Dimanche dernier se clôturait au Vatican le Sommet sur la protection des mineurs. Rétrospectivement, on peut dire que la semaine dernière fut un véritable chemin de croix pour l’Église. Or, comme catholiques, nous savons que la Passion est un évènement aussi douloureux que salutaire.
Nous pouvons affirmer que ce nouveau positionnement d’une Église qui, au lieu de chercher plus à se protéger elle-même, se met plutôt en position d’accueil et d’accompagnement des victimes sur le chemin de la guérison, est un immense pas sur le chemin de la conversion.
Alors que le Saint-Siège faisait son mea culpa institutionnel, les acteurs et observateurs médiatiques n’ont pas manqué d’offrir leurs analyses et prescriptions à tout vent.
Au risque de me répéter, il me semble que cette attention médiatique sur la crise des abus dans l’Église, bien que disproportionnée statistiquement, est salutaire pour l’Église. À condition que l’on fasse un profond examen de conscience.
Examinons, pour ce faire, trois facteurs culturels ad intra.
Les nouveaux visages du cléricalisme
Le pape François et plusieurs spécialistes ont pointé du doigt ce corporatisme presbytéral que l’on nomme « cléricalisme ».
En effet, il est clair que tout abus sexuel, considéré plus généralement, est un abus de pouvoir. Voilà donc, d’une certaine manière, la racine du problème.
Comment une telle perversion de sens est-elle possible ? Comment a-t-on pu échouer sur une si grande échelle à former des prêtres, comme le disait saint Jean-Paul II, à « vivre comme un service sa mission d’autorité dans la communauté, en s’abstenant de toute attitude de supériorité ou de l’exercice d’un pouvoir qui ne serait pas toujours et uniquement justifié par la charité pastorale » (Pastores Dabo Vobis, no58) ?
Tout abus sexuel, considéré plus généralement, est un abus de pouvoir.
Tout dépendant des lieux où les prêtres évoluent, plusieurs réponses sont possibles.
Au Québec, bien que le cléricalisme soit en grande partie disparu de notre réalité, il n’en demeure pas moins présent dans certaines mentalités qui, sous prétexte d’égalité, persistent à voir dans le sacrement de l’ordre un lieu de pouvoir à conquérir.
En ce sens, le meilleur moyen d’en finir une fois pour toutes avec le cléricalisme sera, entre autres, d’en finir avec ce « débat » puéril et « autoréférentiel » et de maximiser la qualité des moyens qui rendent possible son sain exercice.
Nul ne peut s’exempter d’un examen de conscience.
Tenter la grâce d’état
Dans nos milieux, un deuxième élément culturel favorise l’émergence d’abus de toutes sortes.
Comme nous l’avons vu, le cléricalisme découle d’une perversion de la véritable mission octroyée par le Christ lors de l’institution du sacrement de l’ordre. Pour expliquer cela, je me permets de citer un texte de Benoît XVI :
« Par des mains de l’Évêque et la prière consécratoire de l’Église, les candidats deviennent des hommes nouveaux, ils deviennent des « prêtres ». Dans cette lumière il apparait clairement comment les tria munera sont d’abord un don et seulement ensuite un office, d’abord la participation à une vie, et pour ce motif une potestas. Certes, la grande tradition ecclésiale a, à juste titre, détaché l’efficacité sacramentelle de la situation existentielle concrète du prêtre, et ainsi les attentes légitimes des fidèles sont adéquatement sauvegardées. Mais ce juste éclaircissement doctrinal n’enlève rien à cette tension nécessaire, et même indispensable, vers la perfection morale, qui doit habiter chaque cœur authentiquement sacerdotal ».
Ce « tria munera » (devoirs/pouvoirs de gouvernement, d’enseignement et de sanctification) montre que, même si les ministres ordonnés reçoivent la grâce d’état, ils ont le devoir d’y correspondre de tout leur être, et ce, tant au niveau moral qu’humain.
Que ce soit dans la gestion des communications, de l’accueil des plaignants ou de l’imputabilité des évêques, les défaillances furent nombreuses.
Bien que les abus du clergé s’expliquent évidemment par une défaillance au niveau moral, la mauvaise gestion communautaire et gouvernementale des cas d’abus a toutefois plus à voir avec des manquements humains et professionnels. Que ce soit dans la gestion des cas (Intervention de Soeur Veronica Openibo, à 7 :35 min), des communications, de l’accueil des plaignants, du respect de l’élaboration et de l’application des protocoles, de l’imputabilité des évêques (Intervention du cardinal Oswald Gracias, à 9 :20), etc., les défaillances humaines et professionnelles furent très nombreuses.
Un sommet de quatre jours n’a pas fini de les énumérer !
Ainsi, puisque, « la grâce perfectionne la nature » (saint Thomas, 1pars, q.62, a.4) nous devons amorcer une réflexion sur l’adéquation de nos institutions avec les exigences professionnelles de notre temps.
Il me semble donc opportun d’amorcer une analyse globale des différents types de formation professionnelle nécessaires à tous les intervenants des diocèses afin que l’ordinaire du lieu puisse exercer sa mission d’une manière digne de la grâce d’état reçue lors de son ordination.
À ce sujet, je le redis, nul ne peut s’exempter d’un examen de conscience.
Une fausse opposition entre justice et miséricorde
Une autre raison culturelle intraecclésiale est en lien avec la présente crise. Après le Concile Vatican II, et suivant l’invitation légitime de saint Jean XXIII selon laquelle « [a]ujourd’hui, l’Épouse du Christ préfère user la médecine de la miséricorde plutôt que les armes de la rigueur », l’Église en Occident a bien souvent interprété et appliqué cette ouverture du missionnaire du Concile comme une invitation au relâchement.
Selon Yves Congar, o.p. : « le style des documents conciliaires est révélateur, les mots qui reviennent le plus souvent ne sont pas des mots de condamnation, mais des mots de bienveillance ».Sous prétexte d’une libération tous azimuts (qui était nécessaire à bien des égards soit dit en pensant), toutes notions perçues par les herméneutes officieux comme n’étant pas la « véritable expression de l’esprit du Concile »furent évacuées.
Or, parmi ces dernières, figuraient plusieurs catégories juridiques importantes et reprises par le nouveau Code de Droit canonique de 1983 telle que delicta graviora, excommunication, sentence, pénitence, justice, etc.
Un renouveau de l’Église passera donc nécessairement par une expérience vécue de l’intégralité de la foi.
Pour se convaincre de l’existence de cet antijuridisme ecclésial, on n’a qu’à comparer statistiquement la faible proportion de diplômés en droit canonique avec les autres disciplines ecclésiales. Doit-on revenir à cette Église qui condamne davantage qu’elle pardonne? Je ne le crois pas, même si la semaine dernière, le langage de la condamnation semblait la meilleure façon « d’annoncer la doctrine de manière à ce qu’elle soit comprise par notre époque ».
À cet effet, il est heureux de voir aujourd’hui le pape François remettre de l’avant ces mêmes vérités que sont Satan, le péché, l’hérésie (Gaudete et Exultate, no35) la confession, la pauvreté radicale, le sacrifice, l’adoration eucharistique, etc.
Un renouveau de l’Église passera donc nécessairement par une expérience vécue de l’intégralité de la foi.
Je le répète ici à dessein : nul ne peut s’exempter d’un examen de conscience.
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Dans mon prochain billet, je poursuivrai mon analyse de la crise actuelle en soulignant les raisons qui me font croire qu’il s’agit d’une opportunité à ne pas manquer. Pour l’instant, il m’apparait plus convenable de « pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12,15).