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Photo : Maxi Gagliano / Pexels.

L’éthique derrière l’étiquette 

« C’est pourquoi je vous le dis : ne vous inquiétez pas en vous demandant : Qu’allons-nous manger ? Avec quoi allons-nous nous habiller ? En effet la vie vaut plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. »

– Luc 12, 22-23.

Un premier niveau de lecture de cette parole de Jésus nous invite à nous abandonner à la Providence, sans nous soucier de questions vestimentaires. 

Nous sommes toutefois aujourd’hui confrontés à une crise climatique sans précédent. Ses effets se font déjà sentir partout dans le monde. Des vagues de chaleur aux crues meurtrières soudaines, en passant par l’élévation du niveau de la mer et la perte de biodiversité, il est clair que le changement climatique n’est pas une menace future, mais une réalité actuelle.

L’industrie du vêtement et de la mode a un indéniable impact dévastateur sur la planète, sur les travailleurs, surtout les travailleuses; les plus vulnérables du système en place courent souvent un risque disproportionné d’en subir les conséquences. On estime que 60 millions de travailleurs de la confection sont employés dans l’industrie et qu’environ 80 % sont des femmes. 

Qui portons-nous ?

Tout au long de la chaine d’approvisionnement de l’actuelle mode rapide (en anglais Fast Fashion), des ressources naturelles sont extraites, des habitats sont exploités, des émissions toxiques et de GES sont produites, l’eau est polluée et les vêtements rejetés par les pays du Nord, dont le Canada, sont souvent exportés négligemment dans certains pays du Sud.

Dans ce contexte, l’appel évangélique à la conversion ne consisterait-il pas aussi à poser un regard nouveau sur la manière dont nous sommes vêtus et sur les personnes qui en sont affectées ? Quel discernement éthique doit-on exercer pour juger de la production, de la consommation et de la disposition finale de nos vêtements pour aller dans le sens d’un développement durable, respectueux de la création et des personnes ? Notre garde-robe est-elle responsable ? 

La véritable question à se poser est peut-être : « Qui portons-nous ? ».

La mode rapide est un phénomène assez récent lié à la libéralisation des échanges commerciaux et à la délocalisation des lieux de production, à faibles couts de main-d’œuvre, vers les pays du Sud, à la fin des années 1990. 

C’est une tendance lourde maintenant établie dans l’industrie de la mode, où la production rapide des nouveaux vêtements et des nouveaux styles se fait parfois en une semaine. Le processus de production de ces vêtements est accéléré pour correspondre rapidement aux exigences du marché en ce qui concerne certains styles et modes de vêtements.

Plusieurs marques vendues au Canada et dans le monde par les géants de l’industrie (Zara, H & M, GAP, Walmart, HBC, Adidas, Pennington, etc.) sont produites selon ce modèle de mise en marché.

Impacts climatiques et environnementaux

La mode rapide permet aux consommateurs des pays riches d’acheter à des prix relativement bas. Mais ce modèle entraine des conséquences climatiques et environnementales dévastatrices à l’échelle de la planète.

Quelques statistiques fournies par plusieurs ONG, dont la canadienne Fashion Takes ActionFashion Revolution ou Clean Clothes Campaign corroborent cette analyse.

Sur le plan de la pollution des cours d’eau et de la destruction des écosystèmes, les cas du Bangladesh, de l’Indonésie, de la Chine et de l’Inde sont particulièrement criants.

L’industrie de la mode peut et doit jouer un rôle important pour le développement durable et aider à lutter contre les changements climatiques. Les Nations Unies ont élaboré un ensemble d’objectifs mondiaux, appelés Objectifs de développement durable (ODD), et plusieurs de ces objectifs interpellent les acteurs de cette industrie.

Malgré l’adoption d’une charte onusienne de l’industrie de la mode pour l’action climatique et un plaidoyer des grandes entreprises, l’industrie accuse encore un sérieux retard pour atteindre les engagements exprimés lors du récent Sommet sur le climat (COP 26), tenu à Glasgow en 2021. 

Impacts humains

La mode rapide comporte aussi de multiples impacts négatifs sur la vie et la dignité humaine de centaines de millions de personnes vivant dans les pays du Sud situés surtout sur le continent asiatique.

Dans une industrie durement frappée par la pandémie de Covid-19, les cas liés aux mauvaises conditions de travail (salaire de misère, travail forcé, travail des enfants, lieux de travail dangereux, maladies graves liées aux produits toxiques manipulés et utilisés, discrimination et abus sexuels, répression des droits du travail, exploitation des migrants, etc.) sont régulièrement rapportés et dénoncés.

Transparence et vérité

Tous ces vêtements fabriqués à l’étranger, dans des conditions frôlant parfois l’inhumanité, se retrouvent sur les présentoirs de nos détaillants québécois et canadiens.

Or, en raison du manque de transparence dans la chaine d’approvisionnement, le type d’informations que les marques publient sur la fabrication de leurs produits fait cruellement défaut. La majorité des consommateurs d’ici ignorent donc le réel cout environnemental et social. 

Pour connaitre la vérité sur ces réalités, il faut souvent s’en remettre aux reportages d’enquête réalisés (avec caméra cachée) par des chaines de télévision nationales. La télévision canadienne (CBC) a d’ailleurs diffusé un important reportage, à la suite d’un grave accident survenu dans l’usine du Rana Plaza, au Bangladesh, en 2013 : cette tragédie a causé la mort de plus de 1000 personnes, surtout des travailleuses. Le reportage démontre l’irresponsabilité et la complicité de compagnies canadiennes :

Au Canada, un projet de loi (S-211) sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement est actuellement à l’étude au Sénat. Un petit pas dans la bonne direction.

Plus que jamais, l’affichage de l’éthique derrière l’étiquette accolée sur nos vêtements «made in ailleurs» est devenu urgent. 

Pierre Leclerc

Ex-président du Comité des programmes d’éducation au Conseil national de l’organisme Développement et Paix, Pierre Leclerc a aussi effectué un stage pour étudier le projet Économie de Communion du mouvement des Focolari, dans quatre pays d’Europe.