Claude Paradis
Photo: Jeffrey Deragon

Claude Paradis: «Je suis prêtre et toxicomane»

«Je suis prêtre et toxicomane.» Voilà comment se présente à nous Claude Paradis. Si son collet romain est bien visible, les traces de sa vie de toxicomane et d’itinérant, elles, sont invisibles pour les yeux. Seuls ceux et celles qui s’arrêtent pour partager avec lui vont les voir. Elles se dévoilent à nous comme un fil d’Ariane tissé par l’Esprit Saint.

Dès son plus jeune âge, Claude voulait devenir prêtre. Il le deviendra. Toutefois, il connaitra l’enfer de la rue avant de connaitre la douce vie des séminaristes. Quelques années après son ordination, l’Esprit Saint le reconduira à la rue auprès de ses frères et sœurs d’infortune.

C’est dans une petite salle à manger de la résidence de l’archevêché de Montréal qu’a lieu notre rencontre : Claude n’a pas de bureau. Tout près de la cuisine, dans un placard, il range les « outils » dont il a besoin pour sa mission : un peu de nourriture non périssable, des verres, une cafetière et du café.

Cependant, l’essentiel est dans le regard qu’il pose sur le Christ défiguré qu’il rencontre dans le centre-ville.

L’enfer des stupéfiants

Claude a passé son enfance en Gaspésie. Il y mène une vie bien ordinaire. À un détail près : il va à la messe, contrairement à ses parents.

Un de ses jeux favoris est de personnifier un prêtre qui célèbre l’eucharistie. Il a une grande dévotion à Marie.

« Lorsque j’étais enfant, mon oncle missionnaire me racontait la vie des saints et des missionnaires. Je voulais, moi aussi, partir en mission. Avec le temps, je me suis rendu compte que Montréal est un terrain de mission. J’ai juste à arpenter la rue Sainte-Catherine, et me voilà missionnaire ! » Son chemin semble tracé d’avance.

À treize ans, la découverte des boissons alcoolisées le détourne de son rêve.

« J’ai bu ma première bière à la mort de mon grand-père », confie-t-il. Puis, plus tard, il tombe dans l’enfer des stupéfiants. « Pour m’en sortir, j’ai fait quelques thérapies. Aucune d’elles n’a fonctionné. Elles m’ont aidé, sans plus. »

Il arrive à Montréal au début des années 1990. Il a alors 33 ans. La rue devient pour lui un refuge. Puis une prison.

Un jour, il se sent au bout du rouleau ; il entre dans une chapelle. Devant le saint sacrement, il tombe à genoux et implore Dieu d’intervenir pour changer le cours des choses. « J’ai dit au Seigneur : “Là, tu as deux options : tu prends ma vie ou tu lui donnes un sens.” »

Ce texte est tiré de notre numéro spécial Prêtres (2015). Abonnez-vous gratuitement au magazine !

Le Seigneur se manifeste à lui par des rencontres providentielles. Grâce à elles, Claude réussit à se sortir de la rue. « Je suis devenu responsable de la maison de Christian Beaulieu, Le Pharillon, à Montréal. C’est là que Christian m’a demandé si j’avais déjà pensé à devenir prêtre. Mon rêve venait de reprendre vie. »

Un toxicomane au Grand Séminaire

Il décide donc d’entrer au Grand Séminaire de Montréal.

« J’avais les cheveux jusqu’au milieu du dos et je chaussais des espadrilles lorsque je suis arrivé au Séminaire. Souvent, j’ai voulu faire mes valises ! Au début, cela a été dur. Je n’avais pas étudié à temps plein depuis longtemps. En plus, je ne comprenais pas toute la matière. La théologie, pour moi, c’était presque du chinois. J’avais bien quelques notions, mais je partais de loin.

De la rue, où j’avais consommé beaucoup, voilà que je me retrouvais entre les quatre murs du Grand Séminaire où j’étudiais la transsubstantiation ! Croyez-moi, cela n’a pas été facile ! Mais peu à peu, je me suis habitué à l’étude. Cela a été dur. Cependant, j’ai eu de grands moments de bonheur. »

Un jour, Simon Durivage, alors animateur de la défunte émission Le Point diffusée sur les ondes de Radio-Canada, lui demande une entrevue. Son look particulier pour un séminariste fait tourner bien des têtes.

Il était loin de se douter que, parmi les télé-spectateurs, se trouvait le père Emmet John, connu sous le nom de père Pops, fondateur de l’organisme Le bon Dieu dans la rue (aujourd’hui Dans la rue).

Il lui demande de l’accompagner dans son ministère auprès des jeunes itinérants de Montréal.

Claude est ordonné prêtre en 1997.

Il avait alors 42 ans. Feu monsieur le cardinal Jean-Claude ­Turcotte lui demande alors de poursuivre sa formation. C’est ainsi qu’il s’inscrit à l’Université de Montréal en psychologie.

Puis, il lui demande d’occuper le poste de l’aumônier de l’unité des soins palliatifs de l’hôpital en attendant de lui trouver un remplaçant. « Ce qui devait durer quelques mois est devenu une mission qui s’est prolongée sur douze années ! »

Un prêtre dans la rue

Durant ces années, le prêtre n’oublie pas ses frères et sœurs de la rue. Il a un rêve : créer un organisme qui leur apporterait du réconfort au nom du Christ. Il confie son rêve à Mgr Christian Lépine.

Ce dernier, quelques jours auparavant, venait de se faire interpeler par un itinérant alors qu’il revenait à son bureau. L’homme lui a demandé : « Quand y aura-t-il une église pour les personnes itinérantes ? »

Mgr Lépine a montré du doigt la cathédrale et lui a répondu que cette église est sa maison et celle de l’ensemble des itinérants. Le sans-abri a enchainé en disant qu’il ne parlait pas d’un édifice, mais d’un prêtre. Il voulait qu’un prêtre soit avec eux dans la rue. « Et voilà que j’arrive avec mon projet : Notre-Dame-de-la-rue ! »

Son ministère lui fait côtoyer quotidiennement l’abime et le sublime.

« Vous savez, je me fais bénir tous les jours par les gens de la rue ! Ils viennent à moi et se confient. Toute leur vie y passe. Je leur dis qu’ils viennent, sans le savoir, de se confesser ! Je leur donne alors l’absolution. »

Claude célèbre également la messe avec eux.

« Durant l’eucharistie, ils me posent toutes sortes de questions et je réponds à chacune d’entre elles. Un jour, au moment de la communion, je présente l’hostie à une jeune prostituée en disant la formule consacrée : “Voici le corps du Christ !” Du tac au tac, elle me répond : “Oui, c’est le seul corps qui me respecte !” J’étais bouleversé ! »

L’évangélisation

Les jeunes de la rue possèdent leur propre spiritualité, selon lui. « Même s’ils ne le connaissent pas, ils me parlent du Christ tous les jours ! Ils ne le nomment pas ! On ne le leur a pas enseigné.

Pour parler de l’adoration, que je pratique quotidiennement, ils me disent : “Tu sais, ton soleil qui fait du bien…” Parfois, certains me demandent une Bible. Ils reviennent me voir en disant : “Je viens de lire ce passage. Est-ce que tu peux me l’expliquer ?” À partir de là, je peux faire de l’évangélisation. »

Justement, comment arrive-t-il à les évangéliser ?

« Je n’ai pas honte de m’assoir avec eux. Je fais partie de la même gang ! Vous savez, même s’il m’en coute de dire cela, il y a souvent bien plus de partage dans la rue que dans les paroisses ! Ils ne possèdent presque rien et ils le partagent. Plusieurs ont un chien. Lorsqu’ils reçoivent de la nourriture, ils la partagent avec lui. Vous savez, ils me disent souvent que leur chien est bien plus accueillant que leurs propres parents ! Il y a beaucoup de souffrances psychologiques et physiques dans la rue. Chaque hiver, il y a des morts et des amputations ! »

Les trois piliers de sa spiritualité

Pour supporter le poids de la misère, du désespoir, Claude s’est créé sa propre spiritualité.

« Ma spiritualité a été puisée à trois sources. D’abord, à l’Arche où j’ai été aumônier. La spiritualité de l’Arche, c’est le lavement des pieds. C’est clair. Toute personne qui s’implique à l’Arche se fait laver les pieds, le Jeudi saint, par une personne qui vit avec une problématique en santé mentale. Laissez-moi vous dire que, lorsque vous vous faites laver les pieds par quelqu’un qui a un gros handicap, cela ne vous quitte plus. C’est une expérience qui m’a marqué à jamais.

La deuxième source est la Fraternité du Serviteur souffrant, une communauté qui a été fondée au Brésil par Frédy Kunz. Elle est présente à Montréal et à Québec. Frédy Kunz s’est inspiré des cantiques d’Isaïe qui nous parlent du Christ défiguré.

 Je fais également partie de Corpus Christi, fondé par mère Teresa tout juste avant sa mort. Je suis le seul prêtre canadien à en faire partie. C’est pour les prêtres diocésains qui réalisent leur ministère dans la rue. Il y a une sœur de la communauté de mère Teresa qui prie continuellement pour moi. Voilà les trois piliers de ma spiritualité. Le point commun est la dignité de la personne. Je reprends souvent Matthieu 25,35. »

Avant chaque tournée au centre-ville, Claude prie et fait de l’adoration. « Si je n’avais pas Dieu en moi, je ne pourrais pas le donner aux gens de la rue. En Inde, les sœurs de mère Teresa font une heure de prière pour une heure passée dans la rue. »

Claude est un prêtre dans la rue, fidèle serviteur du Christ défiguré au milieu de la ville. Un dealeur d’espérance dans un monde où la nuit est souvent plus dense que le jour…

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.