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Couvent dominicain de Dubrovnik, en Croatie. Photo : Marie Thérèse Hébert & Jean Robert Thibault / Flickr

L’option dominicaine : comment vivre en chrétien dans un monde qui doit le redevenir

L’option bénédictine

En 2017, le chrétien orthodoxe Rod Dreher publiait L’option bénédictine que le New York Times a qualifié d’essai religieux le plus important et discuté de la décennie.

L’option bénédictine, ce n’est pas un choix d’œufs pour un bon déjeuner !

Pour le résumer en une phrase, dans les mots mêmes de Dreher, il s’agit d’une stratégie inspirée de la règle de saint Benoît pour vivre en chrétien dans un monde qui ne l’est plus. Dreher propose ainsi de redécouvrir l’ascétisme, le sens de sacrifice, l’ordre, la stabilité, le silence et l’autarcie en s’inspirant de la règle de vie légendaire des plus vieux moines d’Occident.

Retour aux catacombes

Surtout, et c’est son point le plus controversé, il dit que nous devrions comme chrétiens délaisser le terrain politique, perdu d’avance selon lui, pour retourner dans les catacombes. Construisons d’urgence des arches de Noé locales où les chrétiens pourront préserver leur foi en attendant que le déluge s’apaise. Car, pour survivre, les chrétiens doivent impérativement se réunir et former des communautés sanctuaires, des oasis, voire des citadelles.

Il faut trouver une manière de vivre qui permette en même temps de protéger et de propager sa foi.

On en trouve des exemples à Hyattsville dans la banlieue de Washington, à Combermere autour de la communauté Madonna House en Ontario ou encore en France, au écohameau catholique de Bénisson-Dieu.

L’idée n’est pas mauvaise. Après tout, que les chrétiens se regroupent et s’entraident, c’est la base. Qu’ils optent pour un mode de vie plus radical à contrecourant de l’esprit du monde en s’inspirant d’une sagesse millénaire, c’est louable.

Se protéger et se propager

Le hic, c’est que le Christ ne s’est pas protégé du monde, il s’est exposé au monde. Je ne propose pas d’exposer nos très jeunes enfants à l’erreur et au péché. Je dis seulement qu’il faut trouver une manière de vivre qui permette en même temps de protéger et de propager sa foi.

Autre hic, l’idée de Dreher est peut-être séduisante, mais pas très réaliste. L’option bénédictine ne fonctionne pas à grande échelle. Il est impossible de demander à des masses de chrétiens de déménager et de trouver du travail dans des ilots catholiques. Même si de telles communautés existent à quelques endroits et peuvent porter du fruit, cette approche ne touchera toujours qu’une petite frange de croyants.

L’option dominicaine

Je pense que la spiritualité et le mode de vie des Dominicains (et en général de tous les ordres mendiants du 13e siècle) sont plus ajustés aux besoins de notre époque.

Évidemment, toutes les grandes spiritualités ont leur place dans l’Église et chacun doit trouver personnellement celle qui lui correspond le plus. Mais je parle ici d’une « macrospiritualité » pour inspirer la vie, la structure et la pastorale de l’Église dans son ensemble, pour guider les chrétiens à protéger et propager leur foi dans ce monde qui n’est plus chrétien.

L’option dominicaine n’est donc pas en opposition, mais en complément à l’option bénédictine.

Des frères prêcheurs

Avant tout, parce que les Dominicains sont des frères prêcheurs.

Le but de toute leur vie est d’imiter les apôtres pour prêcher l’Évangile, d’être des missionnaires. Toute leur vie et leur spiritualité est pensée en fonction de cela : leur vie commune, leur étude, leur prière. Comme les Bénédictins, ils sont très contemplatifs, mais leur contemplation déborde en prédication, selon la parole de Jésus : « ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. » (Lc 6, 45) 

Dans une société déchristianisée, en un temps de nouvelle évangélisation, voilà la spiritualité dont nous avons le plus besoin. Alors que les Bénédictins aidaient surtout des chrétiens à devenir plus fervents, les Dominicains visaient la conversion des hérétiques et des païens.

Des frères en ville

Les Dominicains sont dans les villes. Au début du christianisme, l’évangélisation était en ville. En fait, quand le christianisme est minoritaire, il se concentre toujours dans les villes. 

D’abord, parce que la concentration de la population permet de former plus facilement des communautés et de leur offrir du travail. En ville, on peut se rassembler pour la prière, le partage, l’amitié, mais aussi pour des services comme l’éducation, la culture, le travail. En ville surtout, on demeure en même temps en lien avec le reste du monde pour être des témoins.

Des frères mendiants

Contrairement aux Bénédictins qui visent l’autarcie en subvenant à leurs propres besoins par leurs travaux agricoles, les Dominicains sont des religieux mendiants. Ils valorisent beaucoup la pauvreté, ce qui favorise la crédibilité de leur témoignage. 

Le pape François ne cesse de toucher les gens avec son mode de vie très modeste ; il souhaite une Église pauvre pour les pauvres. La mendicité est aussi une expérience d’abandon intense à la Providence de Dieu… une attitude spirituelle cruciale pour survivre en ce temps d’incertitudes.

Des frères itinérants

À la différence des Bénédictins qui font un vœu de stabilité, les Dominicains sont des frères itinérants. Ils peuvent changer souvent de lieux selon les besoins de la mission. 

Notre monde est très mobile (trop même), mais cette spiritualité peut nous apprendre une attitude cruciale : être stable intérieurement tout en étant mobile extérieurement. Sainte Catherine de Sienne, qui était dans le tiers ordre dominicain, parlait de son cœur comme de sa cellule intérieure.

Des frères studieux

La vie dominicaine met aussi l’accent sur l’étude comme une forme d’exercice spirituel. Une manière de mieux connaitre et aimer le mystère de Dieu. À la suite de saint Thomas d’Aquin, ils savent harmoniser foi et raison. Or, les chrétiens de notre époque ont besoin d’être très bien formés, de développer l’intelligence de leur foi, afin de pouvoir répondre aux objections du monde et d’évangéliser d’une manière crédible.

Des frères en blanc

Alors que l’habit des Bénédictins est noir et qu’ils accordent une grande importance au silence, au travail, à la pénitence et à la solitude, les Dominicains ont un habit blanc avec une spiritualité de la parole, de la joie et de l’amitié. Notre temps a un urgent besoin, selon moi, de redécouvrir le christianisme comme une bonne nouvelle, un chemin de bonheur — et non comme des règles à suivre. 

Notre temps a un urgent besoin […] de redécouvrir le christianisme comme une bonne nouvelle, un chemin de bonheur — et non comme des règles à suivre. 

Influencée par la théologie du Docteur angélique, leur spiritualité promeut une morale de la liberté, de la vertu et des dons du Saint-Esprit plus que de la loi et du péché, sans les nier toutefois.

Des frères en couvent

Alors que les Bénédictins vivent dans un monastère, les Dominicains vivent dans un couvent. « Monastère » vient du grec « monos », qui signifie « seul ». Le monastère et ce lieu où l’on peut vivre pour Dieu seul, être seul à seul avec lui. « Couvent » vient plutôt du latin « conventus », qui veut dire « rassemblement », comme dans « convocation » ou « convention ». Le couvent est ce lieu où l’on se retrouve pour prier, étudier et surtout vivre la communauté.

Du coup, les Dominicains accordent une très grande importance à la fraternité. Ils conçoivent la charité comme une amitié et valorisent beaucoup les fêtes et les rencontres de tout genre. 

S’il y a bien une grande souffrance qui marque notre société, c’est la solitude. Nos concitoyens ont soif de relations authentiques. Le succès des évangéliques est d’ailleurs souvent attribué à leur fort sens de l’accueil et de la communauté.

Des frères apostoliques

Le grand renouveau du 13e siècle a beaucoup de similarité avec notre époque, tout comme la première évangélisation au temps apostolique. Or, en ces deux périodes de l’histoire, c’est un mode de vie apostolique et non monastique qui a été le moteur de l’évangélisation.

La vie religieuse au désert est née au contraire une fois que la société était devenue chrétienne. On se retirait au désert dans un mode de vie cénobitique pour retrouver une ferveur qui ne se trouvait plus en ville en l’absence de persécution. Saint Benoît a établi les règles de la vie monastique au 5e siècle, après la chute de l’Empire romain d’Occident, en un temps certes de tiédeur religieuse et de chaos social, mais pas de déchristianisation.

Or, être chrétien à notre époque est déjà difficile, à cause d’une culture hostile au christianisme. Il n’est pas nécessaire de se retirer pour être plus ascétique. Les obstacles et persécutions sont partout présents au cœur du monde.

Retour aux premiers chrétiens

Des frères amis des moines

Les Bénédictins sont des moines et non des missionnaires. Évidemment, comme toute vie chrétienne authentique et radicale, leur prière et leur témoignage de vie contribuent à la mission de toute l’Église. Mais n’en demeure pas moins qu’ils sont des communautés plus liturgiques qu’apostoliques. Et c’est très bien comme ça ! Car c’est leur charisme, et ils offrent ainsi des lieux de ressourcement — pour les missionnaires justement.

Imiter les apôtres

La spiritualité dominicaine est une spiritualité inspirée des Actes des apôtres. Ce cinquième évangile, aussi appelé évangile de l’Esprit, devrait être l’essai religieux le plus médité et discuté de notre décennie. Récit de la vie des disciples de Jésus qui vivaient dans un monde qui n’était pas encore chrétien, il nous donne la charte de tout esprit missionnaire. Imiter les apôtres comme les Dominicains, voilà comment vivre en chrétien dans un monde qui doit le redevenir. 

Plus qu’un retour aux catacombes, c’est d’un retour aux premières communautés chrétiennes dont nous avons besoin.


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.