dante
Illustration: Marie-Pier LaRose/LeVerbe

Comment Dante peut changer votre vie

Le 25 mars 1300, Dante Alighieri commençait son célèbre voyage en enfer raconté dans sa Divine Comédie. Dans la foulée du 700e anniversaire de décès du poète florentin, Le Verbe a rencontré la professeure Marguerite Bourbeau pour mieux comprendre le trésor de sagesse que contient cette œuvre monumentale et comment elle a encore le pouvoir de changer notre vie.

Comment êtes-vous tombée en amour avec La Divine Comédie de Dante ? Qu’est-ce qui vous fascine dans cette œuvre ?

J’ai fait la découverte de Dante lors de mes études universitaires au King’s College d’Halifax. J’étais en mathématiques, mais la plupart de mes amis étudiaient le développement de la pensée occidentale, ce que j’aurais aimé faire moi-même. J’ai commencé à assister à certains de leurs cours, en particulier dans la section du Moyen Âge, période qui m’a toujours intéressée. Elle se terminait avec l’étude de La Divine Comédie.

J’en ai été éblouie et fascinée au point d’en faire le sujet de ma thèse de doctorat et de l’enseigner durant toute ma carrière de professeure.

J’ai découvert là une synthèse extraordinaire de la pensée ancienne et médiévale, de la philosophie et de la théologie, présentée sous la forme inattendue d’un merveilleux poème. J’en ai été éblouie et fascinée au point d’en faire le sujet de ma thèse de doctorat et de l’enseigner durant toute ma carrière de professeure.

Pourquoi Dante a-t-il écrit sa Comédie ? Dans quel contexte et dans quel but ? Cherchait-il simplement à nous décrire l’enfer, le purgatoire et le paradis ?

Dante a écrit La Comédie dans la dernière partie de sa vie, en exil, après de grandes déceptions politiques et des changements importants dans sa pensée philosophique.

Dans ses propres mots, son but est d’arracher ceux qui vivent dans cette vie à l’état de misère et de les conduire à l’état de bonheur. L’enfer, le purgatoire et le paradis représentent les grandes divisions de son poème, mais Dante ne prétend pas en donner une description physique. Il s’en sert comme images poétiques pour représenter son propre pèlerinage en cette vie, sur cette terre, ce pèlerinage qui est en même temps celui de tout être humain.

Au Moyen Âge, « comédie » ne désigne pas une oeuvre comique, mais un genre littéraire qui, après des débuts difficiles pour le personnage principal, connaît une fin heureuse. Au contraire, la tragédie, elle, commence bien, mais finit mal. Notez que Dante lui-même a nommé son œuvre Commedia en italien et que le qualitatif Divina a été ajouté par ses lecteurs admiratifs !

Quel est le principal préjugé qui circule sur cette œuvre ?

Que La Comédie n’a rien à nous dire aujourd’hui parce qu’elle a été écrite au Moyen Âge, période de notre histoire trop souvent considérée comme une période d’obscurantisme, un peu comme le mythe de la grande noirceur au Québec. D’autres erreurs proviennent d’une lecture qui s’en tient au sens littéral de l’œuvre en négligeant son sens allégorique, spirituel, d’une très grande richesse !

C’est pourquoi je recommande toujours d’aborder cette œuvre monumentale et complexe avec un guide, si possible. Autrement, en lisant une édition du texte accompagné de bonnes notes. Je recommande en particulier la traduction et les notes d’Alexandre Masseron.

Quel est selon vous le thème principal de cette œuvre ? Quelle leçon de vie pouvons-nous retirer de sa lecture ?

La liberté ! La liberté de nos choix et leurs conséquences sur notre vie et sur la société dans laquelle nous vivons. Une leçon importante que nous pouvons en retirer est de réaliser que la construction ou la destruction de notre personnalité individuelle dépend de nos choix et qu’elle est reliée à la construction ou la destruction de la société dans laquelle nous vivons. Les deux vont de pair.

Dante a trois guides dans son pèlerinage : Virgile, Béatrice et saint Bernard. Pourquoi ces trois guides ? Que représentent-ils ?

Ces trois guides, trois personnages historiques, représentent en un certain sens les trois modes de connaissance possibles à l’être humain et leurs relations les uns aux autres. Virgile représente le mode de connaissance accessible à tous par la raison, Béatrice, celui qui nous est donné par grâce dans la foi chrétienne et saint Bernard, celui qui nous est aussi donné par grâce dans l’amour mystique. Les trois guides sont nécessaires pour atteindre le bonheur véritable et éternel.

Pourquoi Dante représente-t-il le fond de l’enfer comme un lieu de glace et non de flammes, comme on le fait plus couramment ?

Dans la descente de l’enfer, nous voyons la progression du mal jusqu’à son résultat ultime, la haine qui, au contraire de l’amour, fige le pécheur dans une position où il n’y a plus de mouvement possible à l’intérieur de lui-même, ni non plus de relation possible avec les autres.

C’est ce qu’illustre, de façon originale, l’image de la mer de glace dans laquelle sont figés les damnés, sans communication possible entre eux. C’est d’ailleurs la première fois que l’enfer est représenté ainsi !

À noter qu’il ne s’agit pas simplement d’une mer de glace, mais d’une Cité de glace, dont la glace est générée par l’empereur de la Cité dolente, en contraste avec la Rose blanche du paradis, la Cité céleste de Dieu, animée du souffle de l’amour divin.

Nous célébrons cette année le 700e anniversaire de la mort de Dante. À cette occasion, le pape François a publié une lettre. Pourquoi un pape s’intéresse-t-il à Dante et de quoi nous parle-t-il dans sa lettre ?

Plusieurs papes se sont intéressés à Dante avant le pape François, ce qui est d’ailleurs souligné au début de sa lettre Candor lucis aeternae, en rappelant les interventions des papes du XXe siècle.

Le grand poète peut nous aider à avancer avec sérénité et courage dans le pèlerinage de notre vie, jusqu’à ce que notre cœur ait trouvé la véritable paix et la véritable joie.

Lui-même fait ressortir l’actualité et la pérennité de l’œuvre de Dante qui, mieux que beaucoup d’autres, a su exprimer, avec la beauté de la poésie, la profondeur du mystère de Dieu et de l’amour. Il décrit La Divine Comédie comme une très haute expression du génie humain, le fruit d’une inspiration nouvelle et profonde. Il voit en Dante un prophète d’espérance, un poète de la miséricorde et un témoin du désir humain du bonheur. À ces titres, il nous encourage à le suivre sur son chemin de pèlerinage, qui est aussi le nôtre.

En ce moment de notre histoire, marqué par beaucoup d’ombres, par des situations qui dégradent l’humanité, par un manque de confiance et de perspectives, dit-il, le grand poète peut nous aider à avancer avec sérénité et courage dans le pèlerinage de notre vie, jusqu’à ce que notre cœur ait trouvé la véritable paix et la véritable joie.

Dante était catholique dans une époque chrétienne, et toute son œuvre est marquée par cette vision du monde. En quoi La Divine Comédie peut-elle encore parler à notre époque et à nos contemporains qui ne sont plus toujours chrétiens ?

L’Enfer et le Purgatoire peuvent être lus à la lumière de la raison seule, comme l’indique le guide choisi pour ces deux parties du voyage de Dante, le poète romain Virgile. Béatrice apparait au moment où Virgile disparait au sommet de la montagne du purgatoire, peu après son entrée avec Dante au paradis terrestre et sa déclaration que par lui-même, il ne voit pas plus avant.

Parvenu à ce point, le lecteur voudra sans doute savoir pourquoi le paradis terrestre est désert, pourquoi Virgile ne peut aller plus loin et où il va lorsqu’il disparait. Il voudra aussi sans doute poursuivre la route pour découvrir en quoi consistent le paradis céleste et le bonheur éternel. Si les réponses dans le Paradis sont à la lumière de la foi chrétienne, elles ont le mérite d’avoir leur assise sur la raison et de ne pas en être détachées.

En 2015, l’Américain Rod Dreher a écrit How Dante can save your life (Comment Dante peut sauver votre vie). Comment Dante peut-il sauver notre vie, au juste ?

Le sous-titre nous éclaire : The Life-Changing Wisdom of History’s Greatest Poem, ce qui peut se traduire : La Sagesse transformatrice du plus grand poème de l’histoire.

Un jour, Rod Dreher s’est retrouvé dans la forêt obscure, sauvage, âpre et rude, décrite par Dante au début de son poème : « Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure où la voie droite était perdue », là où chacun d’entre nous se retrouve à un moment ou l’autre de sa vie. Il était aux prises avec une crise existentielle et émotionnelle, en apparence sans issue. Dans une librairie, par hasard, il s’arrête devant les rayons de la poésie (section qu’il ne regardait jamais, n’ayant pas d’attrait pour la poésie) et tombe sur La Divine Comédie. Les premières lignes, citées plus haut, le touchent profondément.

Reparti avec le livre, il se met à le lire. Ce faisant, il entreprend une odyssée littéraire et spirituelle qui transforme sa vie, d’une part, en lui faisant comprendre ses erreurs, et d’autre part, en lui montrant qu’il a en lui-même la capacité de la changer. Il est un exemple frappant du pouvoir que La Divine Comédie possède encore d’arracher ceux qui vivent dans cette vie en état de misère et de les amener au bonheur ; en d’autres termes, de sauver notre vie.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.