Façade de la cathédrale de México (photo: Jérôme Blanchet-Gravel).
Façade de la cathédrale de México (photo: Jérôme Blanchet-Gravel).

Métissé serré: le catholicisme au Mexique

Le Mexique est un pays fait d’infinis mélanges et assis sur un double héritage. Un pied dans l’Amérique séculaire des Aztèques et l’autre posé sur la vieille Espagne des conquêtes. Une main qui entretient la religiosité païenne et l’autre tendue vers l’Église catholique. D’ailleurs, le pontificat de François – lui-même Latino-américain – n’a pas manqué de donner un nouvel élan au catholicisme dans la région; une bouffée d’air frais pour les Latinos, malgré l’essor fulgurant des christianismes évangélistes.Mais comment expliquer la survie d’un catholicisme aussi exubérant dans un Mexique considéré comme le pays le plus laïque de l’Amérique latine? Le Verbe s’est envolé vers Mexico pour tenter de répondre à cette vaste question.

Difficile de brider son imagination en parcourant les rues du centro histórico à Mexico. La population alentour autant que les vieilles pierres et les dédales de la ville nous parlent et nous instruisent sur les profondes croyances d’une nation sans égale.

Et pour plonger dans l’histoire du catholicisme au Mexique, on doit faire un saut au début du 16e siècle avec la conquête des Amériques.

Cap sur la Nouvelle-Espagne

Quelques années seulement après la découverte de Christophe Colomb en 1492, les Espagnols commencent à édifier la Nouvelle-Espagne. Après avoir fondé l’ile d’Hispaniola (aujourd’hui Haïti et République dominicaine) et installé des hommes à La Havane (Cuba), la Couronne espagnole envoie le conquistador Hernán Cortés prendre possession des terres plus à l’ouest.

Le 10 février 1519, Cortés débarque sur la côte du Mexique depuis Cuba avec 10 navires, 400 soldats, 16 chevaux et une poignée de canons. Le conquistador bientôt mythique parviendra à faire tomber l’immense Empire aztèque. En l’espace de quelques mois, sa petite et intrépide armée vaincra des dizaines de milliers d’indigènes fascinés par le style chevaleresque et la technologie de leurs adversaires. C’est le début du Nouveau Monde.

Les plus vieilles églises ont été construites sur d’anciens sites religieux précolombiens au Mexique. À titre d’exemple, la cathédrale métropolitaine de Mexico – aussi importante pour les Mexicains que Notre-Dame de Paris peut l’être pour les Français –, située sur la Place de la Constitution (le Zócalo). Elle a été édifiée sur le site du Templo Mayor, là même où s’élevait la grande pyramide de Tenochtitlán. Après la conquête de la capitale aztèque, les conquistadors ordonnèrent de construire la première église de la Nouvelle-Espagne avec les pierres de cette pyramide.

Assurément, il y a quelque chose d’à la fois grandiose et bouleversant dans cettetransition.

Des danseurs traditionnels aux habits colorés s’agitent dans des poches de fumée «sacrée». Pendant ce temps, des vendeurs d’icônes de la Vierge s’imposent tout naturellement dans le paysage urbain.

Aujourd’hui, lorsqu’on met le pied sur la place du le Zócalo, on peut s’imaginer revivre les moments forts de la conquête. On y sent l’Espagne héroïque et l’absence d’un Empire aztèque pourtant presque tangible. Des danseurs traditionnels aux habits colorés s’agitent dans des poches de fumée «sacrée».

Pendant ce temps, des vendeurs d’icônes de la Vierge s’imposent tout naturellement dans le paysage urbain. Le mélange est fascinant.

La colonisation est la plus grande rupture qu’ont connue les peuples précolombiens. Dans Le rêve mexicain, le Prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio s’attarde à décrire ce grand traumatisme. «C’est l’extermination d’un rêve ancien par la fureur d’un rêve moderne, la destruction des mythes par un désir de puissance. L’or, les armes modernes et la pensée rationnelle contre la magie et les dieux: l’issue ne pouvait pas être autre», écrit Le Clézio sur ce ton dramatique.

Sans surprise, le choc est total dans l’imaginaire autochtone.

Pourtant, ce rêve, les Espagnols se montrèrent assez soucieux de l’implanter dans la continuité. Sur le plan religieux, ils assurèrent une transition, conscients que les peuples conquis ne pourraient pas adopter d’un seul trait le catholicisme – surtout tel qu’il était pratiqué en Europe.

Étals d'un vendeur ambulant d'objets religieux, México (photo: Jérôme Blanchet-Gravel).
Étals d’un vendeur ambulant d’objets religieux, México (photo: Jérôme Blanchet-Gravel).

Faire du neuf: quand les croyances s’entremêlent

Au nord de Mexico, la colline de Tepeyac était aussi l’un des lieux sacrés des Aztèques. Aujourd’hui, on y vénère la célèbre Vierge de Guadalupe, dont l’image est vénérée dans presque toute l’Amérique latine.

Tous les 12 décembre, ils sont plusieurs millions de fidèles à pénétrer dans la basilique de Notre-Dame de Guadalupe pour lui rendre hommage et s’assurer de sa protection. En 1999, Jean-Paul II la consacra patronne de l’Amérique. Il déclara que ce continent avait reconnu «dans le visage métissé de la Vierge de Tepeyac le grand exemple d’évangélisation parfaitement inculturée qu’est sainte Marie de Guadalupe». Une référence directe au métissage. Un phénomène ethnoculturel dont dépendait l’universalisation de la Bonne Nouvelle.

Selon l’historien Robert Georges Escarpit, la volonté d’assurer une transition inspirée de l’Empire romain explique en bonne partie la vitalité du catholicisme au Mexique (du moins jusque dans les années 1940, car l’auteur publie son article en 1948). «L’Église catholique a voulu prendre la succession des religions vivantes, non des religions mortes. Et partout où elle l’a fait, elle a ajouté des couches de pierres sculptées aux couches déposées là par des religions plus anciennes», écrit l’historien.

Partout où les Espagnols ont fait disparaitre les idoles païennes, ils ont distribué des croix et des gravures de la Vierge Marie aux populations locales.

Évidemment, cette évangélisation n’a pu être réalisée sans quelques compromis, déplaisant du coup à certains membres du clergé. C’est que la frontière restait mince entre l’hérésie et l’innovation, entre le syncrétisme et l’inculturation.

Les Jésuites auraient fait preuve d’une ouverture exceptionnelle envers ce métissage religieux. Quand ceux-ci écartaient plus énergiquement les éléments païens, les autochtones adoptaient une version plus orthodoxe du catholicisme, mais conservaient parallèlement des croyances précolombiennes. Le Jour des morts en est l’exemple le plus manifeste: tous les 2 novembre, des millions de catholiques rendent hommage aux disparus lors de cette grande fête païenne. Il serait facile d’y voir une contradiction.

Et la laïcité dans tout ça?

Il reste toutefois à expliquer comment un pays aussi laïque peut avoir conservé des traditions religieuses aussi fortes, qu’elles soient catholiques, précolombiennes ou les deux à la fois.

La Vierge métissée de Guadalupe est devenue un véritable phénomène de mode. À Mexico comme dans d’autres villes du Mexique, on peut la voir imprimée sur des teeshirts et peinte sur les murs sous forme de graffitis. On la voit aussi sous forme de tatouages et dans le cou des Mexicains, en pendentif. (Photo: Jérôme Blanchet-Gravel.)
La Vierge métissée de Guadalupe est devenue un véritable phénomène de mode. À Mexico comme dans d’autres villes du Mexique, on peut la voir imprimée sur des teeshirts et peinte sur les murs sous forme de graffitis. On la voit aussi sous forme de tatouages et dans le cou des Mexicains, en pendentif. (Photo: Jérôme Blanchet-Gravel.)

La plupart des spécialistes considèrent le Mexique comme le pays d’Amérique latine qui a le plus malmené le clergé catholique. Une réalité qui peut surprendre à l’étranger, tellement le Mexique est encore vu comme fondamentalement religieux.

Selon le sociologue Saúl Sánchezque Le Verbea rencontré, le Mexique est laïque, mais d’abord et avant tout sur le plan institutionnel. Le professeur de sociologie à l’Université de Guanajuato estime que la laïcité mexicaine est restée un projet élitiste, qui a peu influencé la population dans son ensemble.

«Je pense qu’il faut faire la différence que fait le sociologue Michel Maffesoli entre ce qui est officieux et ce qui est officiel. La laïcité au Mexique est quelque chose d’officiel, qui remonte à la seconde moitié du 19e siècle, et qui a été imposé. […] Le catholicisme, lui, avec sa religiosité populaire, est officieux», souligne le sociologue.

Saúl Sánchezobserve néanmoins un relatif déclin du catholicisme dans les zones urbaines, parallèlement au développement d’un pluralisme religieux toujours plus grand.«Il y a aussi ici un catholicisme nominal», a mentionné notre interlocuteur, pour désigner les catholiques qui se réclament comme tels sans vraiment pratiquer.

Finalement, la conquête a-t-elle fait table rase de l’histoire précolombienne?

La pensée précolombienne a rendu plus mystérieux un catholicisme qui a peut-être été trop rationalisé ou standardisé ailleurs.

Certains auraient envie d’y croire, tellement la chute de l’Empire aztèque a été violente et rapide. Or, ce n’est pas tout à fait notre point de vue. La pensée précolombienne s’est subtilement entremêlée à celle des conquérants.

Le Mexique est un mélange d’ethnies et de croyances ayant engendré une culture unique, inédite, dont ce catholicisme coloré demeure l’une des plus riches facettes. La bonne santé du catholicisme au Mexique semble donc s’expliquer par la puissance même de ce métissage.

Qu’on y voie une déformation théologique ou non, la pensée précolombienne a rendu plus mystérieux un catholicisme qui a peut-être été trop rationalisé ou standardisé ailleurs. Et si le catholicisme mexicain risque de ne pas satisfaire les plus orthodoxes, sa force spirituelle demeure incontestable.


Pour aller plus loin:

Robert Georges Escarpit, «Au Mexique: christianisme et religions indigènes», Annales. Économies, sociétés, civilisations,no 3, 1948, p. 319.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le rêve mexicain,Paris, Gallimard, 1988.

Jean-Paul II, Ecclesia in America,Exhortation apostolique postsynodale (22 janvier 1999).


Jérôme Blanchet-Gravel

Jérôme est essayiste, journaliste et chroniqueur. Spécialiste des idéologies, il est l'auteur de quelques essais et collabore à plusieurs médias, au Québec et en France. Son dernier livre, la Face cachée du multiculturalisme, a été publié en 2018 aux Éditions du Cerf.