Rue Sainte-Catherine. Hier soir.
Au milieu des édifices, des magasins, des terrasses, des travailleurs de la construction, des passants médusés, passe Jésus Christ lui-même. Il est caché dans le Saint-Sacrement.
Des centaines de chrétiens marchent lentement derrière. Un sillon blanc au milieu: les prêtres. À l’éclat de l’ostensoir répond celui des petites flammes que chacun porte. Des chants de louange se succèdent et sont entrecoupés de moments de silence et de prière.
J’avoue candidement à une amie tout près: « C’est complètement surréaliste. Je ne pensais jamais voir ça dans ma vie. »
« C’est quoi qui se passe, hein? » demandent quelques curieux. On leur répond: « C’est la Fête-Dieu! » La fête de l’Eucharistie. La procession fait suite à la messe dans la basilique cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Bondée! On avait ajouté des chaises, mais plusieurs personnes étaient debout quand même.
Le plus fol amour
« L’Eucharistie, c’est l’expression la plus pure et la plus folle de l’amour! Êtes-vous prêts à vous rendre jusque-là, vous aussi? » questionne Mgr Yves Le Saux, évêque du Mans (France), nous pose la question à l’homélie, pendant la messe. Des « oui » enthousiastes et des applaudissements lui répondent.
Les fondateurs de Montréal, nous rappelle-t-il, ont traversé les conditions difficiles qui étaient les leurs parce qu’ils aimaient Dieu. Ils étaient convaincus que l’œuvre était de Dieu: c’était son idée, et il allait la mener à bien. Puis, ces intrépides aventuriers ne vivaient pas pour eux-mêmes. Leur vie était pour les autres.
Petit contraste avec notre obsession sociétale pour examiner, analyser et chouchouter notre moi.
Un petit peu cheap de chialer quand le wifi ne fonctionne pas.
C’est vrai que, quand on pense à cette fondation chrétienne de notre ville et de notre province, on se sent un petit peu cheap de chialer quand le wifi ne fonctionne pas, ou quand nos souliers prennent l’eau dans la pluie.
Arrivés à la basilique Saint Patrick’s, après avoir sillonné les rues de downtown Montreal. Mgr Lépine, l’archevêque de la métropole, nous parle de notre silence intérieur… mais aussi du silence de Dieu. Le silence éloquent du Christ sur la croix.
La puissance de ces mots…
Silence du Christ dans l’Eucharistie, parmi la clameur de la ville, les lumières colorées, les bruits de la circulation, les éclats de rire, les conversations et la musique des pubs. Quelques sourires narquois se changent rapidement en expressions de perplexité devant la quantité de pèlerins. Nous qui avions eu, peut-être, quelques hésitations à venir à cette procession, sommes frappés du respect des regards.
Moi qui me disais que, de l’extérieur, nous devions avoir l’air d’un peuple en transe en train de suivre un gourou, je me suis rendu compte que je me trompais. Et que plus d’une personne aurait aimé en savoir plus, pour mieux comprendre la beauté de ce qui se passait.
Le Christ traverse la terrasse
Le Christ qui passe devant le McDo, devant le Simons. Si Dieu ne s’était pas incarné il y a plus de 2000 ans – le Verbe! – cela nous semblerait ridicule. Jésus Christ, Dieu lui-même, a pourtant foulé notre terre pendant trente-trois ans et nous a montré comment y mener notre vie d’enfants de Dieu, dans la réalité qui est la nôtre. Il était charpentier. Et il scandalisait les bienpensants de son époque parce qu’il mangeait et buvait, et se tenait avec du monde pas trop clean.
Le Christ scandalisait les bienpensants de son époque parce qu’il se tenait avec du monde pas trop clean.
Nous, chrétiens, portons le Christ en nous, quand nous marchons sur la rue Sainte-Catherine tous les autres jours de l’année. Quand on va à l’université. Au travail. Chez nous. Quand on va prendre un verre sur une terrasse avec nos amis. On marche au coude à coude avec tous ces gens, en fixant le Christ, dans notre réalité ordinaire.
C’est prodigieux, surréaliste.
En fait, non, c’est la réalité de notre baptême. C’est que notre foi est sublime, et que la grandeur de Dieu éclate dans sa petitesse (il devient un morceau de pain!), dans sa défaite apparente sur la croix, dans son silence. Il est si grand, mais en même temps si proche.
Rue Sainte-Catherine. Procession de la Fête-Dieu.
Je crois que, quand j’aurai le double de mon âge, j’en parlerai encore.