Photo: Casa Rosada (Argentina Presidency of the Nation), Wikimedia Commons
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L’ADN de Dieu

Un texte d’Édouard Malenfant

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouvel ouvrage n’apparaisse en librairie avec le nom de François ou sa photo en page couverture. Cette fois-ci, avec Le nom de Dieu est miséricorde, la formule est un peu différente puisqu’on a regroupé dans une première section du livre une conversation avec le Pape François menée par le journaliste de la Stampa, Andrea Tornielli (1).

Dès les premiers échanges, on saisit bien que, pour François, la Miséricorde n’est pas un thème de plus à promouvoir. Il ne s’agit pas non plus d’un concept creux avec lequel il serait plus facile d’aborder la religion pour nos contemporains. Le Dieu de Jésus-Christ est Miséricorde et l’incarnation de Dieu n’a d’autres fins que de nous révéler qui est Dieu fondamentalement. La Miséricorde n’a rien d’accessoire. Elle est l’ADN, l’identité même de Dieu.

Mais alors comment se fait-il que le monde semble tout ignorer de ce caractère si essentiel du divin? Pourquoi tant d’évitement et de suspicions autour du divin et de la religion? François se lance sans hésiter dans la description toute simple du rôle qu’il comprend de l’Église dont il a la charge :

L’Église n’est pas là pour condamner, mais pour permettre la rencontre avec cet amour viscéral qu’est la miséricorde de Dieu.

– Pape François

9782221192146Le pape interpelle chaque membre de cette Église pour prendre part à cette mission. Il le fait dès ses premières interventions publiques, dès ses premières homélies. Pour lui, l’Évangile transpire tout entier cette miséricorde. Le positionnement de Jésus face aux pharisiens et aux scribes, ses multiples guérisons, ses rencontres avec Matthieu, Zachée, la femme adultère, ses paraboles, sa vie, sa mort et sa résurrection mènent tout droit aux entrailles du Père.

Mais aussi, la relecture de l’Ancien Testament, de toute l’histoire du salut, à partir de cet axe du Père miséricordieux qui prend tant d’initiatives pour libérer l’homme de sa misère est ici tout aussi présente. Les questions de Tornielli permettent à François de bien réaffirmer qu’il a rencontré Dieu lui-même dans une expérience très concrète et forte de cette miséricorde. Quand François visite les prisonniers, il reconnait d’abord qu’il est lui-même pécheur. C’est donc un témoignage qu’il offre plus qu’une démonstration.

Pas question de taire la vérité

On sent que le Pape est impatient que le monde puisse accueillir cette miséricorde, et Dieu lui-même. Il ne cache pas sa déception à l’égard des chrétiens qui se croient au-dessus des pécheurs et qui adoptent une attitude moralisante qui éloigne de Dieu.

Pas question pour autant de taire la vérité, de fermer les yeux sur le mal et sur la corruption en particulier, mais ici il est question de « bras ouverts » et d’accueil plutôt que de condamnation. L’attitude de Jésus dans l’Évangile est on ne peut plus claire : se faire proche du pécheur, aller manger chez lui plutôt que le pointer du doigt.

Depuis Vatican II, l’Église a d’ailleurs insisté à maintes reprises sur sa dimension missionnaire qui consiste à porter la Bonne Nouvelle au monde. Quelle est cette « bonne nouvelle » sinon le salut offert à tout homme et à toute femme.

Dans l’accueil de l’exclu qui est blessé dans son corps, et dans l’accueil du pécheur qui est blessé dans son âme, se joue notre crédibilité de chrétiens. Souvenons-nous toujours des mots de saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. »

– Pape François

L’Église a reçu ce cadeau extraordinaire de porter cette miséricorde au monde. C’est sans doute son premier devoir. Lever le voile sur le cœur de Dieu, inviter toute personne à entrer dans le cœur miséricordieux de Dieu pour y être soignée et guérie de ses blessures, voilà ce qui a conduit François à lancer, le 8 décembre dernier, cette année extraordinaire de la miséricorde, ouvrant les portes saintes, déployant le pardon des fautes à quiconque désire retourner au Père.

On pourrait croire que c’est trop facile, adoptant ainsi la posture du fils ainé, mais il n’en est rien. Sans l’appel de l’Église-mère, il est si facile de se trouver trop indigne de cette miséricorde et de s’enfuir.

Briser les chaines

Si on a parfois eu l’impression que l’Église insistait longuement sur la description raffinée du péché et sermonnait le pécheur en l’accusant et en le culpabilisant, on est ici en présence d’une attitude fort différente.

On sent parfaitement que la conversion, avant d’être un changement moral, est un retournement vers Dieu. On sent que le Salut est une victoire sur le mal et sur la mort que le mal provoque; que le péché n’est pas un plaisir dont l’Église voudrait nous priver, mais des chaines qui nous referment sur nous-mêmes et dont le Christ est venu nous libérer.

C’est Jean-Marc Barreau qui, quelques mois auparavant, dans son plus récent ouvrage (2), avait retracé dans les discours de François une sorte d’identification entre miséricorde et évangélisation. François veut une Église pauvre pour les pauvres, une Église qui ne se place pas au-dessus de la mêlée, mais qui se mouille et sort vers les périphéries. La miséricorde a des pieds pour aller vers l’autre, des bras ouverts pour l’accueillir, des oreilles pour écouter ses souffrances. Dieu n’est pas une abstraction pour les savants, il est venu au cœur de notre réalité humaine, au point de devenir l’un des nôtres.

Cet entretien a quelque chose de rafraichissant. La personnalité si libre du pape François est présente du début à la fin et je ne serais pas surpris que bien des personnes qui se sont tenues à l’écart de l’Église depuis plusieurs années aient l’impression, en lisant ces pages, que l’Esprit souffle tout à coup un peu plus fort et que Dieu ne dort pas vraiment devant la souffrance de notre monde.

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Le nom de Dieu est miséricorde, Pape François, Éditions Robert Laffont, Paris 2016.

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Notes :

(1) En annexe, on retrouve la traduction française de la bulle d’indiction du jubilé extraordinaire de la Miséricorde qui vient simplement sceller plus formellement les propos déjà bien mis en jeu dans la partie initiale.

(2) François et la miséricorde, de la nouvelle évangélisation à la miséricorde, Jean-Marc Barreau, Médiaspaul, Paris, 2015.

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