«tout inclus»

Êtes-vous coupables d’activisme mou ?

À peine deux jours après le début de l’invasion russe, il était possible d’afficher son soutien au peuple ukrainien en ajoutant un petit drapeau en filigrane à sa photo de profil Facebook. Le média social propose régulièrement des « filtres » à l’aide desquels on peut communiquer ses convictions sociales et politiques : un drapeau tricolore en hommage aux victimes d’attentats terroristes, le libellé « journée nationale de la vérité et de la réconciliation », le logo de la compagnie Bell… pour sensibiliser aux enjeux entourant la santé mentale. 

Avez-vous déjà utilisé un de ces filtres, signé une pétition en ligne ou simplement partagé un article dans le but de pousser une idée ?

Si oui, vous êtes coupables de slacktivism 

Des gestes inutiles ? 

Le terme slacktivism a été inventé au tournant des années 2000. Cette contraction des mots slack, pour mou, et activism, renvoyait à un militantisme de salon perçu comme paresseux. De fait, en comparaison avec des actions directes comme une grève ou un blocage de chemin de fer, le fait d’afficher « je suis Charlie » sur Instagram ne parait pas très compromettant. Mais il ne faut pas se fier aux apparences : ces manœuvres peuvent s’avérer très efficaces pour influencer le débat public. 

Par exemple, l’activisme en ligne peut changer les représentations qu’on a d’un problème. Quand, en 2017, des milliers de femmes ont partagé leurs récits d’agression sexuelle sur Twitter, elles ont montré à quel point ces violences sont répandues. Leurs témoignages ont permis de transformer les représentations que l’on se fait de ces agressions.

Brutalement, on a réalisé que ces abus surviennent davantage près de nous qu’au détour d’une ruelle sombre. 

Lorsqu’un débat devient très populaire en ligne, il sera souvent exposé par les médias « traditionnels ». Au début de la crise de la Covid, une pétition a circulé afin de réclamer le retour des accompagnateurs dans les salles d’accouchement, d’où certains avaient été exclus pour des raisons sanitaires.

En trois jours, la requête a récolté plus de 88 000 signatures. Le gouvernement a rapidement pris position : on a confirmé qu’aucune femme ne serait laissée seule au moment de son accouchement. La présence d’un proche était assurée.   

Évidemment, une pétition, comme une manifestation, ne suffira jamais à endiguer un fléau. Il serait utopique de croire que nous vivrons un jour dans un monde sans pauvreté ni violence.

Mais il est possible de faire des pas, de tendre vers un idéal. 

L’épisode #BlackOutTuesday

Parce que les médias sociaux carburent à l’instantanéité, le militantisme numérique comporte certains écueils. L’épisode #BlackOutTuesday est iconique à ce sujet. Cette initiative a été lancée après de la mort de Georges Floyd, un Afro-Américain décédé à la suite de violences policières. Le 2 juin 2020, les internautes ont été invités à remplacer leur photo de profil par un carré noir.

Les instigatrices du mouvement, deux femmes noires engagées dans l’industrie musicale, souhaitaient susciter des échanges sur le racisme systémique. Le #BlackOutTuesday est devenu viral. Des citoyens, des vedettes et même des entreprises ont participé. 

La campagne, saisissante, a été victime de son succès.   

Sur certains fils d’actualité, on ne retrouvait plus qu’une longue série de carrés noirs.

Le mouvement Black Lives Matter, rendu visible par la démarche, a été du même coup occulté. Les actualités regroupées sous le mot-clic #BLM étaient désormais impossibles à trouver.

Les leadeurs du mouvement ont déploré cette situation. 

Les médias sociaux se sont retrouvés inondés d’excuses d’alliés désolés. Même au Québec, des personnalités publiques ont renchéri, se plaçant encore une fois au centre de l’attention. 

En fin de compte, le militantisme, qu’il soit slack ou pas, est souvent une affaire de spectacle. Même dans nos chambres d’écho, tous ne sont pas égaux. 

Problématiques 

Sur les médias sociaux, les émotions supplantent la réflexion, ce qui facilite la récupération commerciale des luttes sociales. Les influenceurs qui vivent au gré des clics ont les convictions changeantes. Un jour, ils peuvent s’épancher sur les problèmes environnementaux et, le lendemain, faire de la publicité pour de grandes compagnies pétrolières

En fin de compte, le militantisme, qu’il soit slack ou pas, est souvent une affaire de spectacle. Même dans nos chambres d’écho, tous ne sont pas égaux.  

Il est tentant de cultiver le cynisme en réponse à cette situation. 

Ce serait ignorer que certaines situations sont réellement scandaleuses. Le sentiment d’injustice peut parfois susciter de véritables réflexions et, ultimement, une mise en action. 

Il est donc essentiel de continuer à mettre en lumière les inégalités qui touchent de vastes pans de la société. 

Mais il m’apparait tout aussi important de mettre la main à la pâte afin de construire des communautés (des Églises ?) dans lesquelles, au quotidien, on poursuit ce qui est bon, vrai, juste et beau.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.