Image: Fotolia
Image: Fotolia

L’aveuglement laïciste de Charlie

Il y a maintenant un an, une attaque terroriste d’une rare violence provoquait l’assassinat de sang froid des auteurs et caricaturistes du magazine satirique Charlie Hebdo. Bien que j’aie déjà exprimé mon opinion sur le problème que me pose le contenu de ce journal, il m’apparait important de revenir sur la page-couverture de l’édition soulignant ce triste anniversaire.

Plusieurs l’ont vu, la caricature principale présente Dieu – prenant la fuite, kalache en bandoulière et tunique maculée de sang – comme le véritable responsable de l’attentat. Cette accusation mérite qu’on s’y attarde puisqu’elle est, selon moi, une des manifestations de notre mal occidental moderne: l’irrationalité.

Loin de moi l’idée d’en appeler à une quelconque censure! Au nom même de ma foi, je suis heureux de voir ce type de caricature qui scandalise essentiellement les fondamentalistes et autres disciples de tous les « politiquement corrects » de nos sociétés. Selon moi, ce type d’humour a au moins le mérite de leur montrer que la liberté de parole prévaut sur leur enfermement.

Cependant, ça ne m’empêche pas de voir l’énormité des idioties sous-entendues par une telle caricature. J’en ai compté trois et je vous les propose ici.

Intention douteuse

D’abord, l’intention de l’auteur n’est très certainement pas d’accuser purement et formellement Dieu des atrocités du 7 janvier 2015. Une telle affirmation ferait d’eux des croyants au même titre que ceux qu’ils accusent.

On comprend alors que leur athéisme les porte plutôt à attaquer l’idée de Dieu. Cette idée, qui selon eux, et pour employer la formule du pape François serait la cause « de la guerre par morceau » actuelle, devrait être condamnée et combattue. Toutefois, j’ose percevoir en cette association une incitation à un contrôle accru de l’État sur la religion.

Derrière une telle caricature, me semble-t-il, se cache une arrière-pensée malsaine qui ferait frémir tous les « Je suis Charlie ».

La proposition de l’Association des Maires de France considérant la présence de crèches dans les mairies comme n’étant pas « compatible avec la laïcité » pourrait être perçue comme une conséquence potentielle de cette logique. Ainsi, derrière une telle caricature, me semble-t-il, se cache une arrière-pensée malsaine qui ferait frémir tous les « Je suis Charlie » de ce monde si elle leur était appliquée!

Irresponsabilité

De ce deux poids deux mesures indirectement revendiqué, le magazine Charlie Hebdo se fait aussi et sans le vouloir l’avocat du diable qu’il tente de combattre. En effet, rendre l’idée de Dieu responsable des atrocités commises par les frères Kouachi revient, en dernière analyse, à les disculper de la responsabilité concrète de leurs actes barbares.

Ce n’est pas l’idée de Dieu en elle-même, mais l’interprétation que les humains font d’une révélation donnée qui est ici en cause.

De plus, je veux bien que l’on combatte par de justes moyens les idées perverses qui ont poussé ces personnes à commettre ces crimes. Pourvu qu’on s’attaque aux bonnes! Or, ce n’est pas l’idée de Dieu en elle-même, mais l’interprétation que les humains font d’une révélation donnée qui est ici en cause.

Comme le disait Rémi Brague dans une entrevue à la revue Le Philosophoire datant de 2004: « Je déteste cette habitude que l’on a prise de considérer l’acte de croire comme ayant une valeur en soi, indépendamment de son contenu. Car enfin, on peut ‘croire’ aux soucoupes volantes! […] Pour moi, une croyance vaut ce que vaut son objet, ni plus ni moins. ».

En ce sens, s’attaquer à l’idée de Dieu comme telle plutôt qu’à sa mauvaise interprétation revient à rater considérablement la cible. D’autant plus que si l’on se réfère au monothéisme judaïque, on vient ainsi de mettre sur un pied d’égalité les victimes de l’épicerie Hyper Kasher et leurs bourreaux.

Réflexion anémique

Une dernière implication me démontre le manque total de réflexion et l’aveuglement laïciste du magazine Charlie Hebdo. En effet, en faisant de l’idée de Dieu la grande responsable des attentats terroristes, on encourage le découragement, si je puis dire. On présente la religion comme un phénomène avec lequel il n’est pas possible de dialoguer, qu’il faut craindre et surveiller.

Je ne nie pas que les religions soient affectées par le vent d’irrationalité qu’impose à l’échelle globale la culture du déchet et du prêt à penser. Toutefois, il me semble que les exclure d’emblée de l’arène intellectuelle et civile n’aura que peu d’impact sur leur capacité d’adaptation à la modernité et ses impératifs politiques, économiques et culturels.

C’est en ce sens que je perçois la mission sociale d’un magazine comme Charlie Hebdo. Un rôle de critique radicale essentiel, mais qui critique jusqu’au bout ! C’est-à-dire capable de distinctions intelligentes et qui cible que ce qui mérite de l’être. Selon moi, cette revue aurait donc tout avantage à donner l’exemple en montrant qu’il est possible de rire des religions et de leurs pratiques parfois ridicules sans toutefois faire des raccourcis intellectuels. On aurait donc un humour d’autant plus brillant qu’il serait plus drôle. Un win/win comme disent les Américains.

Résolutions 2016

Les attentats de Charlie Hebdo et la mauvaise pente dans laquelle la France s’est embourbée devraient être un appel aux faiseurs d’opinions de tous genres à mettre un soupçon de critique dans tout ce qu’ils font. Refuser les raccourcis intellectuels et autres recettes faciles de la presse devrait être leur résolution de l’année 2016.

De mon côté, je continuerai de vous écrire ce que m’inspire cette époque originale qui est la nôtre une fois par mois dans cette belle tribune qu’est Le Verbe. Bonne année à tous !

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.