À mes petites pinottes

Mes très chères filles,

Dans quelques jours, le 8 mars, le monde entier prendra un gros 24 heures bien compté pour réfléchir aux droits des femmes. En pareilles circonstances, il est d’usage de rappeler que, même si les luttes menées par vos aïeules ont permis de grands changements sociaux, il vous reste encore de belles batailles à mener.

Vous êtes habituées d’entendre votre père vous dire quoi faire — et surtout quoi ne pas faire. À l’aube de ce jour spécial, je vous fais grâce de mes sempiternelles injonctions et remontrances. Je n’aurai pour unique conseil que celui-ci : soyez bien attentives à la sagesse des femmes libres et heureuses qui vous entourent.


Cet article a été publié dans le magazine Le Verbe, mars 2020. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


En commençant par votre mère. (Je vous assure qu’elle ne m’a pas payé pour écrire ça.)

Permettez-moi d’espérer que ces quelques mots sur les raisons de mon admiration envers elle pourraient vous servir d’encouragement dans les combats qui vous attendent.

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D’abord, malgré les interminables hésitations de votre mère lorsque vient le temps de choisir entre deux sortes de yogourt, de chaussures ou de peinture pour votre chambre, une foi tranquille et sure sied aux fondations de sa vie. Et je soupçonne cette foi de produire chez elle l’espérance qui était nécessaire pour vous accueillir.

Sa force et sa liberté à l’égard des impératifs de notre époque (ce que devrait être une femme épanouie selon des critères productivistes, calqués sur quelques-uns des pires excès masculins) y sont aussi pour beaucoup dans votre venue au monde.

« Comment puis-je tolérer que la femme que j’aime se bourre aux hormones alors que je refuse de manger un poulet qui en aurait la moindre trace ? » disait un jeune homme dans Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque), de la sexologue Thérèse Hargot. S’il arrive à votre mère de vous servir des escalopes de poulet-pas-bio pour souper (vous ne vous en plaignez pas, hein ?), elle vous dirait qu’elle a toutefois des standards plus élevés à l’égard d’elle-même qu’envers sa parmigiana. Question de priorités, j’imagine.

Jetez un œil à ce papier d’Ariane Beauféray (« Jouir sans entrave ? ») pour comprendre un peu mieux pourquoi votre maman a choisi d’assumer pleinement les rythmes naturels de sa féminité bien avant que ce soit cool d’être écoféministe.

Enfin, votre mère n’est pas la première à avoir eu des défis de conciliation travail-famille. Pour méditer sur la question, portez votre regard sur l’une des plus grandes femmes d’affaires que le Québec ait porté (« Capitaine Dorimène »). Comment une mère de dix enfants a-t-elle pu accomplir autant pour la société, autant dans son foyer qu’en dehors de celui-ci ?

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Mes chères petites pinottes, j’ai l’intime certitude que ce qui fera de vous des femmes vraiment libres et heureuses ne pourra jamais se réduire à vos exploits professionnels. Encore moins à la marque de shampoing que vous achèterez pour rendre vos cheveux propres et soyeux.

Pour le dire crument, que vous deveniez religieuse cloitrée, mère au foyer, camionneuse aguerrie ou scientifique de grande renommée, vous aurez toujours un Père au ciel (et un père sur terre aussi) qui croira en votre génie féminin, celui d’aimer comme des femmes.

Papa, qui vous aime

P.-S N’oubliez pas de ramasser votre chambre.


Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.