Que savons-nous de Jésus?

Un texte de Mathieu Bock-Côté

Recension du Dictionnaire amoureux de Jésus, de Jean-Christian Petitfils*.

En 2011, Jean-Christian Petitfils publiait une étonnante biographie de Jésus qui a connu un grand succès. Dans les limites de la connaissance historienne, mais avec une bienveillance manifeste, il entendait atténuer, pour reprendre les mots convenus, la différence entre le Jésus de la foi et le Jésus de l’histoire. Il se posait une question simple: qu’est-ce que l’histoire moderne, avec ses méthodes et ses règles, peut nous apprendre sur Jésus?

Il revient à la charge aujourd’hui en signant, dans la collection bien connue des éditions Plon, un Dictionnaire amoureux de Jésus.

Une foi brulante

Petitfils avance maintenant à visière levée, comme si au terme de sa spectaculaire biographie, l’essentiel devait encore être dit: Petitfils veut parler de sa foi, et en parler ouvertement. Manifestement, elle brule.

C’est une foi profonde et informée, même s’il la présente comme une quête épuisante:

Croire n’est pas une longue route rectiligne semée de pétales de fleurs. C’est une lutte quotidienne, permanente, qui n’exclut ni la chute, ni la révolte devant la souffrance ou le mystère de l’iniquité, ni les interrogations, ni les doutes.

Dictionnaire amoureux de Jésus, p.12-13.

La foi, ajoute Petitfils, est une « obscure, mais merveilleuse lumière qui permet d’affronter l’attente anxieuse et les défis de la nuit, elle est la réponse confiante, aimante et fidèle à l’appel silencieux de l’amour divin » (p.13).

En un mot, si la foi n’est pas étrangère à la raison, on ne saurait non plus la chercher de manière strictement rationnelle: elle résulte d’un appel, qu’il faut savoir entendre et qu’il ne servirait à rien de singer. Le monde contemporain, en se fermant aux sources les plus profondes du sacré, qu’il psychologise à outrance, rend de plus en plus difficile la simple possibilité d’entendre cet appel.

C’est donc le livre d’un croyant qui ne cache pas sa foi, et plus encore, d’un croyant «à l’ancienne» qui n’aborde pas les mystères de la foi à la simple manière d’une magnifique métaphore, mais qui est attentif à la présence du surnaturel dans l’histoire. Petitfils, par exemple, croit aux miracles. Pour lui, ils ont eu lieu.

Les 139 entrées de ce dictionnaire sont traversées par un même désir: comprendre la foi chrétienne dans l’histoire, et la comprendre aussi de l’intérieur. Petitfils ne pratique pas l’herméneutique du soupçon. Au contraire: il s’éclaire d’une religion profondément crue et on le devine, pratiquée.

Une quête irrépressible

Petitfils entend dissiper les mythes qui embrument notre compréhension de Jésus et des temps bibliques. Nos sociétés, «enténébrées par le scepticisme et le relativisme généralisés» (p.13), nous dit Petitfils, peinent à comprendre la naissance du christianisme.

Il reviendra d’ailleurs souvent, au fil du texte, sur notre incapacité à comprendre la religion, et plus particulièrement, la religion chrétienne. Cela témoignerait moins de ses limites intrinsèques que de celles du rationalisme moderne, qui se fermerait à une part fondamentale de l’existence humaine.

Poussons plus loin la réflexion: sommes-nous encore capables de voir dans la religion autre chose qu’une mystification? Savons-nous encore y voir une quête irrépressible vers une part du réel qui échappe à l’homme, même si personne n’est obligé de la définir à la manière des croyants?dictionnaire jesus

Le monde strictement fermé sur lui-même que célèbrent les modernes, qui s’imaginent ne voir dans les cieux qu’une immensité aussi vide que fascinante n’est pourtant pas exempt de passions spirituelles: elles sont toutefois souvent détournées vers les religions séculières ou exotiques.

Il y a bien des manières de lire cet ouvrage. Les plus disciplinés passeront de la première à la dernière page, à la manière d’un ouvrage scolaire dont il faut respecter le plan. Ils ne le regretteront pas. J’en ai pourtant suivi une autre. Je me suis d’abord intéressé aux grandes figures de la Bible, pour ensuite me tourner vers les grandes références chrétiennes qui me venaient à l’esprit. En un mot, je fouillais dans le texte en pigeant dans les résidus de culture chrétienne que j’ai en mémoire.

Au fil du texte, on découvre des noms qui nous étaient familiers, mais dont la signification était vague.On comprend surtout à quel point la figure fondatrice de notre civilisation nous était aussi familière qu’inconnue.

Aussi étrange que cela puisse paraitre, il y a encore, en ce monde, des hommes qui croient en Dieu et en la résurrection du Christ. Aussi bien les comprendre.

De l’Apocalypse aux évangiles apocryphes, de la figure de Madeleine à celle du Diable, de la légende entourant les fils de Jésus au récit du Massacre des Innocents, de l’enseignement de Jésus au rôle de l’Église dans l’histoire, Petitfils, avec sa culture encyclopédique, embrasse large et rend tout passionnant.

On y trouvera aussi des entrées sur des thèmes aussi variés que le linceul de Turin, la présence de Jésus au cinéma, la dernière Cène ou les manuscrits de Qumran. L’ouvrage pourrait servir, dans notre époque déchristianisée, à la manière d’une petite introduction au monde chrétien.

Une histoire qui est la nôtre

Aussi étrange que cela puisse paraitre dans un Québec qui a perdu le fil de sa tradition religieuse, il y a encore, en ce monde, des hommes qui croient en Dieu et en la résurrection du Christ. Aussi bien les comprendre.

Ce Dictionnaire amoureux de Jésus prouve que la foi n’est pas étrangère à l’intelligence. On passe d’un article à l’autre, dans l’ordre ou dans le désordre et on termine rapidement l’ouvrage avec l’envie de rouvrir la Bible et d’y retrouver une histoire qui est encore la nôtre même si nous n’y croyons plus, et même si nous n’y avons jamais cru, avec une sourde, mais peut-être impossible envie d’y croire.

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Note :

* Dictionnaire amoureux de Jésus, de Jean-Christian Petitfils, Paris, Plon, 2015, 753 p.

 

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