Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.
Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.

Cheyenne Carron et les (nouveaux) tabous dans l’art

Ce qui est super avec l’avènement d’Internet, c’est que les œuvres circulent comme jamais auparavant. Plusieurs artistes talentueux ont pu se faire connaitre grâce à ce média. On n’a qu’à penser à la chanteuse britannique Adele, par exemple… ou à Cheyenne Carron. Son nom vous dit quelque chose ?

Peut-être pas encore. C’est une cinéaste française autodidacte. Elle a une foi assumée et fait des films tout à fait étonnants sans l’appui du système. Après l’avoir découverte à l’été 2014 et entrepris une correspondance avec elle, j’ai rédigé un texte sur son excellent film l’Apôtre pour la revue de cinéma Séquences dans le but de la faire connaitre au Québec. Voici qu’elle nous revient maintenant avec Patries, un film sur le racisme antiblanc et l’attachement au pays.

Avec des comédiens et des équipes techniques qui acceptent de travailler bénévolement pour elle, l’artiste en est déjà à son sixième (!) long métrage autofinancé. Elle porte ses films seule, à bout de bras comme une guerrière prête à tout pour l’art… et pour le Christ. Quel courage et quelle détermination ! Mais évidemment, cela est exténuant à la longue.

Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.
Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.

Cheyenne Carron, 39 ans, mériterait amplement d’être soutenue par le Centre national de cinéma (le CNC), l’équivalent en France de la SODEC et du Conseil des arts et lettres au Québec. Qu’attend-il pour financer ses projets ?

N’importe qui d’un peu familier avec le milieu de l’art peut voir que les propositions de Cheyenne sont sensibles, signées et professionnelles. On retrouve notamment chez elle quelque chose du cinéma social et moral (et non moralisateur) qui se rapproche de réalisateurs comme les frères Dardenne, Ken Loach, John Cassavetes, Robert Bresson…

Subversion

Le cinéma de Cheyenne Carron ose la transgression des tabous actuels. Déconstruites avec brio, les idéologies dominantes et la rectitude politique de l’heure en prennent pour leur rhume!

Pas de fausses subversions comme tant d’artistes le font en nous rabâchant les lieux les plus communs d’une certaine gauche supposément ouverte et tolérante qui se croit trop souvent au-dessus de l’humanité.

Non. De la vraie audace, trop rarement vue aujourd’hui. C’est probablement pour cela que l’artiste est boudée par le système. Car aller à contrecourant des idées reçues en disant des vérités que personne ne veut entendre, ça choque… Tout le monde sait ça.

Mais l’une des forces de Cheyenne Carron réside dans le fait qu’elle sait justement comment éviter le piège du manichéisme en montrant toujours des protagonistes qui pensent une chose, mais d’autres le contraire, afin de tempérer le discours et rendre compte de la réalité. Car la réalité n’est évidemment jamais toute noire ou toute blanche…

Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.
Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.

Par exemple, la réalité, c’est entre autres de dire qu’il existe aussi du racisme contre les Blancs ; qu’il existe aussi des homosexuels qui sont contre le mariage pour tous ; qu’il existe aussi des migrants qui veulent réellement faire entrer l’islam en Occident ; qu’il existe aussi des Amérindiens croyants qui aiment sincèrement l’Église catholique et qui la défendent avec ardeur ; qu’il existe aussi des féministes qui sont contre l’avortement ; qu’il existe aussi des Canadiens anglais en faveur de l’indépendance du Québec ; que la Nouvelle-France a entretenu des rapports cordiaux et respectueux avec la majorité des peuples autochtones d’Amérique du Nord, contrairement aux Britanniques, etc.

Autant de matières à explorer dans l’art et pas forcément de manière politique. En tant qu’artiste, ça me plait. J’admire les créateurs et les penseurs qui osent remettre en question les poncifs de la bien-pensance actuelle.

Patries

Patries montre donc l’importance de l’appartenance à un pays dans la construction d’une identité individuelle. En d’autres termes, il aborde le thème de l’identité nationale, sujet évidemment honni, puisque le multiculturalisme est devenu un dogme intouchable pour l’ensemble de l’élite intellectuelle et médiatique.

Dans la première partie du film, on suit d’abord Sébastien, un jeune homme timide d’environ 19-20 ans qui vient d’emménager en banlieue parisienne avec ses parents. Il devient rapidement ami avec Pierre, un jeune noir qui tente de l’intégrer à ses copains.

Certains d’entre eux l’acceptent, d’autres pas. Sébastien en souffre beaucoup, mais ne lâche pas prise : il veut sincèrement se faire de nouveaux amis et refuse de répondre à la violence par la violence.

Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.
Photo extraite du film Patries, courtoisie de Cheyenne Carron.

Dans la seconde partie, on assiste à l’évolution de Pierre qui, contrairement à sa sœur, réalise qu’il n’est jamais devenu Français. Ce constat douloureux, ponctué d’un appel de plus en plus fort en faveur de ses racines, l’amènera à retourner vers le pays de ses ancêtres, le Cameroun.

Réalisé en noir et blanc, ce film dépeint avec âpreté une réalité dure et implacable, Cheyenne Carron y contourne les clichés souvent vus dans les films sur la banlieue française.

De plus, appuyées d’une musique ample qui respire et fait contrepoids à la lourdeur du sujet, certaines scènes sont de véritables moments de poésie en montrant une humanité à laquelle on s’attache, peu importe les faiblesses et les tares des personnages.

Cette approche bienveillante, clairement inspirée par la foi, pose un regard chrétien sur le monde – le regard d’amour et de miséricorde que le Christ lui-même pose sur nous –. Elle révèle en même temps un talent unique, rare dans le paysage cinématographique actuel. L’Apôtre témoignait déjà de cet aspect, et ce sera certainement le cas aussi avec La Chute des hommes, le prochain film en cours de production, qui traitera du djihadisme français…

À la lumière de tout cela, on ne comprend pas l’acharnement obstiné du CNC à ne pas encourager cette artiste qui sait rendre compte de la complexité de la nature humaine et du monde dans lequel nous vivons. Espérons que leurs yeux passeront de grands fermés à grands ouverts…

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Note :

Pour se procurer les films de la réalisatrice en DVD, cliquez ici.

Stéphanie Chalut

Stéphanie Chalut détient une maitrise en arts visuels de l'Université Laval (2012), ainsi qu'un baccalauréat à l'UQAM (1999) dans le même domaine. S'intéressant à l'image et au récit, sa pratique d’artiste depuis englobe surtout le dessin, mais depuis 2015, l'artiste a fait un retour au 7e art. Son court-métrage (2020) a été présenté en au Cinema on The Bayou Film Festival et au Winnipeg Real to Reel Film Festival​. Ses préoccupations tournent de plus en plus sur les questions spirituelles. Elle poursuit son travail tout en prêtant ses services en tant que coordonnatrice artistique et culturelle dans la fonction publique. www.stephaniechalut.com