Illustration: Fotolia
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Rupture ou continuité : comment enseigner l’histoire?

Depuis quelque temps, le débat sur l’histoire du Québec et le problème de sa transmission refont surface. Méthode, mission, orientation, esprit, valeurs, toutes les raisons inimaginables sont aujourd’hui mises de l’avant pour justifier une énième réforme de son enseignement.

Il est évident que l’enseignement de l’histoire est essentiel. Un élève ignorant des faits importants qui ont forgé la société dans laquelle il vit n’aura pas les instruments nécessaires pour s’y insérer et, à son tour, participer à son évolution.

Modèle collectiviste s’il en est un, le Québec, nous dit-on, doit se limiter à un seul curriculum. De là émergent les différentes batailles de points de vue découlant de ce que l’on croit être le Québec d’hier et d’aujourd’hui.

Or, vouloir transmettre un récit ou une chronologie d’évènements (l’histoire) suivant une logique à postériori menant à ce que nous sommes aujourd’hui comme société implique d’avoir une conception claire de ce même point d’arrivée.

Revisitez les manuels d’histoire des cent dernières années et vous remarquerez que l’orientation générale et le sens donnés aux évènements ont grandement changé. Historia semper reformanda pourrait-on dire! Comprendre le débat actuel nécessite selon moi davantage un regard sur le présent que sur le passé.

Perte d’intérêt ?

Il est facile de dire que les jeunes ne s’intéressent qu’à des futilités ou qu’ils sont tellement immergés dans la culture de l’instantané que de susciter un quelconque intérêt de leur part pour l’histoire est peine perdue.

Plus cyniques encore, certains diraient que seuls des fonctionnaires du ministère de l’Éducation font encore semblant d’y croire afin de justifier leurs salaires. Mon passage, pas si lointain, par les bancs d’école secondaire me pousse à penser tout autrement.

Pourquoi est-il si difficile de transmettre le gout de la connaissance historique aux jeunes d’aujourd’hui ? Parce que notre vision de l’histoire est foncièrement contradictoire.

À la question, « Pourquoi est-il si difficile de transmettre le gout de la connaissance historique aux jeunes d’aujourd’hui ? » je réponds : parce que notre vision de l’histoire est foncièrement contradictoire. Elle se contredit parce que l’image que nous projetons de nous-mêmes et de notre époque entre en conflit avec la logique même de la transmission et de l’histoire.

Je m’explique. Notre temps, que d’aucuns ont qualifié de « fin de l’histoire », se targue d’être le summum de l’Histoire. Notre époque en serait donc une où la vraie moralité aurait enfin pris le dessus, où la vérité aurait pris la place de l’obscurantisme et où la technologie pourrait désormais accomplir la mission du salut de « l’homme par l’homme ».

Vision quelque peu caricaturale, mais néanmoins partagée par grand nombre de nos contemporains suivant ainsi docilement une certaine intelligentzia. Cette projection utopique de nous-mêmes serait le point d’arrivée auquel l’enseignement de l’histoire devrait mener. D’où la nouvelle sélection d’évènements et d’insistances saupoudrée de moralité politiquement correcte afin de bien reconnaitre pas à pas les signes et les héros avant-gardistes qui auraient travaillé à établir ce royaume eschatologique tant attendu.

Avant 1960, le déluge

Cette description quelque peu farfelue cache cependant le nœud du problème de la transmission et plus particulièrement lorsque l’on parle de l’histoire. S’il n’a jamais fait aussi bon vivre qu’aujourd’hui, à quoi bon s’intéresser à ce qui nous a précédés?

Si l’époque de la « Révolution tranquille » continue d’être présentée comme un évènement politique et culturel en rupture avec le passé, comment pourrons-nous susciter l’intérêt des jeunes Québécois pour leur patrimoine?

Vous aurez remarqué la difficulté de ma position. Lorsque le seul terme qui me permet de qualifier l’évolution du Québec durant la deuxième moitié du vingtième siècle est celui de « révolution », nous voyons comment il sera difficile d’effectuer cette révision si nécessaire à l’enseignement de l’histoire.

Tant que l’histoire ne sera pas réaliste, nous ne pourrons intéresser les jeunes.

De mon point de vue, tant que l’histoire ne sera pas réaliste, c’est-à-dire, tant qu’elle ne présentera pas l’évolution du Québec comme un continuum cohérent suivant une évolution « naturelle » où se croisent, en une tension féconde, volonté de transformation et de perpétuation, nous ne pourrons intéresser les jeunes à l’histoire.

En effet, comment un professeur m’enseignant la rupture historique pourra-t-il me convaincre de l’utilité et de la beauté de ce qui est venu avant moi?

À fortiori, de prendre du temps pour effectuer ce travail ardu qu’est son étude? « Vous reviendrez me voir lorsque vous y croirez vraiment », tel est le raisonnement des jeunes d’aujourd’hui dont l’inconscience est davantage attribuable à l’évidence de la contradiction qu’à la complexité de la problématique.

Présenter l’histoire du Québec comme étant centrale à la vie humaine tout en rédigeant, en caractères gras, l’indépendance historique de notre époque m’apparait contradictoire. Je crois que les jeunes comprennent assez vite ce genre de chose et c’est pourquoi ils s’en désintéressent.

En ce sens, ce ne sera pas seulement l’enseignement de l’histoire qu’il faudra réformer, mais la vision même par laquelle nous la regardons. Une histoire en continu et dans laquelle aucune période n’est le moindrement du monde indépendante de celle qui l’a précédée.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.