Afin de souligner la Saint-Patrick, je vous propose cette année de découvrir l’un des symboles de l’identité irlandaise : la croix celtique. Ce tour d’horizon nous mènera de ses origines à ses utilisations contemporaines en tant que symbole identitaire d’une nation.
Toute croix celtique est composée minimalement de deux éléments. Évidemment, on y retrouve le motif de la croix comme telle, qui peut être régulière, quand les branches sont de longueurs égales, ou latine, si la branche verticale est plus longue que l’horizontale.
Vient ensuite un motif d’anneau qui se situe invariablement en retrait à la jonction des branches de la croix. C’est ce motif circulaire qui donne le caractère distinctif à la croix. Historiquement, on parle d’ailleurs de croix nimbée ou de croix cerclée, le terme celtique n’étant apparu qu’au 19e siècle.
Vient ensuite s’ajouter à ces deux éléments toute une panoplie de décors allant de scènes figuratives à des motifs d’entrelacs typiques de l’art insulaire celte des iles britanniques, ayant lui-même été influencé par l’art runique des Vikings !
Des symboles païens
Bien qu’étant un symbole éminemment chrétien, le motif de la croix celtique demeure très fortement influencé par le paganisme celte. Les origines du motif sont antérieures aux migrations celtes vers l’Europe et elles pourraient donc remonter à plus de 3000 ans !
Pour les païens celtes, l’iconographie de la croix s’explique de la façon suivante : le cercle symbolise le soleil tandis que les quatre pattes de la croix évoqueraient les points cardinaux, les saisons ou encore les quatre éléments (air, eau, feu et terre). L’intersection des branches de la croix symboliserait quant à elle un lieu de passage entre le monde terrestre des vivants et l’au-delà.
Les entrelacs décorant la croix symbolisent donc les multiples chemins que nous prenons de notre vivant… choix qui nous mène invariablement au centre du motif (au milieu du soleil), vers notre propre passage dans la mort.
Des symboles pour les chrétiens
On voit bien que la symbolique païenne comporte plusieurs éléments facilement intégrables au contexte chrétien. À la suite de la christianisation de l’Irlande par saint Patrick au 5e siècle, le motif de la croix celtique sera conservé et intégré à l’imagerie chrétienne.
Les branches de la croix conserveront leurs significations antérieures, les chrétiens y ajoutant évidemment le rappel de la crucifixion. C’est d’ailleurs à cette époque que la plupart des croix celtiques prennent la forme de la croix latine, une forme évoquant mieux l’instrument de torture romain. Le cercle va évidemment demeurer, mais la symbolique solaire cèdera la place à celle du Christ, présenté allégoriquement sous les traits de l’hostie. L’idée d’un chemin vers la lumière est donc totalement conservée.
C’est ainsi que, dès le 7e siècle, de nombreuses croix celtiques monumentales seront érigées un peu partout en Irlande et en Écosse. Ces monuments, complémentaires aux églises, servent de lieux de rencontres pour les cérémonies religieuses chrétiennes. La célébration du culte à l’extérieur est encore là un bon exemple de la persistance d’une tradition païenne. Parallèlement à l’usage monumental, tout au long du Moyen-Âge le lieu de nombreuses sépultures seront marquées par des croix celtiques.
Le symbole d’une nation
Ce n’est cependant qu’au 19e siècle que la croix celtique prendra son véritable rôle de symbole irlandais par excellence. La popularité du motif est à mettre en contexte comme l’un des éléments du celtic revival, un regain d’intérêt pour l’ensemble de la culture celte, qui caractérise l’époque. Il s’agit pour les Irlandais d’une manière de se distinguer, de marquer leurs différences, leur unicité par rapport aux autres peuples des iles britanniques. En découlera une prise de conscience nationale menant à une volonté d’émancipation face aux colonisateurs.
C’est ainsi que les nationalistes irlandais adopteront la croix celtique comme l’un des symboles fédérateurs du peuple irlandais, dans leur lutte pour l’indépendance nationale face à l’Empire britannique. C’est d’ailleurs à cette époque que se popularisent les breloques, pendentifs et autres bijoux à l’effigie de la croix celtique. Les croix monumentales marquaient le territoire depuis le Moyen-Âge, mais ce n’est qu’au 19e siècle que naitra le véritable désir des Irlandais de porter sur eux ce symbole de la nation.
En 1922, la partie sud de l’ile, composée de 26 des 32 comtés traditionnels, obtiendra son indépendance. À ce jour, les Irlandais, tout comme le gouvernement de la République irlandaise, conservent leur attachement à la croix celtique en tant que symbole de la nation.
Pensons à ces monuments commémoratifs offerts par la République irlandaise qui se trouvent chez nous et qui prennent tous la forme d’une croix celtique, comme le mémorial de Grosse-Île, la croix située dans le parc de l’Artillerie à Québec, ou encore celle présente aux abords du Canal Rideau à Ottawa. Le simple fait d’utiliser la croix celtique pour se représenter en tant que nation à l’étranger en dit long sur le pouvoir fédérateur du symbole parmi le peuple irlandais !
Erin go bragh!