Les penseurs de l’Occident moderne affirment parfois qu’ils peuvent envisager un Dieu philosophique mais pas un Dieu religieux. L’existence de Dieu, tel que défini par les arguments philosophiques, peut leur sembler crédible dans une certaine mesure. Mais l’existence de Dieu, tel que défini par la révélation religieuse, leur paraît ridicule et invraisemblable.
De la même façon, on estime que l’existence des extraterrestres est crédible alors que celle du Père Noël ne l’est pas. On peut envisager ce qui est lointain et hypothétique, mais on rejette d’emblée ce qu’on sait être inventé. Ainsi, on exclut de croire en la révélation religieuse puisqu’on présume qu’elle est inventée.
On présume que la révélation religieuse est inventée à cause de son caractère mythique. C’est-à-dire que, comme les mythes, elle est un récit d’apparence historique incluant des éléments symboliques et surnaturels. Et puisque nous savons que les mythes sont des rêves irréels, on présume que tout ce qui ressemble à un mythe est une invention humaine. Pourtant, cette présomption ne devrait pas aller de soi.
Tentons plutôt de réfléchir aux mythes avec une nouvelle ouverture d’esprit, en imaginant différentes possibilités avec sérieux.
Mythes universels
À toutes les époques et dans toutes les cultures, les humains ont rêvé des histoires mythiques et ils ont donné un sens religieux à ces rêves. Une chose est certaine : ces rêves ne sont pas des représentations exactes de la réalité historique.
Toutefois, une question demeure : est-ce que ces rêves sont de pures illusions dues à une dérive universelle de la pensée humaine, ou est-ce qu’ils sont des représentations allégoriques d’une réalité mystérieuse qui nous dépasse?
Si nous ne présumons pas que notre intelligence domine l’univers, nous pouvons admettre qu’une réalité mystérieuse qui dépasse notre compréhension existe peut-être. Si nous sommes spirituellement enracinés, non seulement dans la civilisation chrétienne mais dans l’héritage religieux de toute l’humanité, nous pouvons imaginer que le mythe n’est pas une invention mais plutôt une découverte. Une découverte vague et fragmentaire, mais une découverte tout de même.
Les mythes ne sont pas un item culturel parmi les autres : ils sont l’apothéose de chaque culture.
Si cela est vrai, chaque mythe de chaque culture est un indice partiel, un reflet déformé de la réalité mystérieuse au sein de laquelle nous sommes inscrits. Les mythes possèdent de nombreux traits communs ; ils inspirent des idéaux étrangement similaires et profondément significatifs. Les mythes ne sont pas un item culturel parmi les autres : ils sont l’apothéose de chaque culture qui y trouve l’horizon de son existence et le sens de sa vie. Depuis ses origines, l’humanité a vénéré la réalité mystérieuse que révèlent ses rêves mythiques.
Ne nous laissons pas séduire par la présomption selon laquelle que pouvons écarter la posture existentielle de nos ancêtres sans nous arrêter pour y réfléchir avec attention. Réfléchissons comme si tous les peuples de l’histoire n’étaient pas que des ignares primitifs dont nous n’avons rien à apprendre, mais plutôt comme si leur expérience était une référence précieuse pour déployer notre propre sagesse.
Admettons que les mythes peuvent être les manifestations rêvées d’une réalité mystérieuse qui nous dépasse.
Mythe singulier
À partir d’une telle ouverture d’esprit, détachée des préjugés modernes, peut-on imaginer qu’un mythe soit historiquement vrai? Peut-on imaginer que la divinité à la source des rêveries mythiques soit intervenue dans l’histoire réelle de l’humanité?
Mais alors, comment s’attendrait-on à ce que Dieu se révèle dans l’histoire? Qu’il apparaisse dans toute sa gloire à l’humanité entière pour tout rendre parfait en un seul instant? Cette possibilité triomphale, si désirable pour les âmes tourmentées, n’est pas la seule.
L’imaginaire moderne, imprégné de la logique industrielle, tend à concevoir Dieu comme un ingénieur qui voudrait atteindre sa fin aussi rapidement qu’il le peut. Et puisque l’univers ne semble pas être construit de façon à atteindre une fin avec une efficacité maximale, on déduit que l’existence de Dieu est improbable. Pourtant, si on admet que le divin est une notion spirituelle, il faudrait adopter un registre de pensée plus spirituel que l’ingénierie.
Pour certains peuples antiques, tels que les Grecs, la poésie et la théologie étaient indissociables.
Parmi les registres de pensée les plus spirituels, on peut suggérer la poésie. Pour certains peuples antiques, tels que les Grecs, la poésie et la théologie étaient indissociables. Ainsi, il est sensé de concevoir Dieu comme un poète pour qui le moyen est aussi important que la fin, pour qui la route est aussi importante que la destination. Un poète ne veut pas forger une machine, il veut tisser une histoire. Considérons l’histoire suivante dans l’esprit d’un poète:
Dieu crée l’homme simple et heureux, mais libre. L’homme libre commet la folie insensée de préférer son autonomie orgueilleuse plutôt que son bonheur parfait sous la tutelle de son Créateur, il se dissocie donc de Dieu et il sombre dans le malheur. Suite aux innombrables millénaires de présence parmi nos rêveries allégoriques, Dieu se révèle parmi nous, au sein de notre histoire, à travers l’annonce des prophètes juifs et le témoignage des apôtres chrétiens.
L’Éternel tout-puissant nous scandalise en s’incarnant pour devenir l’une de ses créatures, en s’humiliant pour se rabaisser à notre niveau. Ainsi réduit, il nous apprend à aimer et à pardonner, il souffre et il meurt pour nous libérer de l’esclavage spirituel qui nous afflige. Par ce sacrifice mystique, il sauve ceux qui acceptent son alliance nuptiale.
Voilà un récit mythique digne d’un poète divin! Si Dieu s’est révélé dans les mythes de tous les peuples pour finalement se révéler dans l’histoire d’un peuple, il est normal que sa révélation historique ressemble aux mythes. Le vrai mythe ressemble forcément aux mythes rêvés, sauf qu’il est réel dans les faits : il est incarné dans l’histoire.
Enquête historique
En exposant ainsi la notion de « vrai mythe » (ce terme fut d’abord utilisé par les auteurs britanniques J.R.R. Tolkien et C.S. Lewis), on n’a rien prouvé. Il est normal de demeurer sceptique face à une hypothèse aussi étrangère à la pensée moderne. Il importe seulement d’éviter la posture des incrédules obtus qui, sans y réfléchir avec sérieux, préjugent que les mythes vénérés par l’ensemble de l’humanité historique sont des lubies sans fondement dans la réalité, et donc que leurs ressemblances avec la révélation religieuse confirment que celle-ci est une invention humaine.
Pour trouver des preuves, ou au moins des indices, qu’une révélation religieuse est vraie, c’est dans l’histoire qu’il faut chercher. Est-ce qu’un mythe a émergé de façon unique au sein de l’histoire? Est-ce qu’un mythe s’est déployé à travers les cultures et les civilisations avec une force d’esprit extraordinaire? Est-ce qu’un mythe a dévoilé un message d’amour et d’espérance inédits?
De nombreux traités ont été écrits en réponse à chacune de ces questions, et de plusieurs autres questions connexes. Le problème est que les penseurs de l’Occident moderne lisent rarement ces traités puisqu’ils ne prennent plus ces questions au sérieux. Mais si on ne se laisse pas détourner de cette quête existentielle, l’exploration historique et spirituelle qui s’ensuit réserve des surprises qu’on ne devine pas!