Merci de me laisser être en désaccord

Samedi dernier, dans La Presse, Patrick Lagacé proposait une plus grande ouverture de la loi sur l’aide médicale à mourir.

Dans l’article « Merci de me laisser partir », on ne retrouve pas un exposé théorique, des arguments rationnels ni une suite de raisonnements appuyés par des études et des chiffres.

Non.

Il a plutôt rapporté le témoignage de Margo Ménard, la mère de feu Sébastien Gagné-Ménard, un Québécois atteint de sclérose en plaques qui s’est tout récemment rendu en Suisse pour se donner la mort.

Et le journaliste de terminer son article par cette simple question : « pourquoi empêcherait-on les Sébastien Gagné-Ménard de ce pays de se libérer sereinement de leurs souffrances ? »

Fausse compassion

Il en fallait peu pour générer le consensus spontané des lecteurs et susciter l’empathie généralisée sur les médias sociaux : « Quel beau texte ! », « J’ai pleuré », « Quelle réalité cruelle et inadmissible ! », alouette!

Un bel élan de sentiments qui ne fait place à aucune critique, aucune analyse. En effet, comment pourrait-on ne pas être touché par cette triste histoire ? Qu’un être humain souffre, quels que soient son sexe, sa religion, sa culture, son âge, c’est toujours triste.

Pour ma part, cette histoire m’a glacé le sang.

Non pas tant en raison du « chemin de croix » qu’a parcouru Sébastien jusqu’en Suisse pour mourir, mais seulement parce qu’il s’est donné la mort. Point.

Suis-je le seul à trouver que la résolution de cette histoire est troublante ? Suis-je un extra-terrestre pour ne pas penser, comme les autres, qu’il s’agit là d’un beau texte ?

Suis-je le seul à trouver que la résolution de cette histoire est troublante ? Suis-je un extra-terrestre pour ne pas penser, comme les autres, qu’il s’agit là d’un beau texte ?

N’y a-t-il pas un problème dans le fait qu’un trentenaire, vraisemblablement gratifié dans son rôle de père, doive annoncer à sa fille de 14 ans qu’il se suicidera ?

Je me croyais être en train de lire le synopsis du film de 1973, Soleil Vert, dans lequel l’un des personnages se rend à la « clinique » pour mourir dignement devant un coucher de soleil en écoutant la Sixième de Beethoven.

Société schizophrène

Cessons de jouer avec les mots et d’appeler cela « laisser la personne partir sereinement ».

Il ne s’agit plus ici de vouloir que des gens en fin de vie puissent mourir sans trop souffrir ; c’est un suicide assisté. C’est Socrate qui boit la cigüe, mais qui est condamné par le manque de soutien, de solution et de sens à sa souffrance plutôt que par le tribunal.

Comment peut-on, en tant que société, vouloir répandre publiquement, d’une part, le message selon lequel le suicide n’est pas une option, et de l’autre, vouloir que tout un chacun se suicide lorsqu’il considère qu’il en a assez de souffrir ?

À la veille de la semaine de prévention du suicide, plus tôt cette année, un autre billet a été écrit dans La Presse et rapportait des statistiques de l’ISQ : chaque année, autour de 140 personnes de 65 ans et plus s’enlèvent la vie. C’est 1 suicide sur 10.

Qu’est-ce que le travailleur social Yvon Bureau concluait à la vue de ces tristes données ? « Raison de plus pour élargir l’aide à mourir. »

Comme le disait Aubert Martin, directeur de l’organisme Vivre dans la dignité, dans son blogue du 8 février : « La véritable tragédie derrière l’euthanasie et le suicide assisté vient justement du fait que nous enfermons la personne dans son problème. Pire encore, nous cautionnons le désespoir qui la conduit à vouloir mourir en lui fournissant les moyens de le faire. »

Au-delà des bons sentiments

Il ne faudrait pas déduire de mon propos que je préconise de laisser les personnes mourir dans leurs souffrances.

Si on accuse quelques fois les opposants à l’euthanasie de faire le sophisme de la pente glissante, je voudrais que ceux qui seront en désaccord avec moi ne me plongent pas dans un faux dilemme : choisir entre la compassion ou la cruauté, choisir entre le suicide ou subir l’agonie à perpétuité.

Le vrai dilemme est celui-ci : la vie vaut la peine d’être vécue ou elle ne vaut rien.

Le vrai dilemme est celui-ci : la vie vaut la peine d’être vécue (avec ce qu’elle comporte d’emblée d’insupportable et d’incompréhensible) ou elle ne vaut rien, et aussi bien y mettre fin aussitôt qu’elle ne répond pas à nos attentes.

Faire le choix, en tant que société, de promouvoir le suicide comme solution à la souffrance, aux épreuves, est d’une incohérence et d’une hypocrisie crasses.

Alors, pour revenir à la question de Patrick Lagacé, pourquoi empêcherait-on ces gens de « partir sereinement » ici plutôt que de leur faire investir 35 000 $ pour aller en Suisse où la loi le permet ? Je dirais que rien ne les en empêche de le faire ici.

Que des gens se donnent la mort privément, ou avec leur famille, c’est une chose.

Que l’État n’ait rien d’autre à leur offrir qu’une dose de cigüe en est une autre.

La mort a un cout. Et pas seulement financier.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.