Mexico

Un Québécois errant à Mexico

Je n’avais jamais mis les pieds au sud des États-Unis quand, au mois de février dernier, j’ai atterri à Mexico en plein après-midi. C’était avant la crise du coronavirus qui referme l’ouverture tous azimuts de notre époque. À la sortie de l’aéroport, la chaleur contraste avec l’hiver permanent de mon pays. Pour me rendre en ville, une promenade dans une voiture jaune s’impose naturellement ; plusieurs disparitions surviennent à bord des taxis rose et blanc, souvent en bien mauvais état et pourtant emblématiques de la ciudad de México.

Coyoacan, une enclave multicolore

À bord du véhicule, ma connaissance rudimentaire de la langue de Cervantès ne peut qu’installer un silence. Vêtu d’une chemise à manches courtes et d’une cravate, le conducteur est de marbre. Il s’occupe à faire zigzaguer son bolide dans cette jungle que sont les rues de Mexico. En direction de Coyoacan, un quartier contenant à lui seul plus de 600 000 habitants, célèbre pour son architecture coloniale et pour ses couleurs vives, je remarque le délabrement de plusieurs habitations longeant l’autoroute. La pauvreté drastique au Mexique est une réalité qui côtoie celle de l’opulence. 

Après les trois mois consacrés au siège de Mexico-Tenochtitlan, la capitale aztèque défendue par Cuitláhuac et par Cuauhtémoc (les deux derniers empereurs des Mexicas), Hernán Cortés y a installé son gouvernement en 1524. Les cendres de Cortés, après son décès survenu en Espagne, ont été transportées en Nouvelle-Espagne et enterrées à Coyoacan.

À l’inverse de la culture issue du monde canadien-français, qui est au mieux refoulée dans les marges de la conscience collective, la culture mexicaine n’est pas rangée au musée.

Les couleurs et la verdure surprennent dans cette division territoriale située dans le sud de Mexico. Chaque rue, surplombée parfois par des guirlandes, est parsemée de buissons, d’arbres ou de palmiers. Des objets liturgiques défendent l’entrée des maisons à l’architecture hétéroclite ; la présence de la Vierge de Guadalupe, dans la plus grande ville des Amériques, est un soleil qui ne se couche jamais. 

De l’arrivée de Cortés au XVIe siècle à l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne obtenue en 1821 en passant par les révolutions, les soubresauts de la vie politique de ce pays se sont rarement passés de l’icône de la Vierge. Un symbole d’unité dans une république marquée par une violence endémique.

Une culture métissée et vivante

On dit que Coyoacan est le repaire des intellectuels. Simple sornette ou vérité incontestable ? Ce coin de la ville a vu défiler Frida Khalo, Diego Rivera et Léon Trostki. Il abrite l’Université nationale autonome du Mexique. 

Scène de la vie quotidienne à Coyoacán

Dans une chambre de la rue Viena, en 1939, Trostki s’est fait assassiner par un agent à la solde de Staline qui lui a asséné un coup de piolet derrière la tête. Non loin de là, au début de son exil, Trostki avait aussi séjourné avec sa femme, Natalia Sedova, dans la maison bleue de Khalo et Rivera. 

Cernée par de hauts murs de briques et des plantes grimpantes, la terrasse de la Coyoacána, un restaurant traditionnel, offre le spectacle d’une société qui communie avec elle-même. 

En face de la table où je savoure un repas tardif, une femme de bonne société, accompagnée par ses proches, chante passionnément avec des mariachis un morceau qu’elle connait par cœur. Elle finit par verser une larme après des gorgées de mezcal. Cette descendante d’Espagnols venus au Nouveau Monde, une quinquagénaire à la chevelure noire, est entourée de mariachis autochtones. La culture mexicaine est vivante, complexe et métissée. L’un des plus importants hommes politiques du pays, Benito Juárez, était lui-même métis. 

À l’inverse de la culture issue du monde canadien-français, qui est au mieux refoulée dans les marges de la conscience collective, la culture mexicaine n’est pas rangée au musée. Imaginerait-on une reviviscence des chansons de La Bolduc dans les restaurants du Plateau Mont-Royal ? Les fondements de la culture québécoise sont à l’image de nos églises : ils tombent en ruines.

De Chapultepec…

Ce qui étonne en se baladant dans les rues de la capitale des États-Unis du Mexique, surtout pour un Québécois, c’est qu’il existe une grandeur et une façon de concevoir l’Amérique du Nord qui ne sont pas celles du rêve américain et de l’Empire britannique. À Montréal, tout rappelle la présence du colonisateur anglais : le square Victoria, la colonne Nelson, le square Dorchester. Rares sont les places publiques qui célèbrent « notre grande aventure » (Lionel Groulx) de l’Amérique française. 

L’Ange de l’Indépendance. Photo: Enrique Ortega Miranda / Unsplash

La nation québécoise, à l’inverse de la nation mexicaine, n’est pas politique ; elle ne s’incarne ni dans l’architecture, ni dans la toponymie, ni dans une langue érigée en tant qu’outil indispensable de promotion sociale. 

Au sommet du boisé de Chapultepec trône un magnifique palais du même nom. D’abord conçu comme résidence estivale du vice-roi de la Nouvelle-Espagne, il est devenu la résidence impériale de Maximilien. Au pied de la colline s’ouvre la promenade Reforma, une immense avenue qui traverse le centre financier de Mexico, parsemée de gratte-ciels dignes de ce nom. 

Dans ce Wall Street latino-américain, la modernité économique se vit en espagnol. De Chapultepec au centre historique, l’Ange de l’Indépendance, une colonne érigée en 1910 pour commémorer les cent ans de l’indépendance, côtoie les rapaces de la finance. 

… au Zócalo

Place de la Constitution

À l’approche du centro, la tour latino-américaine, qui fut longtemps le plus haut édifice du pays, indique l’heure en tout temps. L’avenue Madero, passage obligé du centre historique, comporte des bijouteries où plusieurs osent se couvrir d’or. Elle conduit à l’immense place de la Constitution, surnommée el Zócalo. En son milieu flotte un drapeau mexicain à confondre avec le ciel. 

Lors d’une balade, je me demande pourquoi tout le monde avait le front noirci. Au Mexique, on suit la coutume du cycle pascal. C’est lors du Mercredi des Cendres que j’ai constaté que Mexico est une voix qui ne fausse jamais, un danger qui vaut la peine d’être vécu, une puissance symbolique au sein de laquelle la tradition et la modernité forment un couple qui résiste à l’usure du temps. 


Alexandre Poulin

Alexandre Poulin est essayiste et chroniqueur. Il est l'auteur du livre Un désir d'achèvement. Réflexions d'un héritier politique (Boréal, 2020).