Pourquoi est-ce que les représentations du Christ, de la Vierge et des saints sont si variées dans le catholicisme tandis que les icônes sont rigoureusement fixes dans les Églises orthodoxes?
Ma dernière chronique portait sur le décor figuratif dans les églises catholiques. Je vais y faire suite dans ce second billet ayant pour thème l’iconographie en répondant à cette autre question souvent posée en lien avec les usages de l’image par l’Église.
Il faut tout d’abord commencer par dire que les traditions iconographiques distinctes précèdent le grand schisme de 1054 qui sépara définitivement l’église romaine catholique des églises orientales orthodoxes.
Nous devons concevoir le schisme – autant sur les plans artistique et politique, que théologique – comme un progressif éloignement entre orient et occident et non comme une cassure brutale et instantanée.
Le mandylion
En Orient, dès les origines du christianisme, la tradition de représentation du divin est celle de l’icône. La première icône connue est le mandylion. Il s’agit d’un morceau de tissus rectangulaire sur lequel le visage du Christ aurait été miraculeusement imprimé de son vivant.
Mentionnons au passage que certains historiens pensent qu’il pourrait s’agir du suaire de Turin.
Toujours est-il que c’est de cette image miraculeuse que naitront les standards de l’icône.
L’icône tire du mandylion son format rectangulaire, mais surtout l’idée du portrait authentique. Plus qu’une simple peinture, l’icône est perçue comme le portrait véritable de ce qu’elle représente. Si vous voulez simplifier, l’on peut dire que pour les gens de l’époque, l’icône est une espèce de « photographie » du Christ, de la Vierge ou d’un saint… plusieurs siècles avant l’invention du procédé!
Cette conception interdit donc toute interprétation artistique du sujet puisque le peintre doit représenter son modèle selon son image « véritable ». Il en découle par conséquent une production artistique très rigide, avec de nombreux codes à respecter, autant au niveau des traits du visage, des vêtements, de l’arrière-plan, que de la forme générale de l’image. Cette conception entraine également une grande vénération de l’image puisqu’elle incarne la présence du divin dans l’icône, qui devient un objet de dévotion pour le fidèle.
L’affect ou l’intellect?
Par opposition, le christianisme occidental est très souple en termes de représentation du divin.
Il n’y a aucun canon esthétique comparable à celle des icônes auquel les artistes devront se soumettre en Occident. Il en est ainsi parce que la pensée de l’Église occidentale, grandement influencée par Platon, et théorisée en premier lieu par Augustin d’Hippone (354-430), incite à se détacher de l’image pour entrer en soi-même afin de se connecter aux vérités essentielles par le biais de ce qui nous en approche le plus, notre âme.
Pour saint Augustin, la vision spirituelle a besoin de la vision intellectuelle. Le rapport au divin se fait par l’intellect et non par l’affect.
La vérité ne se voit pas avec les yeux du corps, mais par l’intellect. L’image extérieure n’est que le reflet d’une réalité, d’une vérité intérieure qui n’est accessible que par l’intellect.
Dès lors, l’accès à Dieu se trouve au-delà de toute image, même mentale.
Par conséquent, Augustin favorise la lecture des Écritures au détriment de la contemplation des images. Il affirme cependant que le lecteur va forcément se faire des images mentales du texte qu’il aura lu. Ces images vont venir aider à soutenir la réflexion du fidèle, mais elles seront propres à chacun.
Pour Augustin, le divin n’est pas présent dans l’image; celle-ci n’est qu’un renvoi à quelque chose de plus grand.
En conséquence, la forme, les canons, les standards de l’image de dévotion importent peu, puisqu’elle est propre à chacun. De plus, elle est perçue comme un reflet d’une réalité plus grande et non un portrait du divin comme en Orient.
Pour Augustin, le divin n’est pas présent dans l’image; celle-ci est un simple renvoi à quelque chose de plus grand qui se construit grâce à l’intellect.
(À) l’image du Christ?
Grégoire le Grand (540-604) va notamment se baser sur Augustin pour justifier l’usage de l’image. Il va présenter l’image comme une occasion d’émotion qui accompagne le texte et permet de mieux se le représenter intellectuellement. Au XIIesiècle, Thomas d’Aquin théorisera plus amplement les liens entre l’affect et l’image (lesquels liens seront le sujet d’une future chronique!).
Enfin, on peut affirmer que, pour l’Église catholique romaine, une image du Christ dans un livre des heures, en peinture ou en fresque est à l’image du Christ, et non l’image du Christ. Elle est le fruit de l’imagination humaine et non le calque d’une révélation divine comme c’est le cas pour les églises orthodoxes orientales.
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