Jesse Mac Cormack
Photo : Marc-André Dupaul

Jesse Mac Cormack : apprendre à donner

Jesse Mac Cormack est de ces musiciens qui prennent leur temps. Même s’il a lancé son premier EP Music for the Soul en 2014, il aura fallu attendre six ans pour Nowson premier disque de longue durée. Il a su se faire connaitre entretemps et attiser le désir des mélomanes avec Crush (2015) et After the Glow (2016), tous deux sous l’excellente étiquette montréalaise de Secret City Records (Patrick Watson, Alexandra Stréliski). C’est également à titre de réalisateur que Jesse Mac Cormack collabore à plusieurs albums, dont Le silence des troupeaux, le plus récent de Philippe Brach. Il a généreusement accepté de se confier au Verbe dans cette période de déconfinement.

Qu’est-ce qui t’a conduit à faire de la musique ?

J’y ai touché au secondaire. Elle a toujours été pour moi comme un endroit où je me sentais en sécurité, un point d’ancrage, parce que la vie bouge : on vient au monde, puis on se fait brusquer. La musique a toujours été un endroit où je me valorisais, où je pouvais être moi-même. Quelque chose de stable.

Tu dis « brusquer » parce que ta situation familiale était compliquée ?

Oui, mes parents se sont séparés alors que j’étais encore jeune, ma mère a fait beaucoup de dépressions. J’ai eu un parcours familial assez rocambolesque. J’ai grandi avec des bases très instables, fragiles. Comme je n’ai jamais eu le sentiment que je pouvais compter sur les autres, je me suis toujours retrouvé dans la musique où je pouvais m’appuyer sur moi-même. C’est une chose que j’apprends aujourd’hui avec de la thérapie et dans mes relations.

Cet article est aussi paru dans notre magazine de juillet/aout 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.
Est-ce que c’était imprévisible pour toi d’avoir une famille avec cette histoire ?

C’était voulu, mais en même temps, je me suis tiré là-dedans d’une manière très impulsive. C’est une expérience qui m’a beaucoup confronté à moi-même : ce que j’avais vécu dans mon enfance, ce dont j’avais envie, ce que j’allais faire avec un enfant. Tout ça a retourné le fer dans la plaie, et j’ai été mis en face de mes propres blessures et de mes propres manques. D’une certaine manière, ça m’a enraciné et m’a conduit à faire face à certaines réalités.

J’imagine que la paternité a influencé un peu ton rôle d’artiste ou ta manière de créer ?

Maintenant, mes journées commencent plus tôt (ha ! ha !). C’est sûr, je pense qu’elle a influencé les choses dont je parle dans mes chansons, qui sont maintenant beaucoup plus tournées vers l’autre, plus décentrées. Elle m’a ouvert au don de soi. J’ai réalisé à quel point ça pouvait guérir et faire du bien de donner, aussi difficile que ce soit d’être disponible pour quelqu’un d’autre.

De fait, on dirait qu’on voit quelque chose de plus en plus lumineux apparaitre dans ce que tu produis.

C’est souvent un mélange de lumière et de noirceur, ce que j’écris. Je te dirais, en effet, que dans mes moments les plus sombres, j’ai toujours vu l’espoir et la lumière au bout. Je me suis toujours accroché à ça. Je pense donc que, oui, il y a de la lumière dans le fait d’exorciser et de mettre sur papier des choses qui travaillent en dedans.

Parlant de noirceur, je pense à ta chanson Addict, où tu évoques la dépendance à la pornographie – tu en as parlé publiquement. Qu’est-ce que tu dirais aux personnes qui sont aux prises aujourd’hui avec cette dépendance ?

C’est quand même une vieille chanson. J’ai un autre regard sur tout ça aujourd’hui. Si je me remets à cette époque1, je n’avais pas de partenaire fixe et je consommais de la pornographie sur une base régulière. Ça m’inquiétait : j’avais regardé des documentaires de gens qui ne pouvaient plus avoir de relations. J’étais plus jeune, c’était la première fois que j’étais vraiment en contact avec la porno, je mesurais mal la portée de ce qu’elle pouvait faire. Je me méfiais parce que j’aimais ça et, d’une certaine manière, j’avais honte.

Il y en a beaucoup, des tabous, n’est-ce pas ! La porno, c’en est un, avoir des enfants aussi. Nous ne sommes pas éduqués là-dessus.

Je n’avais pas tracé la ligne entre les fantasmes et la réalité. Quand tu te retrouves avec quelqu’un, c’est d’accepter qu’on puisse s’ouvrir à la tendresse et à la sensualité sans que ce soit comme dans la porno. Je pense que je suis redescendu sur terre par rapport à ces craintes et j’ai accepté que je pouvais avoir des fantasmes sans qu’ils détruisent ma vie. Je n’ai pas été un cas grave de dépendance, mais je pense que la chanson en parle, et tant mieux si elle peut résonner pour d’autres personnes.

Il me semblait en tout cas que ta prise de parole à l’époque était courageuse et que c’était bien que des gens puissent briser ce tabou sur les dangers de la pornographie.

Il y en a beaucoup, des tabous, n’est-ce pas ! La porno, c’en est un, avoir des enfants aussi. Nous ne sommes pas éduqués là-dessus. Avant d’en avoir un, je n’avais jamais été vraiment en contact avec des enfants, et avec du recul, je ne comprends pas pourquoi on n’est pas éduqués pour devenir parents. Il devrait y avoir une manière d’enseigner à l’école c’est quoi, c’est la base…

Comme la sexualité : on est mal guidés là-dedans. C’est certain qu’il y a toujours une partie de la vie qu’on va apprendre par nous-mêmes. Aujourd’hui, je remets en question bien des choses qu’on apprend à l’école. On n’apprend pas assez comment devenir de meilleurs humains. Le gouvernement finance les antidépresseurs, mais c’est la thérapie qu’il devrait financer. Le monde est à l’envers.

Justement, il y a un autre tabou assez important au Québec, il me semble, et c’est celui de la spiritualité, de la foi, voire de Dieu. Tu l’as abordé dans ta récente pièce Incomplete, que tu dis être un dialogue entre toi et Dieu. Est-ce que c’était juste une analogie, ou penses-tu vraiment qu’il y a quelque chose comme un Dieu ?

Oui, ce n’était qu’une analogie pour moi. Je ne crois pas vraiment en Dieu, je ne suis pas croyant. La chanson prend l’image de Dieu qui est comme un mendiant, un drogué, un esclave de tous les vices et qui se retrouve victime de sa propre création, suppliant le monde de changer, de se remettre en question.

Tu dis aussi que cette chanson est une réflexion sur le fait d’avoir un enfant dans un monde où l’avenir semble incertain. Est-ce que tu trouves que la réalité actuelle est inquiétante ?

C’est certain. En même temps, je trouve que c’est difficile de se faire une tête sur ce qui se passe réellement parce que c’est beaucoup à travers Internet et les médias qu’on est informé, et la réalité nous semble parfois très vaste et lointaine. Surtout ici, on mène une petite vie paisible. Même si je lis des statistiques ou des articles sur le réchauffement climatique, on dirait qu’il y a comme toujours un doute, surtout quand je regarde dehors et que je vois les arbres en fleurs. Il y a toujours eu des gens qui annoncent la fin du monde…

Comme père, ou tout simplement comme personne, qu’est-ce qui te fait avancer dans cette incertitude, qu’est-ce qui t’encourage ? As-tu une espérance pour le futur ?

Je pense que ce qui me motive le plus, c’est de grandir sur le plan personnel et de me développer, d’être le meilleur humain que je puisse être et de donner les bases les plus solides possible à mon enfant, de vraiment apprendre à me sécuriser pour la sécuriser. De prendre soin de moi pour pouvoir donner, être présent et soutenir ma fille.

Qu’est-ce qui s’en vient pour toi ? Comment vois-tu le déconfinement ?

Je suis en train de travailler à mon prochain album. Il va être gros. J’ai vraiment hâte de tourner, ça va être comme une renaissance.


James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.