Crises. Voilà sans doute le mot qui revient le plus souvent dans les médias depuis un an ou deux. Un peu partout sur la planète, nous assistons à des manifestations contre des mesures d’austérité qui fragilisent le tissu social dans de nombreux pays et provoquent parfois des réactions violentes dirigées vers l’étranger, le réfugié, le croyant que l’on considère comme un païen.
Devant ces tensions de plus en plus marquées, le chrétien peut avoir l’impression de marcher sur un terrain miné. En effet, comment répondre aux cris des désespérés sans pour autant tomber dans l’activisme politique? Le Verbe est allé à la rencontre de trois catholiques, deux Québécois et un Français qui, à travers leurs engagements, agissent comme de véritables démineurs évangéliques.
Notre douleur et notre honte pour les péchés de certains des membres de l’Église, et aussi pour les nôtres, ne doivent pas faire oublier tous les chrétiens qui donnent leur vie par amour. (…) Je rends grâce pour le bel exemple que me donnent beaucoup de chrétiens qui offrent leur vie et leur temps avec joie. Ce témoignage me fait beaucoup de bien et me soutient dans mon aspiration personnelle à dépasser l’égoïsme pour me donner davantage.» *
– pape François
Ces phrases écrites par le pape François sont tirées de l’Exhortation apostolique La joie de l’Évangile. Parmi cette foule de prophètes, il y a François Adam, Marie-Claude Lalonde et Samuel Grzybowski. Tous les trois ont accepté de nous parler de leur mission, de nous ouvrir leur cœur de missionnaires, de prophètes des temps modernes.
François Adam
Chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissent s’intégrer dans la société; ceci suppose que nous soyons dociles et attentifs à écouter le cri du pauvre et à le secourir. (…)» *
– pape François
François Adam est agent de pastorale au sein de la paroisse Saint-François-d’Assise située dans l’est de Montréal. Si un jour vous vous promenez dans le quartier, vous aurez peut-être la chance de croiser son camion livrant des meubles aux pauvres ou encore transportant les chaises et l’équipement nécessaires à la bonne marche de la messe en plein air devant le fleuve, au parc Bellerive. «J’aime bien le travail manuel», me lance François dans la cuisine du presbytère où je l’ai rencontré.
Un intérim de dix ans
Outre sa tâche de déménageur en tout genre, François a touché un peu à tout ce qu’un agent de pastorale peut s’attendre à réaliser dans une paroisse très active. «Quand je suis arrivé ici, le responsable de la Saint-Vincent-de-Paul venait de quitter. Le curé, François Baril, m’a confié l’intérim. L’intérim a duré dix ans! Durant ce temps, nous avons également organisé des conférences sur différents thèmes, dont celui de l’euthanasie.»
François poursuit: «Il y a deux ans nous avons initié une pétition afin de demander au gouvernement fédéral que 0,7% du budget soit accordé au développement international comme cela est préconisé par l’ONU. Présentement, un maigre 0,3% du budget canadien est consacré à cet effet. Nous avons participé à plusieurs marches dans le cadre de la Journée internationale pour l’éradication de la misère qui a été créée par ADT-Quart-Monde. Nous avons aussi participé, il y a environ deux ans, à une grande marche dans le cadre de la Journée pour la terre.»
Lorsque François parle de sa mission, il utilise le plus souvent le nous. Il se voit comme un humble accompagnateur ancré dans sa paroisse. Cependant, cette humilité ne l’empêche pas de revendiquer plus de justice. «L’option préférentielle pour les pauvres me rejoint beaucoup. Le message de l’Église est très équilibré. Elle est consciente qu’il y a des causes structurelles à la pauvreté. Oui, il faut faire des actions charitables, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des actions politiques qui visent à changer les structures. Cela est très présent dans le message du Magistère. Il y aussi toute la dimension économique qui est faussée. Nous ne payons pas le juste prix ni des matières premières ni des aliments qui nous proviennent des pays pauvres. Jean-Paul II parlait de péché collectif. Le capitalisme est tellement implanté que cela exige une très grande conversion.»
Jean Vanier
Son engagement, François le base sur sa foi en Jésus Christ. Après avoir vécu presque dix ans à l’Arche de Jean Vanier et séjourné chez les Carmes ainsi que chez les Frères Missionnaires de la Charité créés par Mère Térésa, François a gardé un très grand amour de la prière et de l’Eucharistie. «Si je n’étais pas fidèle à la prière et à l’eucharistie, je pourrais sans doute continuer à aider les pauvres, mais cela serait dangereux à long terme. Car il est plus facile d’entendre Dieu nous parler en prière que lorsque nous sommes dans le feu de l’action. Et c’est dans la mesure où nous prenons du temps avec lui que nous pouvons le reconnaitre dans le feu de l’action.»
Bien que plongé au sein de la misère quotidienne, François demeure optimiste. «En tant que chrétiens, nous devons croire que Dieu est toujours à l’œuvre. Il ne se tourne pas les pouces. Il fait tout ce qu’il peut pour que le monde s’améliore. Il y a plein de cœurs qui s’ouvrent à son action. Tout cela se réalise sans tambour ni trompette», me confie-t-il avant de s’en retourner discrètement à la mission que lui a confiée le Christ.
Marie-Claude Lalonde
C’est avec douleur, avec beaucoup de douleur, que j’ai appris les attentats terroristes d’aujourd’hui, contre deux églises de la ville de Lahore, au Pakistan, qui ont provoqué de nombreux morts et blessés. Ce sont des églises chrétiennes. Les chrétiens sont persécutés. Nos frères versent leur sang, seulement parce qu’ils sont chrétiens.» **
– pape François
«Quand je suis arrivée dans les bureaux d’Aide à l’Église en détresse, alors que j’étais dans la vingtaine, je voulais changer le monde. Aujourd’hui je me dis que si dans ma vie j’ai positivement changé la vie d’une personne, alors j’ai réussi.»
Ces paroles de sagesse sont celles de Marie-Claude Lalonde, avocate, directrice sortante du conseil d’administration de Radio VM et collaboratrice régulière à l’émission radiophonique Foi et turbulences. Aujourd’hui directrice nationale de l’Aide à l’Église en détresse, Marie-Claude explique que le but du bureau canadien de l’organisme est de réaliser des collectes de fonds à travers le pays. «Nous amassons des fonds pour venir en aide aux catholiques dans d’autres pays. Nous aidons également l’Église russe orthodoxe et d’autres groupes chrétiens.»
Le café de la « boss »
Comment se déroule la journée d’une directrice nationale d’un mouvement catholique dont l’objectif est de secourir les catholiques persécutés ou victimes de conflits à travers le monde?
«Avant même d’entrer à mon bureau, je regarde mes courriels. Nous travaillons en étroite collaboration avec le siège social qui est en Europe. Quand j’arrive au bureau, je prends mon café. Tout le monde ici peut vous dire que le café du boss est très important (éclat de rire)! Ma tasse de café en main, je fais un plan de ma journée. Je dois discuter avec nos donateurs, avec mon équipe. Je dois répondre aux urgences.
«Une grande part de mes fonctions consiste à me tenir informée de ce qui se passe sur la scène internationale. J’ai beaucoup de lectures. J’épluche les journaux, les revues. Je dois le faire, car si je veux comprendre les besoins d’une Église en particulier, je dois comprendre la situation sociale et politique du pays ou de la région.»
Voyager voilée
Marie-Claude doit également se rendre sur le terrain. «Il y a toujours une part de danger. Nous travaillons toujours avec les évêques et les communautés religieuses. Lors de mon premier voyage en Égypte, en 2006, j’ai été obligée de voyager en automobile, voilée comme les musulmanes et avec deux chauffeurs qui ne parlaient qu’arabe. Nous avions à passer des barrages à tous les cinq kilomètres.
«Quand j’y suis retournée au printemps arabe, les évêques nous interdisaient de circuler la nuit car cela était trop dangereux. C’est parfois frustrant! Nous voulons rencontrer des gens, réaliser certaines choses et nous nous faisons dire que c’est trop risqué. Les étrangers qui voyagent et qui ont des problèmes, souvent c’est parce qu’ils n’ont pas écouté les consignes.»
Cette apôtre de Jésus-Christ donne à la prière, à la lecture de la Bible et à l’eucharistie une place très importante dans sa vie tant personnelle que professionnelle. «Il m’arrive de me trouver au siège social de l’AED et de pouvoir y participer à une eucharistie en compagnie de personnes provenant de trente pays différents. Nous ne partageons pas de langue commune. Ce qui nous unit, c’est le Jésus incarné dans l’eucharistie. Lorsque nous sommes à l’étranger, nous découvrons comment les autres célèbrent, avec quelle foi ils célèbrent. Il y a des choses magnifiques qui sont vécues dans certaines liturgies orientales notamment.
Communauté de prière
Bien que les persécutions avec leurs cortèges d’horreurs se poursuivent inexorablement, Marie-Claude n’abandonne pas la partie. Elle me confie que sa plus grande motivation est de constater que les victimes ne baissent pas les bras. «Nous prions pour eux et ils prient pour nous. Ils nous le partagent souvent: « Nous prions pour vous. » Alors il y a une communauté de prière qui se bâtit autour de notre travail.»
Marie-Claude jette un œil sur son bureau enseveli sous un monticule de papiers et de dossiers. Visiblement, le travail ne manque pas. Pourtant, la «boss» canadienne d’Aide à l’Église en détresse est toute entière tournée vers ses frères et sœurs persécutés pour le simple fait d’être chrétiens. Elle continue, avec l’aide de son équipe, à leur tendre la main, soutenue par des milliers de Canadiens.
Samuel Grzybowski
Une attitude d’ouverture en vérité et dans l’amour doit caractériser le dialogue avec les croyants des religions non chrétiennes, malgré les divers obstacles et les difficultés, en particulier les fondamentalismes des deux parties. Ce dialogue interreligieux est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et par conséquent est un devoir pour les chrétiens, comme pour les autres communautés religieuses.» *
– pape François
Entreprendre le tour du globe avec un juif, un athée, un agnostique et un musulman afin de promouvoir le dialogue interreligieux est un acte complètement fou et téméraire. Pourtant, ce projet inusité a été conçu et réalisé par Samuel Grzybowski, un jeune catholique français. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Samuel quelques semaines après le lancement de son livre, Tous les chemins mènent à l’autre, qui relate les étapes marquantes de ce périple hors du commun.
L’InterFaith Tour
L’idée de ce voyage autour du monde a germé dans la tête de Samuel après une rencontre avec un jeune entrepreneur, Christian de Boisredon, qui a fondé en 2011 Sparknews, une entreprise sociale qui a pour but de partager les projets qui proposent des solutions innovatrices aux problèmes de société (www.sparknews.com). Christian de Boisredon lui propose alors une bourse de 5000 euros s’il met sur pied un tour du monde dont l’objectif serait de répertorier les initiatives promouvant le dialogue interreligieux. Cette rencontre qui allait devenir déterminante dans sa vie a eu lieu quelques mois après les JMJ d’Espagne auxquelles il a participé.
La folle aventure a duré 300 jours au cours desquels les cinq membres de l’équipe ont visité 40 pays et rencontré une multitude de personnes engagées dans le dialogue interreligieux. L’InterFaith Tour, comme ils ont décidé de nommer ce grand voyage, a pris son envol le 1er juillet 2013.
Mais qu’est-ce qui peut bien motiver un jeune à se lancer dans un projet aussi insensé? «Avant le tour, m’explique Samuel, j’avais vécu un voyage en Espagne avec des juifs, des musulmans et des chrétiens. Un autre évènement a sans aucun doute contribué à me lancer dans cette folle entreprise: le Jamboree mondial de la jeunesse qui réunissait des scouts provenant des quatre coins de la planète. La proposition de Christian de Boisredon a eu un écho très fort chez moi.»
Coexister
L’écho était d’autant plus fort que Samuel est également le fondateur de l’organisme Coexister qui réunit des étudiants de religions différentes, voire des athées. «Le but de Coexister, explique Samuel, est de créer des liens entre des jeunes de différents milieux et de construire le vivre-ensemble par ce biais-là, par cette diversité. Nous proposons une troisième voie à deux modèles qui ont prédominé pendant longtemps soit le modèle d’affrontement de civilisation et le modèle de dissolution des identités.»
Comme François et Marie-Claude, Samuel est un croyant. «Je viens d’une famille pratiquante. Messe à tous les dimanches. Nous prions le soir. J’ai fait les sacrements. Le sacrement qui m’a le plus marqué, c’est le sacrement de la confirmation. C’est là que j’ai accepté le Seigneur. Cela a été un vrai changement dans ma vie.» Dans son livre, Samuel raconte que dans l’un de ses deux sacs de voyage, qu’il portera sur lui durant tout le tour du monde, il y a sa Bible et son chapelet.
Samuel est également un adepte de la non-violence qu’il découvre très tôt dans sa vie. Lorsqu’il participe au Jamboree, il fait la connaissance de ceux qui vont marquer sa vie: Don Elder Camara, Laza Del Vasto et Gandhi qui accompagneront Mère Térésa, l’abbé Pierre et Martin Luther King dans son palmarès des personnalités importantes dans sa vie.
L’enracinement
Personne ne peut entreprendre un tel périple sans être confronté à ses limites. C’est en Asie, devant une culture complètement différente où les habitants adorent plusieurs centaines de dieux différents, que Samuel a douté de la pertinence de sa mission. Samuel a résolu ses conflits en prenant conscience d’un élément capital lorsque l’on est engagé dans le dialogue interreligieux : «Nous pouvons être conscients qu’existent d’autres cultures et être ouverts à ces cultures à condition d’être conscients de nos racines. Du coup, j’ai vite résolu mes questions par l’enracinement dans mes propres valeurs et dans mes propres croyances.»
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François, Marie-Claude, Samuel. Puisant à même la Source vive, ils donnent leur vie au service d’une cause qui est à la fois terrestre et céleste: aider à construire un monde meilleur tout en étant des disciples du Christ.
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Sources :
* Exhortation apostolique La joie de l’Évangile.
Pour aller plus loin :
Aide à l’Église en détresse : www.acn-aed-ca.org/
Coexister : www.coexister.fr
Samuel Grzybowski, Tous les chemins mènent à l’autre. Chroniques d’un tour du monde interreligieux, Les Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2015.