Le Synode extraordinaire des évêques sur la famille a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. «Attentes déçues», «grincements de dents», «sabotage épiscopal»… On a à peu près tout vu dans les grands titres des journaux.
Notre collaborateur Francis Denis, journaliste à Sel + Lumière, était présent à Rome pour couvrir l’événement. Il nous livre ici une fine analyse du rapport entre les médias et l’Église dans ce type d’évènement.
Comme l’affirmait en entrevue le Cardinal Tagle, archevêque de Manille, aux Philippines, «plusieurs participants au Synode ont dit ouvertement qu’ils sentaient dans les discussions l’esprit de Vatican II».
En effet, pour tous les observateurs de la vie de l’Église, le déroulement du Synode extraordinaire des évêques sur la famille, qui s’est tenu durant les deux dernières semaines, n’est pas sans rappeler plusieurs événements qui se sont passés il y a 50 ans à Vatican II. En ce sens, d’aucuns ont fait référence à la grande liberté de parole ou au quasi-rejet du document de mi-parcours par les pères synodaux, rappelant ainsi le rejet des textes préparés à l’aube du Concile par les différentes commissions préparatoires.
Une question d’image
Ayant été moi-même présent dans la Salle de Presse du Vatican en compagnie d’autres journalistes du monde entier pour couvrir ce Synode, j’ai pu faire l’expérience de la responsabilité des journalistes dans la compréhension et l’image de l’Église dans le monde. C’est alors que la comparaison entre ce Synode extraordinaire et le Concile Vatican II m’a rappelé un aspect du dernier discours de Benoît XVI au clergé de Rome le 14 février 2013.
Dans ce discours, le pape Benoît XVI relatait son expérience du Concile en soulignant l’importance des médias dans la compréhension que les fidèles du monde ont pu avoir de cet événement ecclésial. Selon le pape émérite :
« Ce Concile des médias fut accessible à tous. […] et le vrai Concile a eu de la difficulté à se concrétiser, à se réaliser ; le Concile virtuel était plus fort que le Concile réel.»
Dire que l’interprétation du Concile a été fortement orientée par les médias est une chose, dire quels ont été les critères déterminant le choix des informations à transmettre en est une autre.
Pour y voir plus clair, il me semble indispensable de faire référence au concept « d’horizon d’attente » auquel fait appel Gilles Routhier dans son analyse de la réception de Vatican II (Vatican II – Herméneutique et réception, 2006). Pour ce théologien, « les médias ont contribué largement à forger l’opinion des catholiques en développant et véhiculant des représentations du concile, qui en ont par la suite guidé la lecture et la réception, puisque ces représentations nourrissaient un horizon d’attente particulier» .
Attentes et réponses
Ainsi, un événement comme un Concile ou un Synode crée de nombreuses attentes. Celles-ci étant déterminées selon la culture et les défis propres à l’église particulière en question. En ce sens, la résolution d’un problème pastoral donné peut entraîner une série de propositions demandant une « accréditation pontificale ». Le présent Synode n’est évidemment pas exempt de ce phénomène.
Que se passe-t-il lorsque « l’horizon d’attentes » ne trouve pas une réponse positive à Rome ? En d’autres termes, que se passe-t-il lorsqu’une Église particulière ou un groupe de fidèles reçoit une réponse négative au regard de ce qui était espéré?
Pour répondre à cette question, nous pouvons considérer le cas de la publication Humanae vitae du pape Paul VI.
En effet, à l’époque, Jean XXIII avait constitué la Commission pour l’étude des problèmes de la population. Cette même Commission avait déposé son rapport à Paul VI qui avait dû refuser ses conclusions essentielles puisqu’étaient « apparus certains critères de solutions qui s’écartaient de la doctrine morale sur le mariage proposée avec une constante fermeté par le Magistère de l’Église » . Cet événement paradigmatique allait créer une onde de choc dans le monde catholique occidental qui, lui, attendait une réponse positive du Saint-Père.
Il n’est pas nécessaire de dresser un portrait de la controverse qui a suivi Humanae Vitae. Nous en voyons encore les signes aujourd’hui!
Notre monde a-t-il des attentes similaires à celles présentes au temps de Paul VI ? Les controverses entourant la publication du document de travail intérimaire ont bien montré que chaque parole venant de Rome est scrutée à la loupe par les médias de monde entier. Que se passera-t-il donc si le Synode ne va pas dans la direction de ces attentes? Assisterons-nous au même déferlement de critiques dont l’encyclique Humanae vitae et son auteur furent l’objet?
Dimanche dernier, le pape François a présidé la Messe de béatification du pape Paul VI reconnaissant ainsi la sainteté de sa vie, mais également le courage avec lequel il a su discerner, envers et contre tous, le dessein de Dieu sur l’amour humain.
À l’heure où tous les milieux ecclésiaux prennent peu à peu conscience du caractère prophétique d’Humanae vitae, assisterons-nous à un scénario semblable à celui de 1968 ? Je soulève la question, conscient que nous ne risquons pas d’avoir de réponse avant l’Exhortation apostolique postsynodale prévue en 2016. ◊