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Illustration : Marie-Pier LaRose

Désirs de célibataires

Au Québec, quatre personnes sur dix sont célibataires. Mais au fait, qu’est-ce qu’un célibataire ? Répondre à cette question n’est pas si simple, car, malgré quelques grandes lignes communes, la palette de couleurs du célibat apparait très variée : choisi, subi ou consenti ; jeune, veuf ou divorcé ; laïc, prêtre ou consacré, etc. Après avoir discuté avec quatre femmes et deux hommes célibataires, force est de constater qu’il est complexe, voire quasi impossible, de parler du célibat sans parler du désir de relation. Comme si ces deux réalités qui nous semblent souvent contraires ne peuvent faire route l’une sans l’autre. Regard sur ceux pour qui la solitude appelle la communion.

Luc est un père monoparental célibataire. Avoir des enfants et être en recherche de l’âme sœur amène son lot de défis.

Dans le sprint des réalités du quotidien, il a souvent demandé au Seigneur de lui envoyer quelqu’un avec qui il serait bien et pour qui il rendrait grâce à chaque regard. Mais les femmes seules et croyantes dans la trentaine ne courent pas les rues.

Il a vécu beaucoup d’incompréhensions et en a parfois voulu à Dieu.

Être ou ne pas être (avec un partenaire catholique)

Marion, 25 ans, qui a « eu l’âge officiel des vieilles filles », comme elle le dit en riant, se déclare « célibataire non pas par choix, mais pas non plus par dépit ». Certains critères par rapport à la foi sont essentiels pour elle au sein d’une relation : « Ça pourrait fonctionner pour un temps, mais je pense que ce serait difficile sur le long terme. »

« Je pense que, dans la vie, il faut qu’on ait certaines valeurs, certains principes sur lesquels on ne peut pas faire de compromis. Il y a des choses dont je me fous, mais en termes de fondements de vie importants, je me dis que, si je ne respecte pas ça, ben je ne me respecte pas. »

Marion

Elle n’est pas fermée pour autant et reste attentive, mais il y a tout de même quelques grandes lignes directrices, quelques convictions qui lui servent de boussole : « Je pense que, dans la vie, il faut qu’on ait certaines valeurs, certains principes sur lesquels on ne peut pas faire de compromis. Il y a des choses dont je me fous, mais en termes de fondements de vie importants, je me dis que, si je ne respecte pas ça, ben je ne me respecte pas. »

Difficile de ne pas tomber dans la crevasse du cliché dès le moment où la foi est abordée. En tout cas, pour Luc, ce fut une grande déception de se cogner plusieurs fois à une totale fermeture dès le moment où il l’évoquait, pourtant avec grande délicatesse, auprès de personnes non croyantes. Il aurait tant à offrir, mais il choisit, au-delà de sa souffrance, de vivre son célibat comme un sacrifice, au lieu de retourner à son ancienne vie. « Si moi je change, la bonne personne, elle, risque de ne pas me reconnaitre. »

Séduction divine

Dans son ancienne vie, avant sa conversion, Luc a peu connu le célibat : « Lorsque la notion de séduire passe au deuxième ou troisième rang, qu’elle ne fait plus partie de ta vie, là tu te rends compte que non seulement rencontrer quelqu’un est quelque chose de beaucoup plus touchy, mais qu’uniquement le type de personne que tu recherches va reconnaitre ta force. »

Ses déceptions ont beaucoup travaillé son chemin de foi. Pourtant, à une époque où son approche était différente, peu d’obstacles l’empêchaient d’arriver à son but. Qu’est-ce qui a changé ? Le regard sur l’autre peut-être… « Ça les déstabilise, le fait que tu ne les séduises pas de la même façon que ce à quoi elles sont habituées. Ça les rend inconfortables et elles ne savent pas sur quel pied danser, on dirait. »

Cet article est aussi paru dans notre numéro spécial du printemps 2021 VISITATION. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Démontrer son intérêt est un art et un défi, particulièrement dans l’univers de la foi. Mélanie, dans la trentaine, dit avoir « longtemps essayé de séduire, d’attirer le regard pour voir si on [la] trouve belle ». Mais alors, comment séduire divinement bien ? « J’essaye d’une autre façon », conclut Luc. « De les séduire comme le Seigneur m’a séduit, avec de la patience, de l’abandon, du don de soi, de la tempérance. » Bref, plusieurs rêvent d’un amour plus agapê qu’éros, du moins dans les fondements.

Troquer l’ambigüité contre la clarté d’intention, autre point pas toujours simple : « Un gars qui est clair dans ses intentions, c’est vraiment quelque chose de rare maintenant. Tout est flou. Montre-moi ton intérêt. Si tu veux une date, demande-le-moi. » Mais cela crée une certaine vulnérabilité. « Je pense qu’on est vraiment une génération qui ne veut pas être vulnérable. C’est souvent un concours : qui va laisser tomber sa garde en dernier ? »

Pour un flirt avec toi… je ferais n’importe quoi ?

« Tu cherches la bonne ou une bonne… ? Parce qu’à un moment, tes choix deviennent à la fois plus spécifiques et plus larges. »

Vouloir une fille blonde aux yeux bleus de tel âge, c’est très spécifique, explique Luc. « Mais moi, qu’elle soit jeune ou vieille, ça ne me dérange pas. Ce que je veux, c’est qu’elle ait un beau cœur et qu’elle m’accueille. Donc, il me semble que mes critères de sélection sont rendus plus spécifiques, mais bien moins pointus. Et pourtant, je ne trouve pas. C’est comme un paradoxe ! » dit-il. Reste que, pour plusieurs, le piège, c’est de tomber dans l’envie d’envoyer valser ses critères profonds.

S’entourer dans un contexte amical ou s’impliquer dans des loisirs est une clé pour se donner la chance de rencontrer quelqu’un. Toutefois, attention de ne pas tomber dans cette « spirale » de faire une activité pour trouver quelqu’un. Il ne s’agit pas de s’épuiser à chercher quelqu’un en tombant dans un perpétuel « est-ce celle-là, Seigneur ? » Très « énergivore ».

Top 5 des pires phrases à dire à un célibataire, selon des célibataires

Avis aux non-célibataires ! Faits vécus. Parfois, nous saisissons mal la portée de nos mots. Bref, prenez quelques notes pour aiguiller votre prochain souper de famille…

  1. « Au fond, c’est parce que t’es trop difficile, descends tes critères. »
  2. « Arrange-toi un peu plus [physiquement]. »
  3. « Ce doit être vraiment dur ! » Tenir automatiquement pour acquis que, si la personne est célibataire, elle est automatiquement malheureuse.
  4. « Peut-être que tu es fait pour être seul(e) ? »
  5. « Faut que tu y penses, l’horloge biologique, elle tourne. »
En prime

Ce qui les touche le plus ? Qu’on prenne du temps pour eux. Une petite soirée de temps en temps, ça fait tellement du bien ! Pensez à inviter votre ami célibataire au resto ou ailleurs un de ces jours !

Rendez-vous galant sur le clavier

Dans l’ère des Tinder et Bumble de ce monde – ou CatholicMatch, Heavn et Theotokos pour une recherche ciblée « chrétienne » –, les rencontres vont vite. L’accessibilité n’est toutefois pas synonyme de succès, au dire des célibataires questionnés. Le virtuel a le vent dans les voiles, aux dépens de ceux qui ne se relient pas à des réseaux de rencontre : « On est rendu à me dire : “Ouin, mais si tu veux mettre toutes les chances de ton côté…” Vouloir être authentique, c’est mettre moins de chances de mon côté ? » se demande celle qui ne trouve pas que le virtuel colle bien à sa couleur.

D’autres y trouvent toutefois leur compte : « Tinder, c’est un peu comme une scène », explique Vincent, infirmier de 22 ans à Kuujjuaq, qui ne se dit pas croyant. « On monte chacun notre tour, on fait une parade nuptiale, pis après on décide d’arrêter de se parler ou on essaye de quoi ou c’est juste comme une amie. »

Bref, aujourd’hui, on « fréquente » encore surement dans des cafés, mais les applications de rencontre restent un classique, qui plus est en temps de pandémie ! Vincent a trouvé que Tinder, qu’il installe « périodiquement », l’avait aidé à clarifier ses critères.

Arrêter d’associer uniquement célibat à souffrance ne ferait pas de tort.

« Le célibat est un engagement »

Le célibat est-il l’absence de vie amoureuse, ou ne serait-il pas plutôt une forme d’état de vie ? Certains disent qu’il s’agit d’une vocation, ne croyant pas que tout le monde soit appelé à vivre en couple. Mais le désir d’être en relation est fort et naturel : « Pendant des années, je me suis menti à moi-même en disant : “Ah ! je m’en fous d’être célibataire”, mais au fond, c’est de l’orgueil. C’est comme de dire : “Moi, je suis au-dessus de ça, j’ai pas besoin de ça.” Et je pense que, dans le monde, c’est une attitude qui prime, de dire : “Je peux me fier à moi-même, j’ai pas besoin de quelqu’un.” Si j’ai besoin de quelqu’un, c’est comme avouer une faiblesse. »

Arrêter d’associer uniquement célibat à souffrance ne ferait pas de tort. « Il faut avoir conscience qu’être en couple, ça ne va pas tout réparer, tout combler. Le célibat, c’est un état de vie qui est légitime aussi. Je pense que ça aiderait mieux les personnes qui veulent se marier à se préparer à cette étape ! »

Il fait bon vivre le célibat dans une attente active. Ainsi, même si cette réalité de vie fait miroiter parfois une absence d’engagements qui laisse une liberté totale, « il y a quand même un engagement à faire envers le Seigneur. C’est la première relation. Il faut s’engager à soi aussi pour accepter de se regarder, intérieurement et physiquement. Il faut apprendre à s’aimer ».

L’engagement est un enjeu important en 2021, souligne Vincent. Comme plusieurs jeunes de sa génération, il accorde la priorité aux expériences de vie plutôt qu’à la construction d’une vie de couple stable dans l’immédiat. Malgré tout, il garde en tête cet objectif sur le long terme. Pour lui, cette priorité est une bonne chose, permettant d’avoir du plaisir et de « viser une santé mentale plus stable – mise de plus en plus à l’avant-plan – plutôt que d’avoir un travail qu’on aime plus ou moins, après ça d’avoir une crise à 35-40 ans parce qu’on se rend compte qu’on a raté notre vie ».

Prendre le temps de se bâtir soi d’abord, « être sure de qui je suis avant d’être en couple pour ne pas être dépendante… Parce que j’ai besoin d’une liberté », souffle Anne-Sophie, 19 ans.

« Peut-être une tendance à vouloir des bases plus solides dans différentes sphères de nos vies, plutôt qu’uniquement dans notre vie de couple et familiale ? » questionne Vincent. La réflexion mérite d’être soulignée.

La petite voix pas fine

Considérer le célibat comme une punition personnelle, comme si le Seigneur trouvait que telle personne n’avait pas atteint un degré de croissance suffisant pour qu’il lui donne le ou la bonne, c’est une petite voix contre laquelle il faut se battre. Elle susurre : « Mais qu’est-ce que je fais de pas correct, mon Dieu, c’est quoi [la compétence] qu’il me manque ? » Mais à quoi ou à qui s’accrocher quand c’est difficile ? La relation avec Dieu et la prière. Ce fameux vide, il n’y a peut-être que Dieu qui peut le remplir, au fond, même quand on est en couple. « Tu peux être avec quelqu’un, mais être très seule. »

Parlons tendresse et sexualité !

« Ce que je trouve le plus difficile dans le célibat, peut-être amplifié par le fait que je suis loin de ma famille et de mes amis, c’est le manque de contacts physiques, sans nécessairement qu’il y ait une sexualité qui soit rattachée à ça. »

Ce sentiment vient par « phases » : « Parfois, ça me manque, mais j’essaye de m’occuper. Le plus dur, c’est de ne pas tomber dans le “Ah je suis seule, je suis trop laide, personne m’aime”. On fait tous ça une fois de temps en temps, un peu comme un manque de confiance. »

Certains prendront le chemin de l’abstinence sexuelle à travers leur réalité de célibataire, mais ce n’est pas une mince affaire, surtout lorsqu’elle n’a pas été vécue dans une vie relationnelle antérieure. Pornographie, masturbation, relation d’un soir, etc. Chacun vit les enjeux de sa sexualité différemment, au mieux de ses capacités.

Le no man’s land des célibataires

Devant le défi complexe que représente le célibat qui cohabite avec un désir profond de trouver le grand amour, les ressources semblent rares et précieuses. « Je n’ai aucune référence, je n’ai aucun conseil et j’ouvre tout le temps des portes vers l’inconnu. Même ceux qui me conseillent, ils ne savent pas quoi me dire. » Il y a un manque criant de soutien, d’activités et de place pour les personnes célibataires, particulièrement dans l’Église, mais en société aussi !

Les périodes festives semblent être particulièrement difficiles pour les gens qui ne sont pas « en couple ». Quand c’est trop dur « sur les réseaux sociaux, voir tout le monde qui est si beau, si heureux, pendant certaines périodes », la solution est peut-être de couper Instagram et autres. Certaines le font…

Se réjouir de ce qui arrive aux autres demande aussi des efforts supplémentaires de temps en temps. Les sentiments d’envie et de jalousie guettent : « Quand on voit que de plus en plus de nos amis se marient, ont des enfants, tu veux te réjouir, mais en dedans de toi, le désir crie quand même et ça devient comme une écorchure. »

Beaucoup sont aux prises avec ce même défi : « L’envie ou parfois la jalousie, c’est normal. Mais en l’identifiant, en le nommant, ça permet d’aller chercher les outils et de comprendre pourquoi ! »

« Est-ce que parce qu’on est célibataire on ne porte pas de fruit ? » Au contraire, le monde a besoin de ces gens qui ont un espace libre pour accueillir et « s’occuper plus des affaires de Dieu, comme il est écrit dans la Bible (1 Corinthiens 7, 34) ». Être dans le don de soi comble et permet de voir les fruits de sa vie !


Marie-Jeanne Fontaine

Diplômée en sexologie, Marie-Jeanne chante, jase et écrit. Femme de cœur (elle essaye !), elle trace sa petite route dans le Grand Large du Bon Dieu. Vous la trouverez devant son piano ou dans sa cour arrière, au soleil, en train de faire fleurir ses idées entre deux éclats de rire et un café.