Lettre à Jules Rose Johnson
Salut Jules Rose,
Ce matin, dans les journaux, on voyait ton minois sexuellement neutre faire la pose à côté d’une enseigne sexuellement neutre, dans un collège qui vise à être sexuellement neutre.
J’aimerais d’abord te signifier tout mon appui dans ta démarche de différenciation à travers l’indifférenciation. (Ou est-ce l’inverse? Peu importe.) Je comprends mal que tant de personnes s’insurgent contre la décision de ton collège de mettre en place des toilettes mixtes alors que tous les détracteurs de ces chiottes « nouveau genre » ont eux-mêmes une salle de bain mixte à la maison.
En fait, si je t’appuie dans ta quête d’être pareil, mais pas pareil, c’est que j’essaie moi-même de faire exactement la même chose depuis la tendre enfance: avec quelques maladresses, il va sans dire, j’ai essayé de faire comme tout le monde tout en étant différent. Tant qu’à parler d’ambigüité, soyons clairs…
Bon. Les moyens que j’ai pris pour atteindre cet objectif d’équilibre précaire entre la différenciation et l’indifférenciation ont certainement divergé des tiens. Et tu auras raison de me souligner que je ne peux pas comprendre ce que c’est que de naitre dans un corps qui n’est pas en adéquation avec ce que tu es fondamentalement. Comme si la nature s’était trompée.
Au risque d’avoir l’air d’un « vieux réactionnaire de droite » (chose improbable, surtout à cause de mon âge, disons) je me permets ici de te rassurer : tu n’es pas la/le seul(e) à croire que la nature se trompe. Il m’arrive aussi de le croire lorsque mon corps fatigué ne veut pas écouter ma tête au réveil le matin. (Ou est-ce l’inverse? Peu importe, once again.)
La distinction tranchée au couteau entre ce que la nature fait (mâle/femelle) et ce que la culture construit (masculin/féminin) repose sur l’idée que si la nature se trompe souvent, la culture n’est guère mieux. Revient alors à l’individu de choisir, dans une autonomie nouvelle, enfin déliée des chaines du patriarcat, de la religion, voire de toute morale.
Revient alors à l’individu de choisir, dans une autonomie nouvelle, enfin déliée des chaines du patriarcat, de la religion, voire de toute morale.
Deux trucs m’intriguent toutefois:
1) comment s’assurer que la construction de la théorie du genre n’est pas une erreur – du même type que le patriarcat tant décrié – visant à écraser l’individu qu’elle prétend libérer ou, en d’autres termes, s’il n’y a plus de carcan moral (de bonne ou de mauvaise façon de vivre la sexualité, pour employer des mots de réac), comment s’assurer du bienfondé de cette théorie?;
2) comment, lorsqu’ils pourront tout faire comme tout le monde, les transgenres et transsexuels comptent-ils maintenir leur revendication à la différence? Avez-vous un plan pour l’après-banalisation de la différence?
Je n’entrerai pas dans les sophismes rapportés par l’article du Journal. Je te donne le bénéfice du doute: tu as pu être mal cité(e).
Toutefois, comprends-moi bien, je ne connais que très peu de gens qui sont satisfaits du corps que la nature leur a donné. Et ceux qui en sont parfaitement contents sont souvent aussi des êtres parfaitement insupportables. Bref, pour la plupart des mortels, on se fait chier avec notre corps. D’ailleurs, il faut aller aux lieux d’aisance, il faut manger et parfois même se laver. Tant de corvées inutiles qui briment ma volonté pure de me réaliser pleinement dans ce que je suis (ou ce que je crois être, je ne sais trop).
Tu vois, dans un monde où les valeurs écolos ont la cote, je dois avouer que ce soudain dédain de la nature me questionne.
Naturellement, il me fera plaisir de continuer la discussion avec toi. Probablement lorsqu’on se croisera aux urinoirs.