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Le nouveau culte dominical

Le standard beauté des années 2010 n’est plus seulement dans la minceur, mais dans la musculature. On n’a qu’à ouvrir une revue de mode pour s’en rendre compte: un gilet-bedaine, ça se porte avec un six-pack bien découpé. Vous vous demandez comment atteindre cet idéal de la Caramilk abdominale? Un nouveau rituel vous aidera à y parvenir.

On se figure que dans « le vieux Canada français » – tsé, celui de la Grande Noirceur? – plusieurs petits groupes de personnes se rendaient fidèlement à l’église, le dimanche matin, pour la messe.

Un professeur m’a dit récemment qu’aujourd’hui, on avait évolué : la religion, c’est dépassé. C’est une idéologie du passé. Une espèce de phénomène social rétrograde dans lequel des gens se soumettaient à de durs sacrifices et à des croyances pour le moins douteuses. En 2016, celui qui a suivi l’évolution de la civilisation s’en est affranchi! Alléluia!

Rendez-vous du dimanche

Pourtant, un phénomène étrangement similaire se produit les dimanches matin, à notre époque. Plusieurs petits groupes de personnes se rendent fidèlement… pas à l’église, non : mais à leur jogging. Qu’il fasse 30οC ou -30οC, on ne recule devant aucun sacrifice pour se mettre en forme, pour avoir un corps d’athlète.

Le nouveau rendez-vous dominical en est un de fitness.

On enfile son costume du dimanche – maintenant redessiné, un peu comme le costume de Captain America qui reçoit des améliorations esthétiques, thermiques, pare-balles et élastiques à chaque film qui sort. Le nouveau rendez-vous dominical en est un de fitness. Qui le manque court non pas un risque de damnation, mais d’un corps qui manque de souplesse, de fermeté et d’allure jeune.

C’est donc la mine perplexe que je réfléchis à l’affirmation de ce prof mentionné plus haut. Est-ce que l’être humain s’est vraiment affranchi de toute forme de culte? J’ai l’impression qu’on vénère encore quelqu’un. Nul autre que notre « moi », dans son enveloppe corporelle tout spécialement. Phénomène nouveau? Ça non. C’est frappant comme ça rappelle la Grèce et la Rome antiques.

Les nouvelles héroïnes qu’on nous propose, mesdames, elles sont très athlétiques: on n’a qu’à penser à Rey, la star montante de la saga Star Wars. On aime son rôle plus « action », plus combatif dans l’histoire. On peut quand même se questionner sur le type de message que ça lance aux jeunes filles et jeunes femmes qui verront ce film. Les œuvres d’arts, en particulier le cinéma, envoient un message quant aux critères de beauté de l’heure.

Trois désirs

Loin de moi l’idée de me moquer de toute forme d’entraînement et de soin au corps. Mon intention n’est pas de dénigrer ce que le corps humain, à force d’efforts et de patience, peut arriver à faire. Mon entourage sait très bien – peut-être même un peu trop! – l’admiration presque sans borne que je voue aux danseurs professionnels et à la beauté qu’ils créent avec leur mouvement. Comme le dit magnifiquement le nom de Shaping Sound, la compagnie américaine du célèbre danseur et chorégraphe Travis Wall, ils « sculptent le son ».

Il me semble que de flirter avec la religiosité dans le cas de l’entraînement, pour atteindre cet objectif – irréalisable – c’est un chemin qui peut devenir bien amer.

Par contre, on n’est pas tous des danseurs professionnels, et on ne devrait pas non plus ressentir une pression d’avoir « le même corps qu’eux ». Il me semble que de flirter avec la religiosité dans le cas de l’entraînement, pour atteindre cet objectif – irréalisable – c’est un chemin qui peut devenir bien amer. Le but est soi-même, sa propre beauté, sa propre performance.

On sait tous par expérience que plus on se préoccupe de notre « je-me-moi » et de son perfectionnement qui peut devenir maladif, moins on est heureux… Cependant, ce n’est pas cette amertume qui occupe mon esprit. C’est vrai qu’il y a bien des choses à redire sur l’image corporelle qu’on véhicule pour les femmes aujourd’hui.Mais ici, quelque chose d’autre pique mon intérêt. C’est le fait que cette tendance sociétale peut révéler trois choses intéressantes sur l’être humain de 2016.

Trois aspirations, trois désirs semblent l’animer :

1. La recherche de la beauté

Quand Dostoïevski nous dit que « la beauté sauvera le monde », il n’a pas tort. Quiconque lit cette phrase sait bien, au fond de lui-même ou d’elle-même, que c’est vrai. L’une des grandeurs d’être humain est d’apprécier le beau, et de participer à le créer. On dira ce qu’on voudra, mais l’histoire semble avoir prouvé que seuls les humains créent de l’art.

Dans la mise en forme, dans le soin du corps, dans la forme humaine, on cherche une beauté. Ce qui est « beau » nous transcende, nous fascine. Allez savoir pourquoi! Les chrétiens ont quelques hypothèses là-dessus.

2. Le besoin de dépassement

Le rendez-vous dominical du jogging matinal, toutes températures incluses, démontre quand même un engagement et une ténacité admirables. Qui n’a pas dit, en voyant une personne se rendre au gym si tôt le matin ou de manière tellement régulière : « Ouf! J’sais pas comment elle fait! J’serais jamais capable! »

On sait, encore d’expérience, qu’avec un solide objectif en tête et une bonne dose de motivation, on dépasse souvent nos limites. En groupe, avec l’encouragement des autres, d’un petit « clan », on se rend loin en s’appuyant les uns sur les autres.

3. La quête d’un Dieu?

La recherche du beau et le besoin de dépassement, qui se réalise surtout en groupe, est-ce que ça ne ressemble pas étrangement à un groupe de personnes qui cherchent un sens à leur vie? Avec un but externe à soi, qui va au-delà de sa propre beauté, qui ignore les sacrifices pour un objectif à la fois large, haut et profond : n’est-ce pas là un signe que l’être humain, en 2016, est en quête de Dieu?

Estelle Cloutier

Intéressée par les arts et passionnée par les enjeux sociaux, Estelle est une étudiante aux cycles supérieurs.