Sur scène, Marie-Josée Lord est certes la più granda soprano du Québec, mais autour d’une table, entre un pot-au-feu et un saumon en croute, elle parle piano piano, à mezza-voce. Lorsqu’elle répond à mes questions sur sa foi, sur ce qui l’anime et sur Celui qui l’habite, elle est délicate, feutrée, comme si elle fredonnait un petit air secret qu’elle voulait chanter pour Dieu seul.
Elle n’a pas froid à ses yeux bleus. Dès son premier album, en 2010, Marie-Josée Lord affichait ses couleurs à même son livret: «Je suis reconnaissante à l’Éternel Dieu Créateur, à mon Seigneur et Sauveur Jésus Christ qui, dans son amour immense, est venu visiter Haïti, pays du tiers-monde, et a vu en moi, malgré le petit être quelque peu mal en point que j’étais, une destinée que personne n’aurait pu imaginer et prédire.»
Ouverture
Qui, en effet, aurait pu prédire que cette petite Haïtienne, adoptée à l’âge de six ans par un couple de Blancs de Lévis, deviendrait soprano de renommée internationale? Personne. Dieu seul, semble-t-il.
La petite s’est tout de même bien adaptée au Québec, même si elle a dû tout apprendre de sa nouvelle culture, de sa nouvelle langue, de son nouveau climat. Elle a même dû apprendre à manger, puisqu’elle avait été sous-alimentée.
À l’âge de sept ans, elle commence à étudier le piano, mais cesse d’en jouer entre 14 et 17 ans. Le violon avait fait son apparition depuis l’âge de 11 ans, et avec l’école en plus, c’était trop. Un accident lui causant une blessure à l’épaule allait mettre fin au violon définitivement.
À son entrée au Conservatoire de Québec en piano, elle n’a pas la passion pour l’instrument. C’était comme si le piano était un obstacle entre la musique et elle…
C’est à 22 ans qu’elle découvre son instrument: la voix! Au Conservatoire, où elle étudiait le piano, elle entend les élèves de l’Atelier lyrique qui répètent Les noces de Figaro, de Mozart. Le directeur l’invite et elle assistera par la suite à chacune des répétitions. Le piano venait de disparaitre! «Découvrir ma voix, c’était comme découvrir ma langue maternelle. Je m’y suis sentie à l’aise tout de suite.»
En attendant de trouver la voie vers le Christ, elle a découvert sa voix. Si cette révélation n’est pas mineure, elle s’avère toutefois bien moindre que la Révélation qui l’attendait.
Aria
Que Le Verbe soit un magazine catholique, ça ne vous gêne pas? «La foi n’a pas de dénomination, répond-elle. Si tu m’avais dit que tu voulais parler de Bouddha, j’aurais dit: “Passe ton chemin”, mais Le Verbe témoigne de Dieu, de Jésus Christ et du Saint-Esprit! Pose-moi une autre question!»
Avez-vous toujours eu la foi? «À un moment dans ma vie, j’ai décidé de marcher avec le Seigneur. Ça a été long. J’étais entêtée. Je ne pouvais pas dire “oui” à quelque chose que je ne comprenais pas. Aujourd’hui encore, je ne peux pas faire quelque chose juste parce qu’on me dit de le faire. Il me faut une profonde conviction.»
Marie-Josée a fréquenté le Couvent Notre-Dame-de-Toutes-Grâces, à Lévis. Ce couventa été fondé en 1858 par la mère Marcelle Mallet, fondatrice des Sœurs de la Charité de Québec (devenue l’École Marcelle-Mallet en 1996). Religieuses et laïques – dont la mère de Marie-Josée – y enseignaient, mais ce n’est pas de cette manière que la foi s’est installée dans la vie de la chanteuse.
Avoir été déracinée de mon pays à six ans m’a amenée à me poser beaucoup de questions qui tournaient toujours autour de Dieu, de son existence.
«Depuis toujours, l’histoire de la Bible m’intéresse. J’aimais les cours de religion à l’école. Aujourd’hui, je sais ce que signifie vivre de la foi. Je ne peux pas dire que mes parents avaient la foi; ils avaient une éducation et une culture religieuse, on allait à la messe de minuit, mais pas à celle du dimanche. Il n’y avait pas d’enseignement de la Parole de Dieu à la maison.
«Avoir été déracinée de mon pays à six ans m’a amenée à me poser beaucoup de questions qui tournaient toujours autour de Dieu, de son existence. Je me demandais constamment pourquoi j’avais été adoptée, pourquoi moi… À l’adolescence, ça s’est intensifié; je cherchais un sens à ma vie.»
Récitatif
Dieu allait se manifester de façon sensible pour la jeune Marie-Josée. Pour étudier au Conservatoire de musique de Québec, elle vivait à la Résidence Sainte-Geneviève, dirigée par les Sœurs du Bon Pasteur.
«Là, j’ai fait une drôle de rencontre, confie-t-elle, [avec] une Éthiopienne qui vivait au Québec depuis quelques années. Son père était pasteur, et elle nous donnait la Parole de Dieu et nous parlait de la Bible régulièrement. Il y avait une part de mystère pour moi, car je ne comprenais pas tout ce qu’elle disait.
«C’était très particulier parce que cette fille n’était pas très patiente. Elle avait un comportement étrange, disons, pas très aligné sur la Parole de Dieu, mais elle enseignait bien!
«Un jour, sa sœur est arrivée d’Éthiopie. Elle, elle était vraiment alignée. Là j’ai commencé à poser plus de questions, surtout sur la vie pratique: comment vivre, agir, avoir une relation avec Dieu, etc.
«Comme j’étais une fille qui aimait beaucoup les garçons et la fête, je trouvais ça assez spécial d’entendre un discours sur la chasteté et tout le reste… Ça fait peur quand tu n’as pas rencontré le Seigneur… Tu ne comprends pas pourquoi tu devrais faire tout ça! Sauf que là, le Seigneur m’a fait grâce par le rêve. Une nuit, j’ai eu un songe: un très grand livre s’ouvrait, c’était écrit très gros, surligné en jaune, et ça disait: “Si tu veux être…”»
Concertato
Au matin, Marie-Josée a repris la Bible qu’elle avait décidé, un mois plus tôt, de ne plus ouvrir. Elle a tenté de retrouver cette parole qu’elle avait reçue en songe, mais elle en était incapable, ne sachant pas comment chercher dans la Bible ni ce que cela pouvait bien vouloir dire.
«Ça faisait un mois que mon Éthiopienne et moi, on ne se parlait plus. On se chicanait souvent, parce que je ne comprenais pas, mais cette fois-là, c’était gros. Après m’avoir lu un verset de la Bible, elle m’avait demandé si je comprenais. Je lui disais d’essayer de comprendre que je n’arrivais pas à comprendre!
«Comment j’aurais pu savoir, moi, qu’il me fallait une clé pour comprendre la Parole de Dieu, et que cette clé-là, c’était le Saint-Esprit? Sans lui, il y a des choses de la Parole qui sont voilées!
«Je pleurais. Elle s’est emportée en criant: “Franchement! Si ça te fait pleurer quand je te donne un verset, ben moi, j’te parle pus!” Elle est partie en claquant la porte! J’étais sidérée de voir cette fille qui, d’un côté, me donnait la Parole de Dieu et, de l’autre, était totalement instable émotionnellement!
«Après ça, j’ai tout fait pour l’éviter. Un mois plus tard, j’avais ce songe. J’avais rangé la Bible parce que je me disais que, si c’était si compliqué, je n’en voulais plus; mais ce matin-là, mon premier réflexe a été de la reprendre. J’ignorais comment chercher.
L’eunuque ne pouvait pas comprendre s’il n’avait pas de guide. C’était ça qui était en train de m’arriver à moi aussi. Un mois plus tard, je décidais de suivre Jésus Christ!
«Donc, le matin où je me suis réveillée avec cette parole en songe, je suis allée la voir et je lui ai raconté mon songe en lui disant que je ne savais pas ce que ça voulait dire. Elle a pris la Bible et m’a lu l’histoire de l’apôtre Philippe et de sa rencontre avec l’eunuque éthiopien, sur son char, en train de lire Isaïe. L’apôtre Philippe l’a arrêté et lui a demandé: “Comprends-tu ce que tu lis?” Et l’eunuque répondit qu’il ne pouvait pas comprendre, en effet, s’il n’avait pas de guide. C’était ça qui était en train de m’arriver à moi aussi, comme l’eunuque! Je comprenais enfin la parole de Dieu! Un mois plus tard, je décidais de suivre Jésus Christ!»
Pour quelle raison la jeune Éthiopienne avait-elle décidé de lire cet extrait en particulier? Cela demeure un mystère. Seul l’Esprit Saint s’en doute, surement.
Finale
Marie-Josée a suivi son amie jusque dans son église. Elle y retournait régulièrement et trouvait sa joie, comme une enfant, à faire tout ce que la Parole de Dieu lui disait.
«Je voulais que ma relation avec Dieu soit vraie. Si quelqu’un me dit que quelque chose est vrai, il faut que je puisse l’affirmer, moi aussi! Dieu nous dit que sa Parole est vivante.»
«La plus belle chose qui puisse arriver à un enfant de Dieu, c’est d’expérimenter la Parole. Être religieux, c’est connaitre la Parole, mais avoir la foi, c’est expérimenter la Parole. Cette foi-là grandit à force d’en faire l’expérience, de la tester, de voir son pouvoir de guérison.»
C’est la petite fille qui se laisse bercer par son Papa du ciel, le Papa parfait, la colonne sur laquelle s’appuyer. C’est lui qui l’a séduite.
«Savoir que Dieu est Père m’a accroché. Peut-être à cause de mon déracinement. Il est venu réparer cette blessure, me réconforter. J’ai une admiration sans bornes pour lui. Il est rassurant, protecteur. Il m’a appris à lui obéir en me laissant le droit de dire que je n’étais pas d’accord. Dieu nous dit: “Je ne te laisserai jamais tomber.” Tout le monde veut entendre ça!»
Exodus en coulisse
Le Père agit en coulisse. Marie-Josée l’a vécu dans sa chair.
Elle finissait ses études à Québec quand on l’a invitée à venir faire un stage à Montréal.
«J’étais bien à Québec, avec mes amies, mon confort et ma routine, mais j’entendais Dieu me dire: “Sors de là où tu es!” comme il l’a dit au peuple d’Israël.
«Moi, je me débattais. Je me disais que je ne serais jamais chanteuse d’opéra; je préférais rester là, tranquille, être gérante de boutique, plutôt que de m’arracher à mes amies, à ma vie à Québec!
J’étais comme les Hébreux dans le désert qui voulaient retourner esclaves en Égypte parce que là, au moins, ils étaient logés et nourris!
«Dans le fond, j’étais comme les Hébreux dans le désert qui voulaient retourner esclaves en Égypte parce que là, au moins, ils étaient logés et nourris!»
Mais voulant obéir à Dieu, Marie-Josée le mettait au défi pour qu’il se manifeste en tant que Dieu vivant par rapport à son destin. «À Montréal, on me disait que je ne serais pas payée au même tarif que les autres. J’ai dit à Dieu: “Si tu veux que j’y aille, il faut que je sois payée comme tout le monde!” J’ai mis le contrat dans le tiroir.
«Je devais aussi payer mes dettes d’études. Je disais à Dieu: “Si tu veux que j’y aille, il faut que je paie ça.” Un soir, une femme m’a approchée après m’avoir entendu chanter. Elle m’a dit: “Vous avez beaucoup de talent. J’aimerais vous aider. Comment faire?” J’ai répondu, un peu à la blague: “Eh bien, vous pouvez payer mes prêts et bourses!” Elle m’a donné sa carte et m’a dit de l’appeler. Ce que j’ai fait. Le 10 janvier 2000, j’étais assise dans son bureau, et après avoir discuté, elle m’a remis un chèque de 10 000 $!
«Peu de temps après, Montréal m’appelait pour me dire qu’on avait révisé mon contrat et que je serais payée comme les autres…
«Au printemps, je cherchais un appartement à Montréal. Je me rendais au dernier appart’ sur ma liste, et là, je vois l’annonce d’un autre appart’ exactement comme ce que je souhaitais. Après la visite, je dis à la dame que j’aime beaucoup, sauf la salle de bain. Elle répond: “On va la rénover.” Puis, je lui dis que la peinture serait à refaire. Elle répond: “On va tout repeindre, avec votre choix de couleurs.”
«Comprends-tu que je sais ce que c’est que vivre de la foi? Expérimenter la Parole de Dieu? “Sa renommée s’est accrue par l’accomplissement de ses promesses”, dit le Seigneur!
«Tout tournait en ma faveur, comme promis, à condition que je m’appuie sur sa Parole. C’est tout ce qu’il me demandait.»
Canaan
Arrivée à Montréal, inconnue de tous, Marie-Josée a dû faire ses preuves. Tout était à refaire.
«Montréal a été mon Canaan! Quand les Israélites étaient au désert, en exode, Dieu leur a promis Canaan. Cette terre leur était consacrée! Ils ont envoyé douze éclaireurs, mais seulement deux se sont attachés à la Parole de Dieu. Les autres se sont attachés à la grandeur et à la grosseur des géants (Philistins). Ils étaient terrifiés et, à cause de cela, ils ne croyaient pas qu’ils pourraient les battre et que Canaan deviendrait leur pays.
«Pour moi, c’était pareil. Le Seigneur me disait que j’allais avoir mon lot de géants, mais que, si je m’appuyais sur sa Parole, je vaincrais.
«Il y a eu bien des géants, des gens qui ne me voulaient pas que du bien. On donnait mes rôles à d’autres. On me tenait à l’écart. On me trouvait snob, notamment parce que je ne dinais pas avec les autres. En vérité, les blagues vulgaires me rendaient vraiment mal à l’aise. Alors, j’ai décidé de diner plus tard, sans me plaindre. Je tenais à me respecter.
«Je sentais que le Seigneur me disait, comme aux Israélites, je t’envoie à Montréal, mais je ne veux pas que tu sois comme eux, je ne veux pas que tu parles comme eux, je ne veux pas que tu vives comme eux, je ne veux pas que tu aimes leur dieu.
«Je me sentais si seule! Quelquefois, l’Éternel veut nous arracher à notre confort. Il a un plan. On s’y oppose parce qu’on ne voit les choses qu’avec nos yeux d’humains. Lui, il voit loin!»
Il voyait ce que tous les Québécois voient aujourd’hui: «Treize ans plus tard, il n’y a personne qui ne connait pas mon nom à Montréal! Ce n’est pas moi qui ai fait ça, c’est l’Éternel! Dieu a combattu avec et pour moi. À la fin, j’ai triomphé! Dieu a triomphé! Un chrétien qui ne veut pas se battre, c’est comme un boxeur qui ne veut pas boxer!
«Dans Montréal, j’ai vu les miracles de Dieu! Les gens doivent savoir que Dieu parle encore aujourd’hui. Dieu est vivant! Ce n’est pas l’imagination. Mais pour le voir agir, pour l’entendre, il faut marcher avec sa Parole!»
Dans mon cœur, j’entends les cris d’ovation, Marie-Josée.
[Cet article a été publié initialement dans l’édition papier de la revue Le Verbe, à l’été 2015.]