Charles de Foucauld
Monastère des petis frères de la croix

Se confiner avec Charles de Foucauld

Alors que le gouvernement Legault vient de mettre sur « pause » tout le Québec, Le Verbe s’est entretenu avec le petit frère Gilles Laberge. Prieur du Monastère des Petits frères de la Croix, il nous fait voir comment leur vie « au désert », inspirée du bienheureux Charles de Foucauld, peut nous aider dans notre grande retraite à domicile.

Au-dessus de la porte de votre monastère, il est écrit « En vue de Dieu seul. » Alors que votre hôtellerie est vide, comment vivez-vous cette plus grande solitude ?

On vit quelque chose de plus fort avec Dieu, parce qu’on a moins de distractions. C’est comme une retraite plus intensive. On est plus tourné vers Dieu. Je dirais que notre communion avec lui et avec les autres est encore plus pleine. 

D’une manière, on est plus « seul ensemble ». On a donc besoin de développer encore plus notre fraternité entre nous, de vivre quelque chose de fort, pour que l’on devienne de meilleurs témoins dans le monde.

Votre chapelle est aussi fermée au public. Est-ce que cela change votre prière ?

Charles de Foucauld
Petit frère Gilles Laberge

Même s’il n’y a plus de visiteurs, on sent que notre église est plus habitée que jamais. Les gens se sont comme rapprochés de nous, parce qu’il y a un besoin, un cri du peuple qu’on entend. On le sent dans notre église et ça augmente l’intensité de notre prière.

Le fait d’être plus éloigné les uns des autres durant les prières nous pousse aussi à être plus proches de Dieu. On vit la messe avec plus de ferveur. On est comme notre frère ermite Michel qui, par son éloignement, vit toujours la messe avec une intensité spéciale. Pas que c’était routinier avant, mais c’est plus fort maintenant.

Pas besoin de faire des choses. C’est un temps où il faut « être » plus que « faire ».

On a aussi commencé à diffuser en direct sur Facebook différents temps de prière. Les gens peuvent s’unir avec nous par cet apostolat différent. Nous avons eu parfois plus de 1000 personnes qui priaient nos complies byzantines avec nous, alors que dans notre oratoire il y a habituellement une vingtaine de personnes.

Que peut-on faire pour bien traverser ce temps de confinement ?

Pas besoin de faire des choses. C’est un temps où il faut « être » plus que « faire ». On peut faire du confinement un temps important, même un tournant dans notre vie. On va devoir apprendre à s’accepter tel qu’on est tout simplement, comme lorsqu’on est malade et qu’on ne peut plus faire grand-chose. 

Y a-t-il des écueils à éviter?

Il y a une tentation d’aller toujours plus vers les médias pour essayer d’avoir une présence. On peut avoir l’impression d’être en contact avec les autres par les médias, mais cela peut être superficiel en même temps. Surtout, si on écoute en boucle les nouvelles sur la pandémie, cela peut créer un esprit de peur incompatible avec l’esprit chrétien. 

Je propose plutôt d’écouter les nouvelles une fois par jour pour être bien informé, mais pas de façon continue. Ainsi, nous pouvons mieux garder le silence intérieur et demeurer attentifs à la présence de Dieu qui vit en nous et à celle de l’autre qui vit sous le même toit.

Saint Augustin dit que Dieu permet le mal parce qu’il est capable d’en tirer du bien. Quel est ce bien qui devrait attirer notre attention ?

Je pense que Dieu peut nous inviter à nous tourner davantage vers lui et vers les autres, pour être en lien avec ceux qui souffrent. Être attentif à l’autre qui est à côté de moi, qui a peut-être peur. On peut prier pour ceux qui sont loin, mais c’est encore plus important de le faire pour ceux qui sont proches. 

Après tout, un grand principe de la vie spirituelle est que ma relation avec Dieu se confirme par ma relation avec mes proches.

Pour ceux qui vivent en famille, c’est donc l’occasion de porter attention à la manière de vivre ensemble. On n’est pas habitué à vivre aussi intensément ensemble. Il faut donc être spécialement attentifs aux besoins des autres. C’est plus difficile d’accepter l’autre quand on est tout le temps ensemble ; nous en faisons l’expérience au monastère.

Est-ce que votre saint patron Charles de Foucauld aurait quelque chose à nous enseigner pour vivre cette longue retraite forcée qui s’impose à nous ?

Je pense que sa spiritualité de la bonté et de la charité est une spiritualité qui peut aider à se tourner vers l’autre au lieu de s’enfermer en soi. Charles de Foucauld, c’est beaucoup la rencontre et l’amitié : se tourner vers Dieu et l’autre.

C’est un bienheureux qui vivait d’une belle manière la solitude, mais aussi ses contacts avec les autres. Il y avait toujours chez lui une tension entre le désir d’apostolat et le désir de se livrer complètement à Dieu. Car, après tout, on a besoin de Dieu, mais aussi des autres.

Comment pouvons-nous nous tourner vers Dieu si on est privé de l’accès aux sacrements ?

Dieu comprend cette situation. Il va suppléer avec son Esprit saint en donnant de manière plus abondante encore des grâces à ceux qui vivent la communion spirituelle. 

Ne doutons pas que l’Esprit saint soit dans cette décision de fermer les églises. Il ne faut pas avoir peur d’être privé des sacrements. Dieu est partout à la fois. Il peut et va suppléer à cette situation exceptionnelle.

N’oublions pas non plus que la communion des saints, c’est réel ! Le fait d’être attachés les uns aux autres par notre lien en Christ est une chose très concrète : ce que je vis personnellement au nom de plusieurs personnes, ils peuvent en bénéficier. Dans ma communion quotidienne, j’ai l’impression que je vis la communion de plusieurs autres personnes qui sont rattachées à moi par leur communion spirituelle.

Tous peuvent aussi communier spirituellement pour d’autres personnes. On a le sacerdoce baptismal, il est bon de l’exercer. On peut, comme prêtre, par notre baptême, amener des gens dans cette dynamique par notre propre communion spirituelle. 

Plusieurs personnes pensent que nous sommes peut-être près de la fin du monde ou de la fin d’un monde. Que faut-il en penser ?

Je n’ai pas à me préoccuper ou chercher des signes de fin du monde. Il y a des signes de fin du monde dans toutes les époques de l’Église de toute façon. Il ne faut pas se faire peur avec ça ni attendre la fin pour se convertir. Qu’elle arrive demain ou dans mille ans n’est pas la question. Jésus a d’ailleurs dit que nul ne sait quand cela arrivera. 

De toute façon, la fin du monde, on la vivra dans notre propre vie le jour de notre mort.

La question est plutôt : « Est-ce que je vis cette fin qui vient en étant vivant aujourd’hui ? » Il faut plonger dans le moment présent et le vivre de manière intense, ici et maintenant. Car de toute façon, la fin du monde, on la vivra dans notre propre vie le jour de notre mort. On va avoir une fin et cette fin-là nous amènera à autre chose.

Est-ce normal, comme chrétien, d’avoir peur de sa mort ou de celle de nos proches ? Après tout, nous allons tous mourir un jour.

La peur de la mort est toujours présente dans l’homme. Avec la pandémie, on est obligé de faire face à cette réalité : la mort est une échéance dans notre vie. 

Mais le chrétien est appelé à vivre ce mystère de mort à la lumière du mystère de la résurrection. C’est-à-dire que la mort est une étape, un autre début, pas seulement une fin. Dieu veut nous donner sa vie, mais, pour vivre sa vie divine, il faut faire un saut dans la mort. Le saut peut faire peur, mais n’oublions pas que c’est un saut en Dieu !

Paradoxalement, même sans messe publique de Pâques cette année, nous allons pouvoir vivre plus concrètement le mystère pascal, ce « passage » de la mort à la résurrection. Nous allons pouvoir le vivre non pas comme quelque chose d’abstrait, mais de très concret. C’est donc une période propice pour se préparer à Pâques, pour déboucher sur la résurrection, la fête de la lumière !


Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.