Un État fort, vraiment?

Le 28 mars au matin, à Québec (nuageux, risques de tempête), un nouveau projet de loi sur la « laïcité de l’État » était déposé sur les planches de travail de l’Assemblée nationale. Journalistes, organismes de défense de ceci et de cela, partis politiques, commentateurs de bas de page et autres twitteux étaient prêts à reprendre le combat, les armes déjà affutées par les rondes précédentes. Le gouvernement caquiste s’est-il lancé dans une impasse, prenant le risque de défigurer le visage bienveillant de la Belle Province?

Rappelons les grandes lignes du projet de loi no21, « Loi sur la laïcité de l’État », connues depuis la dernière campagne électorale : interdiction des signes religieux, ostentatoires ou non1, aux personnes en position d’autorité au sein de l’État québécois, obligation de prestations de services publics à visage découvert (incluant la réception dans certains cas) et neutralité des organismes publics, incluant les commissions scolaires, les centres de la petite enfance (CPE) et les écoles privées subventionnées.

Quelques faits à noter : les enseignants du réseau public d’éducation sont soumis à l’interdiction des signes religieux, mais pas ceux des établissements privés. Ceci dit, tous les employés en poste avant le dépôt du projet de loi disposent d’un droit acquis. De plus, si on s’en tient à la lettre du projet de loi, les CPE sont soumis à la neutralité religieuse en tant qu’organismes, mais les éducateurs et éducatrices de garderies ne sont pas visés par l’interdiction du port de signes religieux.

Finalement, le projet de loi prévoit une « clause dérogatoire » qui lui permet de se soustraire de certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment celle qui garantit la liberté religieuse. Cela protège le projet de loi d’éventuelles poursuites judiciaires.

Notons que la clause dérogatoire, ou « nonobstant », prévue par la constitution canadienne, a été utilisée des dizaines de fois par le passé, autant par le Parti libéral du Québec que le Parti Québécois. Elle demeure, malgré les critiques, un instrument légitime, notamment pour protéger les droits collectifs.

Quelle laïcité?

Le projet de loi 21 réaffirme plus généralement la laïcité de l’État, envers laquelle « la nation québécoise » aurait un « attachement particulier ». J’ai souligné ailleurs, avec une pointe polémique, à quel point le concept de laïcité était flou et peu compris. D’ailleurs, le projet de loi nous dit que la laïcité repose sur certains principes2, mais il ne définit pas ce qu’est vraiment la laïcité.

L’État met ses lunettes laïques qui transforment la véritable diversité en cinquante tons de gris.

On peut saluer le fait que la CAQ ait évité l’écueil du rembourrage idéologique, en n’insistant pas trop sur les « valeurs québécoises » ni, au contraire du Parti libéral avant eux, sur la « diversité et l’inclusion » (qui ne disent pas grand-chose en eux-mêmes). Il se contente de mentionner dans le préambule d’importants principes comme l’égalité entre hommes et femmes et la souveraineté parlementaire.

Demeure tout de même un danger important : celui de l’homogénéisation de la société par l’État. Avec le projet de loi 21, l’État met ses lunettes laïques qui transforment la véritable diversité (celle qui lui échappe) en cinquante tons de gris. Ce qui n’appartient pas au registre « neutre » de l’État est alors mis de côté.

Comme le mentionne le projet de loi, les citoyens doivent se conformer à l’exigence de laïcité « en fait et en apparence » (article 3). Or quand l’État intervient sur les apparences plus que sur les faits, il donne à voir son incapacité à agir dans le réel. Il doute à priori de l’engagement de certains citoyens envers le bien commun, plutôt que de rectifier le tir si certaines dérives adviennent.

Cette suspicion est un aveu de faiblesse.

Un État (vraiment) fort

Un État véritablement fort, et donc juste, sait laisser vivre des phénomènes sociaux qui se situent hors de son cadre économico-bureaucratique.

Les manifestations religieuses rappellent à l’État qu’il est un moyen pour le bonheur et le bien des citoyens et non la fin ultime.

Les manifestations religieuses, dans la mesure où elles sont faites dans le respect du droit et de la morale, rappellent à l’État qu’il est un moyen pour le bonheur et le bien des citoyens et non la fin ultime.

Pour assurer la modération des passions civiques et le respect des personnes, la reconnaissance, même indirecte, de la possibilité d’une sagesse divine supérieure est en fait une bénédiction pour l’État. Ceux qui veulent construire le paradis sur terre se garderont peut-être alors « une p’tite gêne », comme on dit ici.


Maxime Huot-Couture

Maxime œuvre en développement communautaire dans la région de Québec. Il a complété des études supérieures en science politique et en philosophie, en plus de stages à l'Assemblée nationale et à l'Institut Cardus (Ontario). Il siège sur notre conseil éditorial.