Photo: Sarah-Christine Bourihane
Photo: Sarah-Christine Bourihane

Carmel, coke et Olympia


L’Olympia de Paris est son prochain sommet. Il s’y produira le 6 juin prochain, inscrivant sa marque au panthéon des musiciens. Rebuté par le vertige des hauteurs, Grégory Turpin fuyait pourtant les honneurs. Il voulait vivre au Carmel, loin des regards de la foule et des prestations de la scène. Le voilà aujourd’hui fouler une scène mythique où aucun artiste œuvrant essentiellement en tant que chrétien n’a jamais mis les pieds. Il est le premier à y chanter haut et fort sa foi au Dieu qui l’a sauvé. Rencontre avec Grégory Turpin, de passage pour une première tournée au Québec.

Sur la conviviale scène Lebourgneuf à Québec, le 31 mai dernier, le chanteur français Grégory Turpin a été chaleureusement acclamé, bien que peu connu des Québécois. Sitôt sur scène, l’engouement des applaudissements fait vite place à l’envoûtement d’un silence anormal pour un concert pop.

Je rencontre ici un pays formidable, des gens attachants. Aujourd’hui je voudrais vous faire faire un petit voyage, un voyage à l’intérieur de vous-même. On commence avec une chanson qui s’appelle  »Attache-moi ». Je ne sais pas si vous avez remarqué mais souvent on ne peut pas s’empêcher de faire des choses qui ne sont pas forcément bonnes pour nous, mais on les fait quand même. Il y a cette parole de Charles de Foucault qui dit:  » Seigneur, Attache-moi à Toi et arrache-moi à moi. » »

Le voyage commence. On y entre avec lui, grâce à sa voix qui chante ce qui nous dépasse. Il y a un mystère qui le prend aux entrailles. Ça se voit à la façon dont son corps bouge avec une quasi-violence, à ses pieds qui enfoncent la scène comme pour mieux enraciner le mystère. Comme s’il voulait se faire musique, devenir son refrain. Arrache-moi à moi. Attache-moi. Attache-moi à Toi.

Tout au long du concert, on passe ainsi par toute une gamme de sentiments. Comme dans la vie, Grégory nous fait parcourir les vallées de la tristesse et les sommets de la joie. « Ma musique, c’est parfois très joyeux, c’est la louange et parfois très sombre, noir, parce que j’essaie de raconter tous les états de la vie. J’essaie de raconter par quoi je suis passé » me raconte-t-il.

L’autre vie

Grégory a déjà eu une autre vie. Il a voulu s’en arracher par trois tentatives de suicide. Jusqu’à ce Dieu le rattache à lui, l’arrache à cette vie qui avait mal viré. Une carrière de chanteur commençant comme trop d’autres. La gloire, l’argent, la drogue, le pouvoir. Des entités enfilées les unes aux autres dans une toile qui capture l’âme.

Grégory n’avait que 19 ans. Et déjà, en l’espace d’un mois, à peine eut-il commencé à chanter, les contrats se multiplient, les bouteilles de champagne abondent, les amis s’agglutinent autour de lui et les premières lignes de coke le happent dans le rêve d’une autre vie. Une chute dans le bas fond, tout juste après être sorti du Carmel à cause d’un épuisement physique. Son histoire, il la partage sur scène, à chacun de ses concerts.

« À la 3e tentative de suicide, je me retrouve à l’hôpital psychiatrique pendant 15 jours en me disant que là ma vie doit changer et le soir même je retombe. Quelques jours plus tard, je me retrouve dans une soirée où l’on me propose une drogue plus forte.

« Je regarde ce que j’ai dans la main, je referme la main et pour la première fois je dis non.

« Je n’en veux pas, je repars en pleurant, je prends ma voiture, je pleure tellement que je suis obligée d’arrêter sur le bord de la route et j’hurle vers Dieu. En arrivant chez moi, je prends ma guitare et je chante un poème de Thérèse.

« Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère. Ma vie n’est qu’un seul jour, qui m’échappe et qui fuit. Tu le sais mon Dieu, pour t’aimer sur la terre, je n’ai qu’aujourd’hui.

« À partir de ce moment-là, j’ai arrêté de choisir la facilité. J’ai préféré choisir l’exigence du bonheur. Le bonheur c’est exigeant; c’est de renoncer à tout un tas de choses. Ce jour-là, j’en voulais beaucoup à l’Église. Ce jour-là aussi, je me suis dit que ce n’est pas que des gens parfaits qui sont dans l’Église. Et c’est là que j’ai compris que j’y avais ma place. »

L’autre musique

En entrevue avec lui dans un studio à Lévis, Grégory me raconte avec une grande profondeur sa reconversion à la musique. Il avait connu l’Amour au Carmel. Une expérience toujours logée dans les replis de la mémoire, où l’oubli n’a de prise. Dans sa vie sans Dieu, il l’a recherché dans le public. Quand il retrouve Dieu, il se recycle comme agent de pastorale. Il laisse la musique derrière, le temps de purifier son cœur. Puis par la force du destin, grâce à la proposition d’une sœur de la communauté du Verbe de Vie, la guitare le rappelle. Maintenant pour de tout autres raisons.

J’ai joué non plus pour me faire connaître, mais pour propager un message et ç’a d’abord été les mots de sainte Thérèse qui ont été importants dans ma conversion. J’ai commencé à écrire, à raconter mon histoire.»

La petite Thérèse suivra Grégory tout au long de son parcours. Jusqu’à faire un album en collaboration avec Natasha St-Pier et le chanteur Grégoire où ils interprètent les poèmes de la sainte. Thérèse, vivre d’amour est vendu à plus de 100 000 exemplaires.

Afficher sa foi, même dans le métro

«Je suis un artiste comme n’importe quel artiste avec cette particularité d’avoir la foi. Je veux que mes textes soient éclairés par ce que je crois. C’est compliqué de dire sa foi en public à cause de la laïcité. La foi, on a le droit de la pratiquer, mais chez soi. Je suis un chanteur chrétien et je l’affiche, même dans le métro!

«Ce que j’essaie de faire est de vivre ma foi dans ce que je suis et mon travail en fait partie, je voudrais avoir une cohérence dans toute ma vie. Vient un moment dans la vie chrétienne où on a envie de le dire, on a envie de partager ce qui nous rend heureux. Non pas pour imposer, mais parce que ça fait partie de nous.»

Grégory Turpin vise un public large. L’amour, la tolérance, le respect, la vie intérieure ne rejoignent pas seulement que des chrétiens. Le chanteur, depuis 10 ans, ne cesse de recueillir les fruits de son travail :

Je ne sais pas si la musique est là pour convertir, mais en tout cas elle est là pour ouvrir le cœur et j’ai beaucoup de témoignages de gens touchés, qui s’interrogent, qui cherchent après avoir écouté certains textes. Alors je les renvoie souvent vers leurs paroisses, en espérant qu’ils soient bien accueillis.»

Musique et foi

On l’invite sur les plateaux de télé, et de plus en plus, pas seulement comme chrétien, mais comme musicien de renommée. Je lui demande s’il évangélise plus le monde de la musique que par la musique.

Grégory déjà ne se décrit pas comme un évangélisateur. Il se veut surtout un musicien plus qu’un «prosélyte». Mais à le voir en concert, on sent bien que «Dieu passe».

Qu’en est-il du monde de la musique? C’est un univers certes superficiel, mais Grégory rappelle qu’il n’est pas composé de gens superficiels. C’est un milieu où on ne parle pas de ses croyances en public, soit. Mais Grégory ose le faire et pour cette raison, plusieurs artistes se livrent à lui avec plus de profondeur.

Et bien au-delà du monde des artistes lui-même, Grégory perçoit dans la musique une capacité à transmettre la foi:

«La 1ere activité de 70% des jeunes, c’est d’écouter de la musique. Si l’on n’est pas présent dans leurs écouteurs, alors c’est triste.»

***

À la sortie du concert, le Père Martin Lagacé, vicaire de la paroisse Saint-Thomas d’Aquin à Québec, qui a connu Grégory en France et l’a fait venir ici, me confie:

«Ce que j’espère, c’est que Grégory puisse apprendre aux jeunes qui ont du talent qu’il est possible de vivre et d’annoncer l’évangile par la beauté et la musique en créant tout un réseau d’artistes. Les chrétiens doivent se solidariser. La France, c’est une chance pour nous. C’est la même langue, semblablement la même culture. Le fait d’avoir permis à des artistes québécois de jouer en première partie (André Nadeau, Nadine Dubé) a mis en valeur des artistes qui sont déjà là et je suis sûr que Grégory les a appréciés.» La preuve, Grégory Turpin veut revenir à l’automne pour une autre tournée.

Le chanteur français a quitté la scène comme il est arrivé. Toujours le même silence, le même mystère qui demeure. Celui d’un Amour offert à chacun de nous.

 

 

 

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.