L’amour divin et l’amour humain. Voilà le sujet que nous propose d’emblée Natalie Azoulai dans Titus n’aimait pas Bérénice, publié aux éditions P.O.L. Ce roman nous raconte l’histoire d’une jeune femme abandonnée par son amant; histoire d’un amour brisé.
Pour présenter ce sujet d’un amour délicat et passionnant à la fois, l’auteure nous invite à revisiter l’œuvre de Jean Racine, célèbre dramaturge du 17e siècle. Ses pièces de théâtre ont en commun le fait de mettre en scène la tragédie accompagnant toujours l’amour entre les hommes et les femmes. Cela semble être la préoccupation majeure de Racine.
On ne meurt pas d’amour
En effet, Phèdre aime Hyppolite qui, lui, préfère Aricie; Oreste aime Hermione qui aime Pyrrthus qui aime Andromaque qui aime Hector; Néron aime Junie qui aime Britannicus; Roxane qui aime Bajanet qui, lui-même, aime Atalide.
Racine veut-il nous faire comprendre qu’une personne ne peut pas aimer et être aimée en retour? Non seulement l’âme, mais le corps peut aussi connaitre les meurtrissures de l’amour.
On ne meurt pas d’amour. Ce qui arrive le plus souvent, c’est ce désert dans lequel on entre pour un moment, l’hébétude de l’abandon.
– Extrait de Titus n’aimait pas Bérénice
Comment décrire un tel amour humain? Est-ce pour cela qu’il faut le vivre personnellement, que les récits des autres ne suffisent pas pour une telle entreprise?
Et si, comme le dit l’Écriture sainte, « Dieu est Amour », comment peut-on créer un lien entre les peines d’amour humain et l’amour de Dieu? L’amour de Dieu connait-il toujours de telles tragédies?
L’amour humain est présenté au jeune Racine par ses maitres comme un mal dont on souffre terriblement et dont il faut se guérir pour devenir impassible. Jean Racine ne souscrira jamais à cette compréhension de l’amour.
Au contraire, il tentera toute sa vie de comprendre l’amour humain à la lumière de l’amour de Dieu. Pour lui, comme l’écrit Natalie Azoulai,
Dieu existe, Dieu surpasse la science et détient tous les savoirs. Ce Dieu qui surpasse le roi de France.
Selon lui, Dieu écrit l’histoire de sa présence dans l’histoire personnelle de chacun et chacune d’entre nous. Dieu, dans la grâce de son amour, est présent d’une manière différente dans chaque vie. Non pas dans la compétition, mais dans la complémentarité.
Cela prend tout son sens dans cette expression tirée du roman:
Et leurs yeux se fixèrent longuement de l’un sur l’autre, comme s’ils cherchaient dans leur mémoire s’ils se connaissaient déjà ou s’ils s’étaient déjà vus.
Langage et actions
Cette vision décrit d’une manière étonnante toute relation humaine, mais dans un sens plus profond elle décrit aussi la relation entre Dieu et l’être humain.
Racine, disciple de l’Abbaye Port-Royal qui appelle à nier tout amour humain, s’applique, pour sa part, à faire le lien entre l’amour humain et celui de Dieu. Il va explorer cette relation à travers la Parole, puisque Dieu est Parole. Cela explique le minimalisme au regard des décorations de la scène lors de la présentation de ses pièces de théâtre. Ce qui compte pour lui, c’est la Parole, la Parole seule, la Parole qui nous perd ou nous vivifie, nous donne espérance pour finalement nous ressusciter.
Dans nos vies aussi, minimum de décorum, maximum de mots venant des profondeurs! Les fictions, la littérature, le théâtre ne sont pas des égarements, car nous sommes constitués de langage et d’actions et nous avons besoin des deux. Les histoires nous disent l’Amour et nous font entrer même dans le mouvement de l’amour. C’est la vocation la plus haute de la littérature et une facette de la vocation de L’Écriture sainte.
L’amour n’est pas un feu qu’on renferme en une âme. Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux…!
Voilà une réalité qui se vit entre les êtres humains et avec Dieu!