Petit éloge de Laurent Duvernay-Tardif, un héros actuel

Ces derniers temps, on a beaucoup souligné le travail de ces « anges gardiens » qui veillent sur nos parents, amis, voisins dans les CHSLD et dans les hôpitaux de plus en plus surchargés.  Cette semaine, Laurent Duvernay-Tardif fait la une du Sports Illustrated. Le grand gaillard des Chiefs de Kansas City, premier joueur de la NFL à avoir obtenu son diplôme de médecine, acceptait de prêter mainforte aux préposés aux bénéficiaires et autres infirmières débordées. C’est absolument admirable.

De Louis Cyr à Maurice Richard, nos héros masculins étaient souvent issus des basfonds, sans éducation. Bien qu’admirables, leurs succès reconduisaient souvent une conception un peu étriquée de la réussite qui opposait le dire et le faire, la connaissance un peu plus théorique et les réalisations pratiques. D’un côté les « ti-jos-connaissants », de l’autre ceux qui font des choses, les vrais !

C’est dans un présent toujours rempli de brouillard et d’incertitude que nous admirons un homme ou une femme d’exception. Ces figures exemplaires nous aident à vivre et poussent à l’action. 

Laurent Duvernay-Tardif montre aux jeunes que la synthèse est possible. Qu’on peut être un athlète de haut niveau et briller au plan intellectuel. Il montre que la réussite scolaire, ce n’est pas seulement l’affaire de quelques nerds, que ça concerne aussi des hommes forts et virils qui n’ont pas peur du combat physique. Ce que j’admire par-dessus tout chez lui, c’est qu’il a eu la force de caractère, l’indépendance d’esprit, de ne pas choisir l’un au détriment de l’autre.

Deux types de héros

Comme si ce n’était pas suffisant, il a créé une Fondation. Lors des saisons mortes, il parcourt avec sa douce les routes du Québec pour sensibiliser les jeunes à l’importance de concilier le sport, les arts et les études. Je sais qu’il est encore tôt pour le dire, mais je crois sincèrement que Duvernay-Tardif a l’étoffe d’un héros !

Dans les beaux milieux cultivés, il est de bon ton de se moquer de ce culte traditionnel du héros. Cette méfiance renvoie au cynisme ambiant et aux valeurs démocratiques et doit-de-l’hommistes que nous chérissons par-dessus tout. On soupçonne les têtes qui dépassent de cacher quelque chose de sombre ou de vouloir exercer un pouvoir démesuré.

Les chercheurs sont cependant formels : chaque époque génère ses héros, lesquels reflètent l’esprit de l’époque. Les héros d’aujourd’hui sont généralement des victimes qui ont subi le colonialisme, le patriarcat, les guerres impérialistes, l’inhumanité d’un capitalisme sans foi ni loi. Ce sont souvent des héros anonymes, détruits par les fourches caudines de l’Histoire. 

Ces disparus ou ces survivants méritent évidemment toute notre considération, car ils rappellent la démesure des tyrans et les pulsions destructrices des idéologies qui ont marqué les derniers siècles.

Je reste toutefois convaincu que le culte traditionnel du héros n’a pas dit son dernier mot. Ce besoin très humain d’admirer et de célébrer un être d’exception n’est pas près de disparaitre.

Il en va des individus comme des sociétés. Lorsqu’on avance dans la vie, on peut se souvenir sans fin des personnes qui nous ont blessé ou humilié et vivre dans le ressentiment et l’amertume. On peut aussi penser aux êtres lumineux qui ont cru en nous et qui nous ont inspiré. 

L’admiration et la gratitude

Car il s’agit bel et bien d’un choix lucide entre deux attitudes : celle de maudire toute notre vie les êtres qui nous ont fait du mal ou opter pour l’admiration et la gratitude, certainement l’un des plus nobles sentiments humains. 

Pendant longtemps, nos ancêtres canadiens-français ont douté d’eux-mêmes. Après les répressions de 1837-1838 et l’Acte d’union de 1840, ils avaient d’excellentes raisons de croire que leur nationalité était menacée. Pour affronter l’adversité, ils se sont donné des héros démesurés comme Samuel de Champlain, Dollard des Ormeaux, Marie de l’Incarnation, Louis Hébert et les « saints martyrs ».

Ces figures exemplaires leur rappelaient que les premiers habitants de la colonie avaient vécu une époque extrêmement difficile, remplie d’embuches et de menaces. Elles les aidaient à affronter des temps difficiles et moroses marqués par l’exil de parents vers les États-Unis, les migrations vers la ville, la pauvreté et l’indigence d’un monde dur sans filet social.

Quoiqu’en disent ses plus féroces détracteurs, le culte du héros n’a rien d’un refuge dans le passé, ni d’une fuite du réel. C’est dans un présent toujours rempli de brouillard et d’incertitude que nous admirons un homme ou une femme d’exception. Ces figures exemplaires nous aident à vivre et poussent à l’action. 

Comment expliquer le succès persistant des biographies, sinon par ce besoin constant d’entrer dans l’intimité d’un personnage qui, malgré des difficultés, des doutes et des épreuves, a pu réaliser de grandes choses ? Nous ne lisons pas seulement ces biographies pour accumuler des connaissances en histoire, à la manière de chiens savants. 

Nous lisons ces livres et admirons des héros pour devenir de meilleurs êtres humains.

Éric Bédard

Historien et professeur à l'Université TELUQ, Éric Bédard est aussi vice-président de la Fondation Lionel-Groulx, dédiée à la promotion de l’histoire du Québec. Il est notamment l’auteur de Survivance (Boréal, 2017) et de L’histoire du Québec pour les nuls (First, 2019).