapailler, comme le disait le poète national lui-même.

C’est dans cette ligne de pensée que Lamonde tente de s’inscrire et propose de tendre à « l’universel ». Il s’agirait donc de concilier les différentes sources de l’identité québécoise (française, anglaise, catholique romaine et états-unienne) et de sortir de l’immobilité mémorielle.

Certes, dans le cadre du multiculturalisme, soulever la question nationale est devenue suspect, mais l’essayiste propose néanmoins de développer une Culture civique commune dont il évoque les principaux points à développer.

Car c’est dans le rapport au passé que le coin subsiste et entraine un sentiment de dépossession.

Le coin, c’est penser sans cesse l’avant de la Conquête comme le paradis perdu.

En guise de conclusion

Pour terminer, Lamonde soutient qu’il y a une pensée atavique chez les Québécois qui croient qu’il « faut tout prendre du passé ».

Or, ne faut-il pas choisir, nous dit Lamonde ? Faire des choix et faire des deuils :

« Le difficile travail du deuil est concevable et acceptable pour ce qu’il génère : le soi, plein de l’antérieur métabolisé. Le soi, bien lesté, bien délesté de ce dont il a choisi de se délester pour naviguer. » (p. 108)

À cela, on conclura sur deux petites réflexions.

D’abord, Lamonde différait de la majorité des professeurs de sa génération en ce qu’il tentait de mettre en valeur les manifestations et les acteurs de notre histoire en quête d’une conciliation des valeurs (passées et modernes).

On reconnait ici aussi ce même souci, que l’on comprend comme solution pour penser les questions historiconationales du Québec.

Enfin, concernant les règles d’une culture civique à établir, on se demande si la chose est encore possible dans le contexte actuel, que Lamonde reconnait lui-même, où toute réflexion « nationale » est vue comme « suspecte » et, qui plus est, où la nation, devenue majorité, est déjà en voie de devenir minoritaire aux dires de certains.

Mais c’est là encore une forme de fatigue que de formuler les choses ainsi.

Et si nous prenions Lamonde au mot et que nous tentions l’exercice d’établir ces règles d’une culture civique commune ? Pour le lecteur du Verbe, que seraient-elles ?

* * *

Yvan Lamonde, Un Coin dans la mémoire, Montréal, Leméac (Nomades), 2017 188 pages.


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Émilie Théorêt

Émilie Théorêt détient un doctorat en études littéraires. En historienne de la littérature, elle aime interroger les choix qui ont façonné et qui façonnent encore la société québécoise.