«tout inclus»

La féminité peut-elle être toxique?

C’est à travers une recherche critique du phénomène qu’on appelait alors l’hypersexualisation que je me suis identifiée, adolescente, au féminisme. Au gala du démérite organisé entre amis à la fin du secondaire, j’ai même reçu le prix de la féministe frustrée. Been there, done that, got the t-shirt.

Jusqu’à la fin de mes études en anthropologie, j’aurai consacré l’essentiel de mes travaux scolaires à l’étude de tout ce qui touche de près ou de loin les industries du sexe. J’en ai acquis la certitude qu’en faisant de la sexualité un objet de commerce, nous vivons dans une culture qui déshumanise les femmes et les aliène dans ce qu’elles ont de plus intime : leur rapport à elles-mêmes. 

En faisant de la sexualité un objet de commerce, nous vivons dans une culture qui déshumanise les femmes et les aliène.

Une métaétude publiée en 2007 par l’American Psychological Association relevait un ensemble de conséquences néfastes à l’hypersexualisation, tant aux plans physiologiques que psychologiques : faible estime de soi, troubles alimentaires, dépression, anxiété, dégout pour la sexualité, etc. Un sentiment de vide intérieur pourrait naitre chez celles qui ont pris l’habitude de se définir à travers le regard des autres.

Les résultats de ces recherches ont été publiés avant l’explosion des médias sociaux et de l’avènement de la culture du like.

L’homme selon Taylor Swift

Dans un nouveau vidéoclip, Taylor Swift incarne « the man » et dépeint tous les comportements que l’on associe à une masculinité dite toxique : occupation irrespectueuse de l’espace, crises de colère, harcèlement sexuel, etc.

Plus précisément, elle joue le rôle d’un goujat richissime qui se croit tout permis et qui, de fait, s’autorise tout. Le portrait évoque autant ce Weinstein qui vient d’être condamné pour agressions sexuelles que tous ceux qui ont échappé à la justice. 

À la base, le concept de « masculinité toxique » ne signifie pas que la masculinité soit intrinsèquement mauvaise. Cette notion vise plutôt à expliquer comment certains comportements associés à la masculinité peuvent être néfastes pour les hommes et le reste de la société.

Par exemple, le taux de suicide plus élevé chez les hommes pourrait venir du fait que ces derniers aient moins tendance à exprimer leurs émotions. Lorsqu’atteints de dépression, ils éviteraient de demander de l’aide afin de ne pas être un fardeau pour leurs proches. Leur recherche de puissance se retournerait contre eux en les rendant davantage vulnérables.

Dans la vidéo de Taylor Swift, on observera comment le grossier personnage interagit avec une collection de femmes-objets. Les scènes sont risibles et suscitent le mépris. Malheureusement, nombreuses sont les femmes qui jouent les entremetteuses pour ces caricatures d’hommes, de qui elles peuvent tirer un semblant de valorisation et un pouvoir bien éphémère.

Sugar mama  

Au même moment où sortait cette vidéo, une autre nouvelle faisait la manchette. Une influenceuse québécoise, désignée par la chaine Vrak comme la troisième figure la plus populaire auprès des jeunes, a diffusé en ligne des photos osées d’elle-même.

Pour la somme de vingt dollars par mois, ses fans pourront avoir accès à une banque de clichés qui sera régulièrement renouvelée. La vedette s’étonnait elle-même d’avoir accumulé, en moins de vingt-quatre heures, une juteuse cagnotte de quarante-mille dollars.

Elle a expliqué sa démarche sur son compte Instagram : « je me dis que tout le monde a déjà vu ça, des filles nues. J’ai l’impression qu’une porte s’est ouverte à moi. Je mets tellement d’argent sur mon corps, il faut que je le rentabilise. Après, je vais pouvoir être la sugar mama de plein de petits cutes. J’ai l’impression que je viens de trouver mon purpose ». Avec les sommes amassées, elle dit vouloir se payer un voyage et des chaussures griffées. 

Les commentatrices féminines qui se sont exprimées sur le sujet étaient unanimes : la pornographie est là pour rester. Félicitons celles qui arrivent à tirer leur épingle du jeu au lieu de jouer les hypocrites. 

L’abandon d’un idéal

Pour moi, les conséquences de la pornographisation de la culture s’apparentent à celles de l’agression sexuelle. Seulement, les normes ont changé et nous nous y sommes résignées.

En 2009, des chercheurs ont qualifié de « panique morale » les préoccupations exprimées à l’égard de ce changement de paradigme. Le féminisme s’est arrimé à l’idéologie néolibérale et ne défend désormais plus aucune norme, sinon celle du libre-choix, incarnée dans la notion de consentement. Serait bon ce à quoi je consens, point à la ligne. 

Le féminisme s’est arrimé à l’idéologie néolibérale et ne défend désormais plus aucune norme, sinon celle du libre-choix, incarnée dans la notion de consentement.

Pourtant, pour survivre économiquement, socialement et affectivement, les femmes ont pu consentir à une variété de souffrances. 

Je ne crois pas qu’on doive mettre au pilori celles qui succombent à la culture du like, comme je ne crois pas qu’on doive criminaliser les femmes qui avortent ou s’adonnent à la prostitution. 

Mais je reste toujours surprise de voir à quel point on nous invite à nous contenter de si peu.

Le purpose que je poursuis, c’est de vivre des relations au sein desquelles je pourrai aimer et être aimée. Entièrement. Intégralement. Cette entreprise est vouée à un succès relatif, soit. L’échec fait partie de l’équation. C’est pourquoi dans la poursuite de cette culture de l’amour, chaque choix importe.

Pour le huit mars, soyons épiques, rien de moins.


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.