Économie du salut

Avant de commencer, laissez-moi prendre des nouvelles de vos proches poches. Comment va votre vieux pépère RÉER? Vos petits enfants placements se portent bien? Votre tendre épouse épargne est toujours aussi ravissante?

Aujourd’hui, on jase d’un livre qui jase de fric. De montagnes de fric.

Je vous parle d’un petit fascicule publié chez Salvator qui reprend un texte intitulé Questions économiques et financières, sorti début 2018 des presses vaticanes.

Déjà, je vous vois venir avec une première question économique : « combien ça coute? ». Pas cher, pas cher. Comptez sur moi et comptez vos cennes noires, c’est un bon investissement. Quelques piécettes, à peine plus que l’obole de la veuve, devraient suffire.

(Notez que les plus gratteux peuvent déjà se le procurer gratos sur le site Web du Vatican.)

Production réelle et spéculation

Le document est écrit conjointement par deux institutions: la Congrégation pour la Doctrine de la foi et par le Dicastère pour le Service du développement intégral.

Si la Congrégation pour la Doctrine de la foi nous a habitués à ses documents sur l’Économie du Salut, ici, elle nous parle plutôt d’un autre type d’économie : frénésie des marchés boursiers, éthique fiscale des entreprises et des particuliers, transactions à haute fréquence, etc.

Mais, comme le pape François l’a écrit dans Laudato Si’ : « tout est lié ». Ce qui se passe dans les hautes sphères de la finance mondialisée n’est pas aussi éloigné qu’on pourrait le croire de la question du salut du genre humain.

Maintenant, qu’est-ce qu’on retrouve là-dedans ?

D’abord, le travail est un bien et ne peut ni ne doit être réduit à un moyen. Pour vous et moi, pour le commun des petits poissons ou des gentilles brebis, ça peut paraître évident. Mais pour un requin de la finance ou pour un loup de Wall Street, ça ne va pas de soi.

Alors, on pose d’emblée un principe qui devrait guider autant le banquier que le courtier et le petit épargnant : la finance doit être un service à l’économie réelle et ne jamais se l’assujettir.

Par exemple, quand une compagnie se lance en bourse, ça lui permet d’aller chercher de nouveaux capitaux pour poursuivre son développement. Ça peut être une occasion d’embaucher de nouveaux employés, de mieux répondre aux besoins de la population qu’elle dessert, etc. Donc, la financiarisation n’est pas forcément à proscrire.

Mais on assiste depuis quelques décennies à une mauvaise financiarisation qui fait en sorte que, et je cite :

« la richesse virtuelle [i.e. les investissements éphémères des spéculateurs], principalement concentrée sur des transactions caractérisées par une intention de pure spéculation et sur des transactions à haute fréquence, attire à elle des capitaux en trop grand nombre, les soustrayant ainsi aux circuits vertueux de l’économie réelle. »

Conséquence ?

L’investisseur se trouve tellement détaché et éloigné du travail réel, qu’il se balance complètement du Bien commun.

Le revenu issu du capital porte maintenant atteinte au revenu issu du travail. Autrement dit, l’investisseur se trouve tellement détaché et éloigné du travail réel, qu’il se balance complètement du Bien commun (ce qui comprend le bien des personnes, la protection des écosystèmes, l’intérêt des consommateurs, etc.).

La production réelle de biens et de services en vue d’édifier la société – i.e. le travail des hommes et des femmes – se trouve alors soumise au seul critère de la rentabilité pour les actionnaires.

Que faire ?

Quelles sont les solutions proposées face à tant de défis ?

Premièrement, on doit cesser de croire naïvement que les marchés peuvent se réguler d’eux-mêmes ; ensuite, arrêter d’attendre des marchés qu’ils répartissent les ressources de manière éthique ; enfin, que les acteurs concernés et que les pouvoirs politiques puissent assumer pleinement leurs responsabilités en ce sens, en vue du Bien commun.

Ce texte a d’abord été diffusé en version vidéo à la télévision diocésaine de Québec. Nous remercions nos amis et collègues d’ECDQ.tv.

Aussi, parmi les autres idées déployées dans Questions économiques et financières, on lit un vibrant appel à une véritable justice fiscale.

Évidemment, les placements extraterritoriaux (dits offshore) nuisent au développement des sociétés desquelles ils proviennent. Je cite encore le document :

« Le contournement fiscal de la part des principaux acteurs du marché, notamment des grands intermédiaires financiers, représente une ponction injuste de ressources à l’économie réelle, et demeure un préjudice pour l’ensemble de la société civile. »

L’opacité du système et la multiplicité des intermédiaires ne devraient jamais nous dispenser de l’éthique économique élémentaire.

En gros, on retient de Questions économiques et financières que l’Église catholique est très bien au fait des grands enjeux éthiques qui concernent le monde de la finance mondiale. On en retient aussi une exhortation consistante envers ceux qui sont en position de pouvoir économique ou politique : c’est-à-dire, un appel fort à ce qu’ils œuvrent toujours dans une quête active du Bien commun.

Enfin, la petite brochure interpelle chaque épargnant à se questionner sur sa responsabilité d’investisseur. L’opacité du système et la multiplicité des intermédiaires ne devraient jamais nous dispenser de l’éthique économique élémentaire; celle qui fait du travailleur, cet acteur central de l’économie réelle, un frère / une sœur en humanité.

Et un dernier bénéfice non négligeable : ça vous fera quelque chose de bon à lire dans la salle d’attente de votre conseiller financier…



Pour aller plus loin :

Encyclique Laudato Si’ du pape François, 2015.

Questions économiques et financières, 2018.

Compendium de la Doctrine sociale de l’Église.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.