Chronique d’un déni éclairé

Des savants avertis par la pluie et le vent
Annonçaient un jour la fin du monde
Les journaux commentaient en termes émouvants
Les avis, les aveux des savants
Bien des gens affolés demandaient aux agents
Si le monde était pris dans la ronde
C’est alors que docteurs savants et professeurs
Entonnèrent tous en chœur
« Le soleil a rendez-vous avec la lune… » - Charles Trenet

Les professionnels de la santé nous parlent régulièrement du choix éclairé. Ce concept signifie la libre décision du patient, informé de toutes les possibilités et de leurs conséquences, sur les traitements qui lui seront administrés. 

C’est donc la chronique d’un déni éclairé que je me propose d’écrire ici, entendant par là le choix libre, conscient et éclairé, de me fermer les yeux. Pour arrêter de tout voir en noir.

Je me suis levé ce vendredi, rasséréné par une bonne nuit de sommeil. Je préparais mes toasts, le reste du monde étant affairé à repasser les plis d’une commotion planétaire qui bat au rythme d’un crayolavirus frénétique.

On nous rapporte quotidiennement les conséquences désastreuses de la maladie dont on ne doit pas prononcer le nom. Ou est-ce celle dont on doit prononcer le nom le plus possible? On ne sait plus.

Difficile d’évacuer le sujet, donc. Tout le monde est préoccupé par le koalavirus. C’est tout ce dont on parle à la radio, sur Twitter, au travail. (Oui je suis sur Twitter, ça me divertit et me repose quand je sors fumer.)

Bref, l’inquiétude est palpable, presque autant que l’écran de fumée qui cherche à la cacher.

Gardez votre calme

Les collègues font des blagues. Les autorités appellent au calme. Les célébrités appellent au calme. Les médecins appellent au calme et à se laver les mains.

Finalement, me dis-je, y a-t-il une expression plus susceptible de causer la panique que « restez calme »?

Si je reviens à la maison un soir et que je dis à ma femme « reste calme, mais… », c’est pas exactement le préambule à des nouvelles douces et inoffensives. Enfin.

Il reste que les temps sont durs pour mon complexe d’invincibilité. 

Ce midi, le journal n’avait aucun article parlant de quoi que ce soit d’autre. Seule exception : le courrier des lecteurs de Louise Deschâtelets. Faut maintenir les services essentiels.

Au Subway ce midi, le journal n’avait aucun article parlant de quoi que ce soit d’autre. Seule exception : le courrier des lecteurs de Louise Deschâtelets. Faut maintenir les services essentiels.

La politique, le sport, l’économie, la culture. Plus rien n’existait en dehors de sa relation à la pathologie ambiante.

J’ai eu une pensée sur le fait que si l’économie encaissait un si dur coup en ce moment, si Wall Street en prenait autant pour son rhume de ce repos forcé, peut-être est-ce un signe qu’il est temps de remettre en question la mince ligne sur laquelle nous la faisons rouler à pleine vapeur.

On s’interrogera peut-être sur la fragilité de notre système économique une fois la crise passée. Là on a les mains pleines. Ou peut-être pas. On va être trop occupés alors à relancer la machine.

Les mauvaises nouvelles, pour l’instant, viennent donc de tous les côtés.

Le grand café

C’est de retour au bureau que j’ai pris ma décision. J’ai mis mes écouteurs. Dans ces cas-là, le remède est d’aller fréquenter des hommes sages et rassurants. Confucius, Socrate, Charles Trenet. Vous voyez le genre. J’ai gravité vers ce dernier.

La nature de mon emploi me permet de travailler tout en écoutant de la musique. Les premières notes de « Y a d’la joie » me mirent aussitôt du piquant dans l’âme. Après tout, si la tour Eiffel peut se moquer de tomber malade pour aller s’amuser un peu, on peut bien s’éviter les frais d’un scrupule inutile et contagieux. « Douce France » m’a beaucoup parlé aussi. L’enfance, la tendre insouciance, etc.

C’est toutefois en entendant « Le grand café », chanté par George Brassens aux côtés du bon Charles, que je suis redevenu franchement de bonne humeur.

Pourquoi se laisser abattre quand on peut rigoler d’un pauvre type qui n’a plus un rond pour payer son breuvage et qui doit passer le reste de sa vie à laver des tables au grand café? L’esprit humain est plein de ressources.

J’ai donc décidé de ne pas virer malade avec l’idée de tomber malade. Il n’y a rien d’héroïque là-dedans. Ni de vertueux.

Mais c’est bon pour la santé mentale.

Et il restera bien assez de chocolavirus pour tout le monde demain matin.


Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.