sorcières
Photo : Petr Sidorov / Unsplash.

Les sorcières de TikTok

Alors qu’il était périlleux, à une époque, de se faire identifier comme sorcière, ce titre est désormais revendiqué par des influenceuses qui font un tabac sur TikTok. Les vidéos regroupées sous le mot-clic « witchtok » ont été vues plus de vingt-milliards de fois. Certains craignent que cette nouvelle tendance ne vienne corrompre la jeunesse. Que penser de ces cybersorcières qui assaillent le web ?    

Sur le « witchtok », on retrouve une diversité de contenus qui vont de l’astrologie à la divination, du yoga à la méditation, en passant par la lecture des cristaux. Ces pratiques visent à favoriser la guérison, augmenter l’estime de soi et, ultimement, à susciter le bienêtre. Suivant cette logique, on peut à la fois vouer un culte à des divinités indoues ET grecques, pratiquer la purification par la sauge et orner une commode de quartz rose, d’ossements et d’un bol rempli de sel. 

Oublions le cliché de la vieille femme aussi excentrique que laide. Les sorcières sont maintenant jeunes, belles et à la fine pointe de la mode.

Bien qu’elles ne soient apparues sur ce réseau social qu’en 2020, les sorcières de TikTok sont à la remorque d’une tendance plus lourde dans la culture. Depuis quelques années, à Paris, la mode était déjà aux soirées champagne, macarons et… voyance. Le tarot était d’ailleurs la thématique du défilé printemps-été 2021 de Dior

Oublions le cliché de la vieille femme aussi excentrique que laide. Les sorcières sont maintenant jeunes, belles et à la fine pointe de la mode. Comme n’importe quelles influenceuses, au fond. Et elles aussi ont quelque chose à vendre.

Jouer à la magie

La plus fameuse d’entre elles, Sarah AL, est suivie par 1,3 million de personnes, essentiellement des adolescentes. Sur ses médias sociaux, la Française de dix-neuf ans produit des tutoriels où elle enseigne à jeter des sorts, diffuse des photos en bikini et relaie différentes publicités. Elle opère une boutique en ligne où elle vend des vêtements, des accessoires et des ensembles qui facilitent la pratique de la sorcellerie, comme des « kits offrande à Aphrodite » ou des « coupes divines Poséidon ».

Dans les milieux féministes, la sorcière est devenue l’icône par excellence de la femme puissante et insoumise. De fait, celles qui étaient accusées de sorcellerie durant la Renaissance possédaient des savoirs et des compétences inconnus des hommes. Leur indépendance suscitait la méfiance. Sur TikTok, on se contente le plus souvent de jouer à la magicienne. On a beau lancer des sorts aux agresseurs sexuels, soutenir le mouvement Black Lives Matter, c’est l’esthétique qui, à la fin, importe. 

L’esprit du marché 

La plus grande supercherie du « witchtok » est probablement qu’on y promet une voie d’émancipation de l’idéologie dominante. À bien des égards, cette spiritualité ne se révèle être qu’une émanation de plus du capitalisme. 

La sorcellerie contemporaine s’appuie sur cette idée selon laquelle le bonheur, c’est l’absence de souffrance. Les relations qu’entretiennent les sorcières avec les entités qu’elles vénèrent prennent la forme d’un partenariat. Les notions d’amour, de sacrifice et de don de soi sont insignifiantes dans ce cadre. 

Bien que la liberté soit une valeur poursuivie par les sorcières, ce sont leurs désirs personnels qui priment. À travers les philtres qu’elles concoctent, les apprenties magiciennes cherchent à avoir une emprise sur les autres. En juillet 2020, elles ont même tenté d’ensorceler la lune ! Il faut avoir une image disproportionnée de soi pour croire influencer le mouvement des astres. 

Finalement, cette « sorcellerie » recèle tous les écueils de la « pensée positive ». On croit qu’il suffit d’envoyer de « bonnes énergies » dans l’univers afin d’en faire son allié. L’individu qui n’atteint pas ses objectifs n’a qu’à s’en prendre à lui-même. 

Des croyances qui s’ignorent

En entrevue à TF1, Sarah AL affirmait que l’efficacité de ces rituels lui importait peu, l’essentiel étant qu’ils lui permettent de trouver un sens à sa vie. Elle n’est pas la seule à chercher ses repères. Ils sont cent-mille voyants en France, quatre fois plus que de psychologues cliniciens, à proposer leurs réponses.  

Même si, dans les sociétés occidentales, la rupture de la transmission religieuse semble consommée, ces dernières restent beaucoup moins rationnelles qu’elles se plaisent à le croire.  

En février dernier, à l’émission Salut Bonjour, on présentait un segment sur la lithothérapie, ou la guérison par les pierres. À quand une chronique sur le chapelet ?


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.