Photo: Unsplash.com (CC).
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Voici l’homme!

«Voici l’homme!» C’est l’exclamation prononcée par Ponce Pilate quand il présente un Jésus ensanglanté, trahi, fatigué, sale. Quelque chose de plus profond, de plus poignant que l’apparence physique ou les paroles d’un Jésus complètement anéanti saisit tous ceux qui le rencontrent. Quoi? Qu’est-ce qui fait qu’un homme peut être si attirant, si beau et bon, et ce, même – surtout – s’il est muet et défiguré? Afin de comprendre le cœur de la masculinité et, surtout, tout son charme, Paul-Émile Durand nous propose cette réflexion, appuyée par celle de deux autres philosophes, Martin Steffens et le père Olivier Bonnewijn.

S’il est vrai que vous êtes bien belles, mesdames, il est faux de croire que vous avez le monopole de l’attirance! La masculinité semble empreinte de force, mais comme toute force, elle peut être mal utilisée. La véritable force est contenue, et c’est le premier critère de l’homme vertueux. Cette capacité de contrôler sa force permet à l’homme de protéger et d’encadrer. Si c’est lui qui donne l’élan initiateur, dans la chair ou dans la grâce, il peut aussi porter ces mêmes élans, se soumettant à celui qu’il amènera à sa plénitude.

L’homme fort

Le mot latin virtus se traduit par «puissance», laquelle puissance est une autre manière – plus puissante encore! – de parler de force.

Une puissance, ce n’est pas nécessairement une réalisation, c’est une capacité, une possibilité. «Plus haut que l’effectivité se tient la possibilité», dirait Heidegger. Effectivement, l’homme mature et en adéquation avec lui-même n’est pas toujours en quête de prouver sa force, sans quoi il agit comme un petit garçon. C’est le premier constat que Martin Steffens a fait quand il a été interrogé sur le sujet de la masculinité: c’est un aspect primordial de la masculinité.

Qui n’a pas vu un enfant qui cherchait à se battre avec ses frères et sœurs, son père ou toute personne qui joue avec lui? Cette quête des limites de la force est saine et naturelle: le jeune homme, ou, devrait-on dire, l’homme en devenir, cherche ses limites afin que, en les trouvant, il trouve qui il est. Ayant trouvé ces limites, il n’aura plus besoin de les prouver de façon ostentatoire: il connait sa force, plus besoin de la démontrer à autrui ou à lui-même. Ce qui est vrai pour la force musculaire est vrai pour tout type de force, qu’elle soit intérieure ou extérieure.

Une telle beauté est apparente: un homme qui a connaissance de sa force, de ses capacités et qui n’a pas peur de les vivre, c’est un homme qui inspire confiance et respect.

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Toutefois, le fait de posséder une telle force nous incite à en faire usage, car la nature ne fait rien en vain, comme le dirait Aristote. S’il en est ainsi, c’est pour que l’homme puisse mettre cette force au service d’autrui.

En sens contraire, une force qui s’autosuffirait, qui n’aurait d’horizon que de servir son détenteur serait assurément dangereuse. C’est une idéologie bien attrayante que de prôner une autonomie – l’autosuffisance – au nom d’un désir de liberté, mais de quelle liberté parle-t-on? Une liberté qui ne serait que centrée sur soi-même et limitée à notre seule personne, ce n’est probablement pas la liberté la plus satisfaisante… mais si on regarde la force masculine comme une ouverture sur les autres, voilà qui est bien plus fécond!

L’homme porte en lui le désir de mettre sa force au service d’un plus grand bien. Il doit trouver un lieu d’accomplissement où sa force sera mise à contribution. Regardons, pour comprendre ce mystère de l’homme, un lieu où il se déploie: la famille.

L’enceinte de l’enceinte

L’homme est celui qui protège la famille de l’extérieur, créant ainsi l’espace permettant à cette dernière de se développer. Steffens souligne ce dédoublement de l’enceinte, non pas comme un jeu de mots simpliste, mais comme une réalité centrale du mystère de l’homme.

Si la femme est appelée à être enceinte, l’homme, lui, est appelé à être l’enceinte, la bordure, créant ainsi un espace où se développera ce qui est plus fragile. Sa force s’accomplit ainsi, donnant aux autres la possibilité de se développer.

Son rôle est d’être fort, et il en est ainsi principalement pour qu’il puisse appeler celui qui ne l’est pas encore à le devenir, ou d’être tout simplement préservé dans sa fragilité. «Le beau, le bon et le vrai sont, par nature, fragiles», comme le dit Steffens. Par son exemple, il inspire l’autre à s’élever, à prendre possession de ce qui est en lui, à accomplir ses potentialités, à acquérir de la puissance: le vrai père est un repère.

L’homme « viril » est celui qui ne fait pas usage de sa force pour enlever, mais pour élever.

Selon ce qui vient d’être exposé, on comprend que l’homme viril est celui dont la force, sous tous ses aspects, est contagieuse. Il ne fait pas usage de sa force pour enlever, mais pour élever.

Si l’homme, par sa vocation profonde de paternité, est là pour protéger la famille ou, par extension, tout milieu de croissance, il a aussi besoin d’user de cette force au sein même du milieu qu’il amène à faire croitre. Le père coupera le cordon ombilical – au sens propre comme au figuré –: c’est la première rupture entre la mère et l’enfant et, par la même occasion, une première ouverture sur le monde.

L’homme propose la différence, l’altérité, à ceux qui sont auprès de lui. Il doit tout d’abord séparer l’enfant de la mère, et aussi écarter de son protégé toute menace envers lui-même. Qu’il propose l’aventure, l’adversité et la nouveauté à son prochain, mais qu’il le fasse dans un certain cadre: c’est la plénitude de son rôle d’homme auprès des autres.

En bref, «l’homme donne le nom et dit des “non”», comme le résume si bien le père Bonnewijn: confirmant dans son identité celui de qui il favorise la croissance, il écarte en même temps de lui ce qui lui nuit.

Le don de sa vie

Ainsi, le père donne la vie au second sens. Il permet à la vie de se développer, sans toutefois la porter en lui, se donnant autrement pour son prochain.

Ce thème du don est au centre de l’anthropologie chrétienne, et ce n’est pas anodin.

C’est probablement ce qui rapproche le plus l’être humain de Dieu: la capacité de se donner est le plus grand acte de l’Homo sapiens. Il est donc important de voir en quoi la masculinité est une manière différente de faire résonner la corde commune de l’humanité dans une tonalité unique, une manière de se donner de façon masculine, qui n’enlève rien au mystère féminin, mais bien plutôt le confirme dans son unicité.

Un premier don, celui de l’élan, est propre à l’homme. L’homme donne la semence de la vie naturelle ou de la vie surnaturelle, celle de la foi, mais il ne les amènera pas à leur plénitude, il doit laisser aller ce qu’il a semé, tout en l’aidant à se développer.

On peut ici se baser sur ce que nous montre un autre type de père, le prêtre, père quant aux choses spirituelles. Son rôle premier est de nous donner les bases de la foi, dans les sacrements et des enseignements, de même que nous aiguillonner vers ce qui nous accomplira en tant que personne, nous donnant des pistes.

Donner des recommandations, une aptitude qui lui est possible par son don de conseil, c’est une capacité particulièrement attribuée au prêtre et à tout père, qu’il soit spirituel ou non. Il n’est pas là pour nous tenir la main en chemin, mais bien pour nous désigner ce qui s’offre à nous et, à la lumière de son expérience, nous inviter à prendre le meilleur chemin. Avoir une parole qui résonne dans le cœur de celui qui est interpelé, voici un don tout spécialement inscrit dans le cœur de l’homme.

La masculinité est un don qui s’efface, s’oublie dans celui qui en bénéficie.

Or, dans ce don, l’homme s’efface. Ce n’est pas lui qui prend la décision, qui accomplit les gestes, obligeant le paternel à un certain abandon, souligne Martin Steffens. Il ne peut pas user de force ici, étant subordonné de celui auquel il se donne. Il a certes fait un geste premier, mais il ne peut pas aider l’enfant dans le sein de sa mère, il ne peut pas faire un acte de foi pour son fils, comme il ne peut pas prendre et vivre la bonne décision pour autrui: il se heurte à la liberté de l’autre, se donnant sans rien attendre en retour.

Ainsi, on peut voir que la masculinité est douée d’un don qui s’efface, s’oublie dans celui qui en bénéficie. Féconder et ensuite fortifier, mais non pas imposer et exposer, voilà le type de donation auquel l’homme est appelé.

Les frères d’armes

Tout cela pourrait se résumer en une figure, une personne qui comprend beaucoup en elle: le Christ.

Le père Bonnewijn, fin exégète, relevait un nombre impressionnant de leçons de masculinité à prendre des Évangiles. Il remarquait d’abord que Dieu a choisi de ne pas s’incarner en homme et en femme. Il a une expérience limitée de l’humanité, acceptant ses limites, il n’est qu’un homme, et pas n’importe lequel: un homme au sein d’un peuple conquis, dans le fin fond d’une province romaine.

Le Dieu tout-puissant choisissant de limiter sa force… et ce, jusqu’à la mort sur une croix. Voilà un véritable témoignage de force!

Il est Celui qui annonce le royaume des Cieux, annonçant ainsi le règne de Dieu, mais il ne fait rien sans un acte de foi de la part de ceux qui goutent à ses miracles.

Ce qui est au cœur de l’Évangile, c’est un Christ «créant un espace de rencontres» pourrait-on dire, pour emprunter les mots du père Olivier Bonnewijn. Il mange chez les gens, est présent auprès des foules et prêche dans les synagogues, mais il possède aussi des relations intimes et profondes. Les disciples, ces amis et ces frères qu’il a appelés, en sont le meilleur exemple.

Les frères d’armes sont une grâce pour le développement de tout homme, lui donnant la possibilité de se confier et de se soutenir dans les épreuves. Par leur exemple et leur appui, les frères nous aident à nous affirmer dans notre masculinité.

Les compagnons aident aussi l’homme à se sortir de son désir d’autosuffisance, par leur hiérarchie où chacun est d’égale importance devant le Christ et utile aux autres frères, tels les maillons d’une chaine. Tous sont là pour une raison: servir le Christ.

Cependant, le Christ est aussi très près de saintes femmes, par exemple Marie Madeleine, attirée par cet homme viril, conquise par son amour miséricordieux, prête à le suivre et à le servir. La complémentarité est un thème central de la Bible, révélant une autre face du Christ. C’est un autre sujet que la beauté de la féminité, mais il éclaire celui de la masculinité et vice-versa.

Ce qui fait dire à Martin Steffens que «la différence est si grande qu’elle ne permet que de grandes choses.»

L’auteur tient à remercier Martin Steffens et le père Olivier Bonnewijn pour leur contribution à cet article.

Paul-Émile Durand

Jeune québécois passionné d'histoire, de philosophie et de théologie, Paul-Émile Durand chemine comme séminariste dans le diocèse de Montréal. Marqué par une formation en philosophie à l’université Laval et de trois ans au séminaire d’Ars, il s’intéresse à notre culture québécoise et à ses racines, qu’elles soient lointaines ou récentes.