Un texte de Jean-Michel Landry
L’auteur est étudiant au doctorat de premier cycle en médecine et détenteur d’un baccalauréat en sciences infirmières.
Plus tôt cette semaine, on apprenait qu’une mère avait une fois de plus voyagé avec son fils malade jusqu’en Suisse pour qu’il puisse se donner la mort. Alors que le projet de loi C-7 élargissant les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir vient d’être récemment adopté à la Chambre des communes, l’auteur se questionne sur le glissement de sens concernant les soins de fin de vie.
D’abord, l’utilisation du terme euthanasie doit déjà en faire sourciller quelques-uns.
En effet, ce mot n’existe pratiquement plus dans notre vocabulaire collectif car, depuis 2015, tel que le stipule le récent rapport d’experts intitulé L’aide médicale à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude : « la loi concernant les soins de fin de vie a permis au Québec de ne pas outrepasser ses compétences provinciales, en plus d’éviter le vocable euthanasique, qui ne gagnait pas d’emblée la faveur de l’opinion publique. »
Il y a 5 ans, lors de l’application de la nouvelle loi sur les soins de fin de vie, cette pratique devait s’appliquer dans certains contextes très particuliers.
Comment pouvons-nous, en étant conscients de ces lacunes, être certains que les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir le font dans une réelle liberté décisionnelle et non pas parce qu’ils ne reçoivent pas des soins complets et diversifiés ?
Selon le dernier rapport de la commission sur les soins de fin de vie, le nombre d’euthanasies a augmenté de 40 % au cours de la dernière année. De plus, avec le nouveau projet de loi C-7, les critères d’admissibilité sont grandement élargis et il ne sera même plus nécessaire d’être en fin de vie pour qu’un médecin provoque intentionnellement la mort d’une personne à sa demande.
Contexte aggravant
La pandémie actuelle nous fait réaliser à quel point notre réseau de la santé est fragile. Pour ne citer que quelques exemples : délestage de certains traitements en centres hospitaliers par manque de personnel, soins déficients aux ainés dans les centres d’hébergement, manque criant de personnel, conditions de travail misérables et j’en passe.
Comment pouvons-nous, en étant conscients de ces lacunes, être certains que les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir le font dans une réelle liberté décisionnelle et non pas parce qu’ils ne reçoivent pas des soins complets et diversifiés ?
Comment, collectivement, sommes-nous convaincus qu’une personne de 40 ans, atteinte d’une maladie dégénérative, placée dans un centre de longue durée (car nous n’avons pas d’autres ressources à lui offrir) ne demandera pas que l’on mette fin à ses jours à cause d’une offre de soins insuffisante et non adaptée à la personne ?
Plusieurs critiquent ceux qui s’opposent à ces nouvelles dispositions légales en les accusant de manquer d’empathie et de ne pas respecter l’autodétermination du patient. Pour ma part, je crois que de lutter pour une meilleure offre de soins pour éviter la souffrance psychologique et physique — tout en conservant la dignité jusqu’à la mort naturelle — relève de l’empathie.
Aller jusqu’au bout
Rappelons-nous, avant de critiquer ceux qui contestent l’aide médicale à mourir, que les pays où il est légal d’injecter une substance à un patient pour lui donner la mort se comptent sur les doigts d’une main. Je ne crois donc pas que les médecins de tous les autres pays manquent pour autant d’empathie dans leurs soins.
Dans le rapport 2018-2019 de la commission des soins de vie, sur les 1300 personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir (AMM) durant cette période, 89 % déploraient une souffrance physique et psychique comme motif de demande. La souffrance psychologique est donc l’une des raisons majeures pour demander l’AMM.
Croyez-vous réellement qu’avec les constats qui ont été faits sur notre réseau de santé lors du printemps dernier nous pouvons être convaincus que tout, vraiment tout, a été mis en place pour ces personnes souffrantes ?
N’est-il pas paradoxal que, d’un côté, nous suppliions à grands coups de campagne de sensibilisation les personnes suicidaires qui présentent une grande souffrance psychique pour qu’ils consultent, qu’ils trouvent de l’aide pour éviter le pire et que, de l’autre côté, nous rendons plus permissive une loi pour qu’une personne puisse demander de mettre fin à ses jours à cause de souffrances semblables ?
Ne devrions-nous pas collectivement miser plutôt sur des ressources pour accompagner ces personnes à vivre dans la dignité ?